Il y a très très longtemps, dans un pays baigné par
la mer et le soleil, vivait un riche seigneur très puissant. Son peuple lui
était fidèle et le respectait ou plutôt il le craignait. Ce seigneur possédait
tout ce qu’un seigneur peut posséder et pourtant, il n’était pas heureux. Son
malheur venait de son mauvais caractère. Il se mettait en colère pour des
riens, n’était jamais satisfait, n’aimait rien et ne désirait rien. Bien plus,
il terrorisait ses domestiques et se montrait souvent sans cœur pour son bon
peuple.
Mais en plus d’être colérique, il était belliqueux
et il attaquait ses voisins sans raison. Un matin, il décida de partir en
guerre contre son voisin du Sud. Ses troupes étaient nombreuses et bien armées
et elles eurent tôt fait de gagner la bataille et d’agrandir la terre du
seigneur qui n’en avait pourtant pas besoin. Malgré cette victoire, le seigneur
n’était toujours pas heureux.
Les troupes revinrent au pays. Elles furent
acclamées par la foule. Les rues avaient été décorées de guirlandes de fleurs
et de papier pour l’occasion. Les fanfares jouaient au coin de chaque rue. Les
femmes et les enfants dansaient sur les places. Et le soir, un immense feu
d’artifice fut tiré depuis les hauteurs de la ville. C’était le plus beau feu
d’artifice qu’on n’ait jamais vu de mémoire d’homme. Le peuple était heureux.
Mais le seigneur, loin de se réjouir gardait la mine renfermée et n’était
toujours pas heureux.
Le peuple se posait bien des questions sur son
seigneur triste. A force de le voir, le visage fermé et d’entendre ses soupirs,
chaque habitant se sentit lui aussi gagné par la tristesse. Le seigneur s’en
redit compte et il ne comprenait pas pourquoi ses sujets affichaient des
regards tristes. Il fit seller son plus beau cheval et parcouru toutes les rues
de la ville. Chaque fois qu’il rencontrait quelqu’un, il lui demandait :
"- Dis-moi : qu’est-ce qui ne va pas ? Parle, je te l’ordonne."
L’homme courbait le dos mais n’osait avouer la cause
de sa tristesse. Ils craignaient la colère du seigneur s’il lui disait la vérité.
Tous les gens étaient fatigués de se battre sans raison, d’attaquer sans être
provoqué, de vaincre des voisins qui quelques temps plus tôt étaient des amis
et de trembler à chaque instant dans la peur de ne pas satisfaire le seigneur.
Irrité par le silence de son peuple, le seigneur
cravacha son cheval et s’en fut dans la campagne. Il galopa longtemps,
longtemps, quand soudain, il entendit un bruit étrange. Ce bruit ressemblait au
clapotis de l’eau mais il n’y avait pas d’eau à cet endroit. Intrigué, il arrêta
sa monture et tendit l’oreille pour mieux percevoir le frémissement sonore.
A quelques pas de lui, un petit garçon aux cheveux
châtains foncés et à la peau matte était agenouillé sur le sol. Il était
tellement occupé par son travail qu’il ne remarqua même pas la présence du
seigneur. Une à une, le petit garçon plantait des petite graines qu’il sortait
d’un petit sac en jute. Il chantonnait une chanson très douce qui ressemblait à
l’eau qui caresse les pierres.
En le voyant ainsi affairé, le seigneur sentit
monter en lui une grosse colère. C’était bien la première fois que quelqu’un ne
faisait pas attention à lui. Il se contint cependant car il était intrigué par
la chanson. Au bout de quelques minutes, le seigneur qui n’était pas patient,
se mit à toussoter et le petit garçon le regarda un sourire sur les lèvres. Ses
grands yeux croisèrent ceux du seigneur qui sous le poids du regard de l’enfant
sentit fondre sa colère comme par enchantement. Le petit garçon s’inclina
respectueusement et tendit au seigneur son petit sac de jute contenant les
graines. Il s’en empara et sans même le remercier cravacha son cheval et s’en
retourna vers son palais.
Quand le soir arriva, il posa le sachet de graines à
côté de son oreiller et s’endormit. Au matin, il s’éveilla plein de force et
d’énergie comme les matins où il décide de partir à la guerre. Mais
aujourd’hui, pas de guerre ! Il avait une bien meilleure idée. Il descendit
dans son jardin et se mit à labourer la terre.
Vous imaginez sans peine la surprise de ses sujets.
Le seigneur travaillait dans les jardins du palais en suant sous le soleil.
Jour après jour, mois après mois, par tous les temps, la pluie, la neige, le
gel, il laboura, sema, nettoya les jardins en ne ménageant pas ses efforts.
Un matin, le printemps apparu. L’air embaumait d’une
senteur nouvelle. Les oiseaux dans le ciel chantaient des mélodies aux accents
inconnus. Dans les rues, sous les rayons du soleil, les gens se parlaient en
riant. Mais le seigneur ? Où était le seigneur ? Pourquoi ne se réjouissait-il
pas avec ses sujets ?
Il se tenait tout seul, à l’écart de tous. Dans sa
main, il tenait un petit bouquet de fleurs et de grosses larmes coulaient le
long de ses joues. Il était triste de ne pas savoir pourquoi il était triste.
Partout autour de lui, ce n’était que joie et bonheur mais dans son cœur, la
peine était encore plus grande qu’à l’habitude. Il avait tant travaillé pour
donner un superbe jardin au palais. Il avait cru qu’en se dépensant sans
compter, il trouverait enfin la clé qui mène à la joie. Hélas ! Mille fois
hélas !
Il se désespérait lorsqu’il vit arriver à ses côtés
le petit garçon. Il avait bien un peu grandi depuis le jour où il l’avait
rencontré dans la campagne mais il le reconnut sans peine à ses grands yeux et
ses cheveux foncés.
- "Bonjour, dit l’enfant. Je m’appelle Jeremy.
Regarde autour de toi, Seigneur. Regarde avec ton cœur : l’herbe, les fleurs,
les oiseaux, les papillons, les gens. Tu sais, c’est là le secret du
bonheur".
Il ouvrit les yeux et pour la première fois de sa
vie, le seigneur vit les choses et les êtres comme jamais il ne les avait vus
auparavant. Il remarqua les couleurs, entendit les chants, sentit les odeurs et
la joie emplit son cœur. Il éprouva à cet instant un amour sincère pour son
peuple et il se dit qu’il était grand temps de songer à se marier et à fonder
une famille. En regardant Jeremy, il pensa que ce serait merveilleux d’avoir un
petit garçon comme lui. Il lui prit la main et l’emmena dans son palais.
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