Comment Joël, fils de Michaël, prépara
la Pâque
Joël réfléchissait.
« Déjà, se disait-il, toute la
ville retentit de tambourins et de flûtes. Déjà, les fours cuisent le
pain sans levain, et partout on tue les agneaux que l’on fera rôtir. Demain,
c’est la Pâque, la plus grande et la plus joyeuse de nos fêtes. Il faut
aujourd’hui que je fasse quelque chose d’exceptionnel. Ce ne peut pas être
un jour comme les autres. »
Et Joël, mâchonnant une brindille,
tournait en rond sur la terrasse de la maison, au grand soleil. Autour de
lui, les innombrables toits de Jérusalem s’étendaient, dominés par des
tours. On entendait la sourde rumeur de la ville en fête.
Le garçon descendit et
alla trouver son père.
« Père, lui dit-il,
confiez-moi un travail que je n’ai pas l’habitude de faire… Tenez, ma mère
est très occupée aujourd’hui. Donnez-moi à porter la plus grosse des
jarres. Je vais aller chercher de l’eau à sa place. »
Le père Michaël se mit
à rire.
« Tu veux donc que tout
le monde se moque de toi ? Tu sais bien que puiser l’eau est un travail
de femme. Que dira-t-on quand tu arriveras à la fontaine ? On
te prendra pour un fou. Ça ne s’est jamais vu !
— Peut-être, répliqua le
garçon. Mais je veux rendre service à ma mère. Si cela me coûte quelques
moqueries, tant mieux. Je n’en serai que plus heureux. Rendre service,
cela a beaucoup plus de valeur quand c’est difficile ! »
Haussant les épaules,
Michaël acquiesça et permit à son fils de s’en aller vers la fontaine,
la lourde cruche sur le dos.
*
* *
… Ce fut un joli succès pour
Joël. Les passants le montraient du doigt. Faire un travail de femme !
Était-ce raisonnable pour un grand gaillard comme lui ? Mais le garçon
n’en avait cure. Il remplit sa jarre, au milieu des quolibets, et péniblement,
l’échine ployée sous son fardeau, remonta les ruelles en escalier, laissant
derrière lui une longue trace de gouttelettes que le pavé brûlant avait
tôt fait d’absorber.
Il avait déjà parcouru la
moitié du chemin, lorsqu’il croisa deux hommes, des Galiléens. Ceux-ci
regardèrent Joël, puis, après s’être murmuré quelque chose à voix
basse, se mirent à le suivre. Le garçon les surveillait du coin de
l’œil.
« Que me veulent-ils,
ces gens-là ?… Ils marchent derrière moi depuis la place aux oliviers… Ce
ne sont pas des malfaiteurs, pourtant, mais… Bah ! Après tout, si ça
les intéresse de me voir porter ma cruche !… »
Il pénétra dans la maison
de son père et déposa le récipient dans un angle de la cour. Des coups heurtaient
la porte. Michaël alla ouvrir. Les deux étrangers étaient là.
« La paix soit sur toi,
dit le plus âgé. Je me nomme Simon-Pierre, et voici Jean, mon compagnon.
Le Maître nous a envoyés en disant : Vous rencontrerez un homme
qui portera une cruche d’eau. Nous l’avons vu et suivi, et nous venons te
demander, de la part du Maître, où est le lieu où Il doit manger la Pâque
avec ses disciples.
— Entrez, répondit Michaël.
Il y a ici une grande salle déjà meublée. Préparez tout ce dont vous
aurez besoin. Vous êtes chez vous. »
Joël, fort intrigué, se rendit
lui aussi dans la pièce. C’était celle que, d’ordinaire, on réservait aux
hôtes de passage. Des lampes d’argile l’éclairaient. Autour de la table basse,
les divans et les coussins étaient déjà rangés.
* * *
Enfin, tout fut prêt
à la tombée de la nuit. Une odeur de grillade et d’aromates flattait
les narines de Joël. Cependant, on aurait dit qu’il allait se passer dans
cette salle haute quelque chose de plus important qu’un banquet de fête…
Le garçon se faisait tout petit, derrière un divan, pour y assister.
Déjà, d’autres hommes
entraient, par petits groupes. Une douzaine, au total. Mais Michaël vint
chercher son fils.
« Ne reste pas ici, mon
garçon, lui dit-il. Ce ne serait pas poli. D’après nos coutumes, nos hôtes
ne doivent être dérangés par personne. Cette maison, pour ce soir, est la
leur et non plus la nôtre. Viens. Retirons-nous.
— Mais qui sont-ils,
Père ? Je ne les ai jamais vus. »
A la lueur dansante des
mèches brûlant dans l’huile, Michaël les désigna à son fils,
à mi-voix :
« Voici Pierre, et son
frère André ; Jacques et Jean, les fils de Zébédée. Ici, Jacques, fils
d’Alphée, qui bavarde avec Simon le Cananéen et Thomas. »
La tenture qui recouvrait
la porte se souleva. Un autre homme parut, que tous saluèrent. Jean, le
premier, alla vers Lui.
« La paix soit avec vous
», dit le nouveau venu.
Michaël s’inclina, lui aussi.
« Le Maître,
souffla-t-il à son fils. Jésus le Nazaréen. Allons-nous-en. Ce ne
serait pas poli de rester. »
Joël s’en alla alors avec son
père. Il traversa la cour noyée d’ombre et se retira dans la maison.
De la grande salle des
hôtes, on commençait à entendre la psalmodie qui, selon l’usage, indiquait
le début du repas de la Pâque
« … Le Seigneur exaucera
la voix de ma prière.
Parce qu’Il a abaissé son oreille vers moi.
Je L’invoquerai pendant tous les jours de ma vie… »
Parce qu’Il a abaissé son oreille vers moi.
Je L’invoquerai pendant tous les jours de ma vie… »
Et Joël se sentit plein
d’une grande joie. Il rayonnait à la pensée d’avoir fait une bonne
action, au risque d’avoir paru ridicule aux yeux des hommes de Jérusalem,
qui ne s’abaissaient jamais à porter une cruche. Mais, plus encore que
cela, il lui semblait qu’un bonheur inconnu entrait en lui, une allégresse
qu’il ne pouvait s’expliquer.
A. Pautard.
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