Il était une fois un joli brin d'avoine vert tendre,
qui s'était enfui du champ où étaient réunis tous ses frères en rangs serrés et
ondulants comme un lac jaune doré, sous les caresses soupirantes du vent. Il avait élu domicile, poussé par le hasard
et la bonne fortune, sur le bord du potager du maître des lieux. Il avait trouvé une terre grasse, onctueuse,
et croissait bellement au bout d'une rangée de carottes vertes et soyeuses,
entre une ligne de gros oignons blancs d'Espagne et un peloton de poirées,
cette bette à carde chantante sous la brise, aux tiges comme des céleris et aux
feuilles étalées en ombrelles vertes et sombres. Le brin d'avoine s'était fait l'ami de
tous. On l'aimait bien. Il occupait peu de place tout étroit qu'il
était. Il était mince, et ne couvrait
personne de son ombre pour le priver du soleil.
Et sa petite voix de clochette, bien accordée comme un carillon
d'église, toute petite, charmait tous les locataires du potager.
À ses pieds, tentait de percer une herbette qu'à
première vue, il avait ignorée. Une
herbe importune, une mauvaise herbe comme il peut s'en trouver dans un potager
de bonne famille. Mais la petite se fit
insistante, grandit et grandit tant, qu'elle fit une magnifique fleur à bouton
doré et à la collerette de blanches pétales bien ordonnées. Une marguerite, une magnifique fleur qui
pliait gracieusement la taille et effleurait doucement le brin d'avoine au
moindre souffle. Parfois même, leurs
tiges s'élançaient au point où, si on ne leur voyait pas les pieds, on pouvait
penser qu'il s'agissait d'une petite marguerite à clochettes, ou d'un long brin
d'avoine à marguerite. Le brin d'avoine
en devint très rapidement amoureux. Il
agitait généreusement ses petites cloches pour lui murmurer des mots doux pour
elle seule, à l'oreille, sans que personne d'autre ne l'entende. La petite fleur baissait tendrement les yeux
et frémissait timidement de la collerette.
Elle n'était pas indifférente aux compliments, et il faut dire, qu'il
avait fier allure notre brin d'avoine, avec sa longue feuille verte et son
carillon d'opérette, son carillon d'amoureux transi. Les jours filèrent, et nos amis aussi
filèrent le parfait bonheur qui vient avec le parfait amour. Amour de caresses chuintantes, de parfum
discret, de doux touchers de tiges discrètes.
Mais près de la maison, bien loin du potager et des
amoureux, il y avait des rosiers. De
beaux, de magnifiques rosiers, mais aussi des rosiers pompeux, arrogants. Les fleurs de velours se targuaient d'être
les plus belles, les plus protégées, les plus en sureté dans leurs épines
acérées. La vue de l'humble marguerite,
simple, blanche, sans couleur si ce n'est que pour son coeur d'or, les faisait
rire à grands éclats, du pourpre de leur teint soyeux. «Regardez-vous donc, criaient-elles, vous et
votre simplicité, vous et votre amour impossible. Vous faites pitié.» Et la petite fleur, pleurait doucement,
reniflait un sanglot au grand désespoir des légumes du potager, qui les
aimaient bien ces deux gentils amoureux.
Puis
vint un bel après-midi, où la fille aînée de la maison se tailla un gros
bouquet de roses pour sa chambre. Au
passage, elle vit notre couple et remarqua: «comme ils sont gentils, comme ils
sont doux ces toutes petites plantes.
Mettons-les dans notre bouquet. Elles
atténueront le rouge de ces roses qui vraiment, à la longue, peut être
agressif.» Sitôt dit, sitôt fait. Et le couple se retrouva au milieu du bouquet
de roses, à la place d'honneur. Leurs
pieds trempent dans l'eau fraîche, ils
sont ensemble pour toujours.
Comme ils sont heureux! Et
lorsque les amies de la jeune femme visitent sa chambre, elles font: «comme
c'est charmant, ce brin d'avoine et cette blanche marguerite au coeur de ton
bouquet: si simples, si tendres. Tes
roses sont rehaussées par leur présence.
Mais où donc as-tu eu l'idée?» Et
toute fière, elle répliquait: «les roses, c'est bien, c'est beau, et leur
parfum nous charme, mais la marguerite
nous enseigne ce que l'on doit être: pousser droit, aimer les petits comme ce
brin d'avoine et être simple.»
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