Le jardin de maman De
Jocelyne Marque
Isa courut au jardin. Le vent qui emmêlait ses cheveux
avait un doux parfum de miel et de lilas. Maman désherbait depuis un moment
déjà quand la fillette l’interrompit dans son travail :
- Bonne
fête, maman.
- Merci,
ma gentille fée, mon lutin de Mai…
Ces petits noms étaient la seule marque de tendresse que
lui accordait sa mère. Elle ne l’embrassait que rarement, ni ne la prenait sur
ses genoux.
Isa rêvait d’être
une vraie fée : elle transformerait alors mille choses inutiles autour
d’elle ! Ce jardin d’herbes folles qui refusait parfois de se plier
parfois aux exigences de sa maîtresse, serait son premier acte de magicienne…
Un coup de baguette magique et l’enchevêtrement sauvage disparaîtrait.
Elle ignorait que cette lutte incessante contre le
désordre vert, procurait au contraire un plaisir immense à sa mère. Elle ne
voyait pas dans les yeux de cette dernière, la clématite et la rose trémière,
reconnaissantes, danser de joie.
Une petite voix désagréable, bien cachée en son for
intérieur, lui susurra tout à coup que le jardin occupait une bien trop grande
place dans le cœur maternel. La mère et la fille se comprenaient si peu… Alors,
chagrine, Isa préféra s’éloigner.
Sur les graviers dorés de l’allée, le chat imperturbable,
faisait sa toilette au soleil. Elle traversa le pont orné d’une glycine puis
elle franchit la ligne invisible qui sépare le jardin de la forêt. Sa
silhouette fluette se refléta un instant dans l’eau claire du ruisselet pour
s’évanouir aussitôt.
Plus la petite avançait, plus elle constatait avec
étonnement que le paysage s’animait. Elle connaissait déjà les lieux mais
jamais elle n’était venue seule et jamais elle n’avait vu ce qu’elle voyait à
présent.
Des papillons multicolores firent la ronde autour
de sa tête tandis qu’un lapin roux marchait dans ses pas. Un saule secoua sa
longue chevelure ébouriffée sur son passage et un noisetier l’accrocha de ses
branches pour la retenir.
La fillette croisa une jeune femme coiffée d’un ravissant
chapeau de paille. Cette dernière la salua :
- Bonjour
Isa. Tu te promènes sans ta maman, un jour de fête des Mères ? Elle doit
se sentir bien seule…
- Non,
elle a ses roses et ses mauvaises herbes pour lui tenir compagnie.
- Je sens
là une pointe de contrariété. Sais-tu que nous l’aimons tous ici car elle prend
soin de nous ?
Comme le visage de la fillette s’assombrissait,
l’inconnue ajouta avec un sourire :
- Je suis
Violette, la fée des bois et des fleurs. Tu as du m’apercevoir, au printemps,
dans ma belle robe mauve, près de ta maison…
- Regarde
ta maman. Tu peux la voir mais elle, non, car tu es invisible.
Sa mère taillait un rosier, avec précaution et tendresse.
C’était le cadeau que sa fille lui avait offert, l’an passé.
Des mots d’amour s’levèrent alors :
- Rosier,
fais-nous de belles roses, aussi belles que mon Isabelle, ma petite chérie que
j’aime tant.
La fée et la fillette étaient, à présent, près du grand
saule chevelu.
- Ainsi,
tu connais les pensées de ta maman… Je t’ai emmenée près d’elle pour que tu les
entendes.
Les mots sont parfois si difficiles à prononcer, même les
plus doux ! Maintenant, tu vas rentrer, mais je veux te donner ceci, pour
te protéger, toi et ta famille…
Elle tenait dans ses paumes ouvertes, trois plumes de
fauvette, qu’elle laissa s’envoler, au gré du vent.
Isa passa le pont de bois et la première plume glissa
dans l’eau vive. Le chat ronronnait, allongé sur les graviers dorés et la
deuxième plume disparue dans les massifs aux longs iris.
Quand la troisième plume tournoya très haut dans le ciel
bleu, la fillette avait déjà rejoint sa mère et elle riait sous le poids de ses
baisers.
Le jardin soupira d’aise et s’endormit paisiblement sous
le soleil du mois de mai.
Un parfum de violette voltigeait, ici et là…
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