vendredi 3 août 2018

Les trois pains de la vieille ou Le jugement de Salomon Par Patricia Gustin


Petits contes de sagesse
Le pain est base essentielle de l'alimentation pour une bonne part de l'humanité, ce qui en a fait un symbole de la vie mais aussi de partage essentiel pour les autres mais aussi pour soi-même ...
Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras a écrit le sage roi Salomon dans le livre de l'Ecclésiaste (11:1).
Mais comment le pain jeté à la surface des eaux pourrait-il revenir ? Le pain jeté à la surface de l'eau, c'est tout juste bon pour les canards ! De toute façon il disparaît car, gorgé d'eau, il finit par couler... La réponse est dans un conte de la Méditerrané.
Elle ramendait, ramendait, ramendait … toute la journée … elle raccommodait les filets des pêcheurs pour quelques piécettes. Comme elle était seule, veuve, ses grands fils partis travailler loin, cela lui permettait de gagner son pain. Avec ces quelques sous et les petits poissons que lui donnaient les pêcheurs, la friture, elle mangeait à sa faim et pouvait même faire de petites réserves pour les mauvais jours, les jours de mauvais temps... quand le vent et la pluie empêchent souvent les bateaux de sortir …. Hé oui ! Pas de pêche, pas de trou dans les filets... pas de trou, pas de travail … et pas d'argent ! La vieille femme était courageuse. Elle travaillait tant qu'elle pouvait et ne se plaignait jamais.
Mais cet hiver-là fut si pluvieux, si venteux, si désastreux que les jours où les bateaux restaient à quai ne se comptèrent plus. Les jours mauvais s'enfilaient en un long chapelet de pluie, de bourrasques et de tempêtes. Sans travail, sans argent pour acheter de quoi manger, les réserves furent vite épuisées. Lorsqu’il ne lui resta même plus assez pour se faire une galette, elle se rendit chez l’homme le plus riche du village, un marchand:
-Je n'ai plus rien à manger. Donne-moi juste un peu de farine pour faire du pain et survivre jusqu'à la fin de l'hiver.
- Je viens de vendre mes derniers sacs. Il me reste à peine de quoi nourrir les miens, répondit l'homme. Mais si tu veux, tu peux balayer le grenier où étaient entreposés les sacs. Il y a toujours un peu de farine qui tombe.
Résignée, la petite vieille balaye le grenier. Et, heureuse surprise, elle parvient à faire un tas de farine beaucoup plus important qu'elle ne l'avait imaginé. Elle met la farine dans un sac et rentre chez elle. D'abord elle tamise la farine, puis y ajoute une pincée de sel, de l'eau et un peu de levain. Ensuite elle pétrit longuement la pâte, fait trois boules, les couvre et les laisse reposer. Une fois la pâte bien levée, elle fait des croisillons sur les 3 miches de pain et les porte au four du village pour les cuire. Elle rentre chez elle avec trois beaux pains dorés, croustillants et odorants. Elle sent leur bonne odeur et leur chaleur traverser le torchon qui les enveloppe. Et ça lui donne faim. C'est qu'elle n'a rien mangé depuis la veille, la vieille ...
Elle rentre vite chez elle, pose tout de suite les 3 pains sur la table, sort le grand couteau à pain et s'apprête à couper une tranche de ce bon pain tout chaud quand on frappe à sa porte ... Elle va ouvrir : c'est un homme en haillons, il semble vraiment épuisé :
-Des voleurs m'ont attaqué sur le chemin et m'ont pris tout ce que j'avais. Il ne me reste que la vie, et encore … Je n'ai rien mangé depuis plusieurs jours. Je t'en prie, donne-moi quelque chose ...
La vieille femme, émue, donne sans hésiter le pain qu'elle s'apprêtait à couper. L'homme remercie et s'en va. La femme s'approche de la table, savourant par avance le bon pain encore tiède : « Il avait plus besoin de pain que moi et il me reste encore 2 pains ».
C'est alors qu'elle entend frapper. Encore ! Elle marque un temps d'arrêt, regarde avec envie le pain tout frais, bien levé, pose à regret le couteau à pain (soupir) et ouvre : elle voit un homme encore plus pitoyable que le premier et son regard est si triste, il a l'air désespéré.
-Ma maison a brûlé voilà trois jours. J'ai tout perdu. Ma femme et mes enfants sont morts ... je n'ai plus rien. Je t'en prie, donne-moi à manger puisque je dois vivre ...
Sans hésiter, la femme lui tend le deuxième pain. L'homme remercie encore et encore. « Pauvre homme, ce pain tout chaud le réconfortera. Ce malheureux était encore plus affamé que moi. Heureusement, j'ai fait 3 miches : il me reste encore un pain !» se dit la femme en s'approchant de la table, dégustant en pensée une tartine de pain frais encore tiède.
Mais elle n'a pas le temps d'en couper la moindre tranche. Un vent violent pousse la porte avec force, s'engouffre dans la maison et, avant que la femme ait pu réagir, le vent lui arrache le pain des mains : un tourbillon emporte la dernière miche de pain vers la mer.
La pauvre petite vieille éclate en sanglots
- Mais c'est qu'il m'enlève le pain de la bouche ! Voleur ! Et cruel ! C'est injuste ! J'ai donné deux pains à des malheureux et quand je veux manger le dernier pain, tu me l'enlèves de la bouche. Et que veux-tu que la mer fasse de mon pain ? Non, c'est trop injuste !
Ce soir- là, la pauvre vieille s'est couchée le ventre vide et la tête pleine de questions. Elle ne trouve pas le sommeil : comment dormir, affamée, lorsque plane dans la maison cette bonne odeur de pain chaud... Qu'est-ce que j'ai fait au Ciel pour mériter une telle chose !!! Pourquoi le vent m'a-t-il arraché le pain de la bouche ? Qu'ai-je fait pour mériter cela ? Elle a beau s'interroger durant les longues heures de la nuit, elle ne voit pas la raison d'une telle injustice.
A l'aube, elle décide d'aller porter plainte contre le vent ! Seul le roi Salomon saura juger une affaire aussi délicate : une querelle avec le vent ! « Salomon est l’homme le plus sage au monde, il saura me rendre justice. » C'est décidé ! Elle va porter plainte contre le vent ! Apaisée, elle s'endort.
Le lendemain matin, elle se rend au palais, dans la grande salle d'audience du roi Salomon. Il l'écoute raconter son étrange histoire, lui pose plusieurs questions sur sa vie passée et réfléchit … et répond qu'il ne peut juger qu'en présence des deux partis : il lui faut entendre les arguments du vent pour pouvoir trancher.
-Si tu veux demander justice au vent, il te faudra patienter : il doit être présent au tribunal et je ne peux le déranger en ce moment je ne peux le déranger : il pousse nos navires marchands vers l'ouest de la Méditerranée. Je l'appellerai ce soir. Reste ici ou revient demain, ou après-demain ...
La vieille femme comprend... C'est bien un comportement de voleur de s'enfuir à l'autre bout du pays ou de traverser la mer ... Elle ronchonne un peu et s'installe sur un banc au fond de la salle. Elle ne part pas, elle est curieuse de voir comment le Roi Salomon rend justice.
En fin de journée trois hommes s'approchent et s'inclinent devant le trône royal. Ce sont trois commerçants qui viennent d'accoster. Le vent a tourné.
- Roi d’Israël, accepte de nous 7 000 pièces d’or et donne-les à une personne dans le besoin,  une personne qui, par la noblesse de son âme, en soit digne.
- Pourquoi tant de générosité ? demande Salomon.
– L’amour de Dieu et notre reconnaissance pour Ses bienfaits, répondit le marchand le plus âgé. Un instant, mon Roi. Je vais te l’expliquer.
Il se tourna vers un coffre plein d’argent et dit :
- C'est un don promis à Dieu qui nous a sauvé de la tempête. Nous approchions de la côte de ton royaume lorsqu'une tempête s'est déchaînée. Les vagues jetaient le bateau de tout côté comme un petit morceau de bois, une fissure est apparue sur le flanc du navire et nous n'avions rien pour boucher le trou. L'eau s'infiltrait à gros bouillons, nous risquions de couler. Désespérés, nous avons prié Dieu en faisant le serment de donner aux pauvres le dixième de la valeur de notre chargement si nous nous en sortions intacts, nous, les marins et notre cargaison. Presque aussitôt, l’orage s'est apaisé, les vagues se sont calmées, et nous avons pu accoster en toute sécurité. Voici le dixième de la valeur de notre cargaison, exactement 7 000 pièces d’or pour les pauvres, à partager comme tu le jugeras bon.
- Je ferai volontiers ce que vous demandez, répondit Salomon, néanmoins une chose n’est pas claire : votre bateau prenait l'eau par un trou sur le flanc, alors comment se fait-il que vous n'ayez pas sombré ?
Le marchand fouille dans le pli de son manteau et en ressort un pain déformé, tout gonflé d’eau.
- Cette miche de pain, apportée par un tourbillon de vent, est venu se plaquer sur le flanc du bateau, juste sur la fissure et l'a colmatée : c’est cela qui nous a sauvés
Salomon sourit :
- Il me semble savoir d'où vient ce pain … il pourrait bien appartenir à une femme venue ce matin porter plainte contre le vent qui a emporté son dernier pain au moment où elle s'apprêtait à le manger. Salomon cherche des yeux la vieille femme, l'aperçoit et l'interpelle : Reconnais-tu cette miche ?
La petite vieille s'approche à petits pas et regarde le pain :
- Mais oui, c’est justement la miche que le vent m’a arrachée. Je reconnais le dessin que j'ai tracé dessus.
- Si ce pain t'appartient, les 7 000 pièces d’or t’appartiennent aussi, reprit Salomon. Dieu n’a pas oublié ta bonté et il a ordonné au vent de te sortir de la misère. Ce que tu avais pris pour une injustice, un malheur, est devenu Bonheur. Désormais, tu ne manqueras plus de rien.
La nouvelle de cette histoire extraordinaire se répandit dans tout le royaume, et chacun loua la justice divine et la sagesse de Salomon, roi d’Israël. (source Contes juifs, racontés par Leo Pavlat, Etitions Gründ)
De cette histoire, Salomon a tiré une sentence qu'il consigna dans le livre de l’Ecclésiaste (11:1) :
 Jette ton pain sur la face des eaux, car avec le temps tu le retrouveras.
En découvrant ce conte, j'ai compris enfin tout le sens de cette pensée jetée sur la face du temps...

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