lundi 18 mars 2019

Et maintenant une histoire !


Le bâton de Saint Joseph (Légende bretonne)

La vieille Yvonne s’assit un jour près de son rouet et nous dit :
— Oui, mes enfants, le plus grand des saints du paradis, c’est saint Joseph. Écoutez bien ce que je vais vous raconter, et vous verrez si je vous ai menti.
Nous nous approchâmes plus près encore de mère Yvonne, et elle commença :
« Personne n’aimait Joseph Mahec, dans le pays de Kervéh qu’il habitait ; aussi vivait-il solitaire dans une cabane délabrée. On disait que le soleil lui-même avait tellement en horreur Joseph Mahec, que jamais il ne projetait ses joyeux rayons sur sa maisonnette enfumée !
Un soir de mars où Joseph Mahec allait pénétrer dans sa cabane, il se sentit tirer légèrement par le pan de son habit. Il se retourna surpris, presque en colère, car il n’était point accoutumé à ces manières. On le fuyait, mais on ne le touchait pas. Derrière lui était un vieillard courbé sous le poids des années et de la misère. Des cheveux blancs, une longue barbe, des traits vénérables prévenaient en faveur de cet inconnu, en dépit de ses pauvres habits. Mais Joseph Mahec n’avait de pitié pour personne. Il regarda à peine cet étranger dont le front avait pourtant un doux rayonnement emprunté sans doute à la résignation de son âme.
— Que me voulez-vous ? demanda-t-il brusquement.
— Assistez-moi, dit le pauvre homme.
Mahec partit d’un grand éclat de rire.
— Est-ce que j’assiste quelqu’un, moi ?… Ne savez-vous pas que l’on m’appelle le Hibou ? Je fais du mal tant que je peux, et jamais de bien à personne. Hors d’ici !
— Mon bon Monsieur, par pitié, dit-il, en joignant ses mains décharnées et tremblantes. Parfois une bonne œuvre peut assurer le salut éternel…
— Je veux la paix, à la fin ! s’écria Mahec. Va-t-en d’ici, ou je te…
— Mon ami, pour l’amour de Saint Joseph, dit encore le pauvre vieux, en retenant doucement le bras de Mahec.
— Ça, c’est différent, dit celui-ci ; saint Joseph, c’est mon patron, comme disent les dévots. J’aime ce saint-là, parce qu’au moins sa place au paradis, il ne l’a pas gagnée en fainéant.
Joseph Mahec tendit à l’inconnu son gros bâton noueux.
— Tenez, dit-il, de sa voix rude, prenez ce penn-baz 1 ; vous n’avez pas les jambes bien solides il servira à assurer votre marche, et si vous rencontrez quelque malfaiteur, vous pourrez vous défendre contre lui.
Le vieil étranger prit le bâton ; son regard s’éclaira d’une douce lueur et un radieux sourire vint à ses lèvres.
— Joseph Mahec, dit-il, Dieu ne laisse pas sans récompense un verre d’eau froide donné en son nom. Au revoir et merci !
Plusieurs années s’écoulèrent. Joseph Mahec mourut. Il mourut comme il avait vécu…
Il revenait à sa cabane ; soudain ses jambes plièrent sous lui. Il voulut appeler, mais aucun son n’arriva à ses lèvres. Par un dernier effort, un cri rauque s’échappa de sa poitrine et ses lèvres articulèrent ces trois mots : « O saint Joseph ! »
Joseph Mahec est transporté dans les régions éternelles. Deux portes s’offrent à ses regards : l’une est sombre et pleine d’horreur, l’autre étincelle des feux de mille pierreries. Le nouveau venu s’en va frapper à la porte étincelante.
— Qui êtes-vous ? demanda le glorieux pêcheur de Galilée, portier du Ciel.
— Joseph Mahec, répondit l’arrivant d’une voix timide.
— Je ne vous connais pas, dit saint Pierre.
Rejeté du paradis, Mahec n’avait d’autre parti à prendre que de frapper à la porte sombre. Il ne pouvait se décider… Or c’était justement le dix-neuvième jour de mars, fête de saint Joseph, que Joseph Mahec avait été jeté de la vie dans l’éternité. Au moment où la main de feu de Satan allait étreindre sa proie, une voix lui dit :
— Arrière, maudit ! Et Mahec vit la douce et placide figure d’un vieillard dont le front était ceint d’un nimbe d’or.
— Que faites-vous là, mon ami ? demanda le Saint à Mahec.
— Saint Pierre me refuse la porte du paradis… alors je vais en enfer…
Le Saint présenta au malheureux pécheur un bâton qu’il tenait à la main.
— Reconnaissez-vous ce bâton ? demanda-t-il.
— C’est le mien, s’écria Mahec.
— Une bonne action n’est jamais perdue. Frappez à la porte du paradis avec ce bâton et saint Pierre vous ouvrira.
Mahec heurta de nouveau à la porte garnie de pierreries avec son bâton, cette fois. Saint Pierre parut.
— Encore vous ? dit l’apôtre. Ne vous ai-je pas dit qu’ici vous n’aviez pas d’amis ?
— J’ai saint Joseph, mon patron, reprit timidement Mahec.
— Saint Joseph est absent…
Mais saint Pierre n’en dit pas davantage. Ses yeux tombèrent sur le bâton que le nouvel arrivant tenait à la main. Une branche de lis d’une admirable blancheur venait de s’y attacher !
— Le bâton de saint Joseph ! s’écria saint Pierre. Entrez, entrez, mon ami ; ici tout le monde obéit à saint Joseph, tout lui est soumis. Entrez et jouissez du bonheur des élus.
Mahec franchit la porte étincelante, et sa voix qui, à la dernière heure, avait su dire ce mot : « Joseph !» se mêla à celle des Bienheureux qui, pour toute l’éternité, répètent ses louanges.
Vous voyez, enfants, ajouta la vieille Yvonne, en arrêtant son rouet, si j’avais raison de vous dire que saint Joseph est le plus grand Saint du paradis. »


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