Il était une fois une belle jeune fille, qui
s'appelait Fanny, et qui était très riche. Elle était fille unique, et ses
parents écoutaient tous ses caprices, de sorte qu'elle devint aussi fière et
aussi insupportable qu'elle était belle.
Quand elle eut l'âge de se marier, il arriva une
foule de prétendants pour l'épouser ; mais Mamzelle Fanny ne trouvait personne
à son goût, et se moquait de tous ceux qui se présentaient.
L'un était trop riche, l'autre trop pauvre; l'un
était trop grand, l'autre était trop petit ; l'un avait de trop grands yeux,
l'autre louchait, etc. Enfin, il y avait toujours quelque chose qui clochait.
Le temps passait et Mamzelle Fanny refusait tout le
monde; si bien que personne ne la demandait plus et elle restait toujours
fille.
La maison de ses parents donnait sur la rivière ; et
elle voyait souvent un jeune pêcheur, qui jetait ses filets, ou revenait de la
pêche en chantant. Il s'appelait Languio. C'était un beau garçon, fort, hardi
et vigoureux ; mais un pêcheur était si peu de chose aux yeux de la belle
Fanny, quelle n'y faisait aucune attention.
Pourtant, à force de voir Mamzelle Fanny à sa
fenêtre, regardant les bateaux qui passaient sur la rivière, Languio en était
devenu amoureux fou.
Un jour, prenant son courage à deux mains, il se
rendit à la maison de Fanny, et demanda bravement au père la main de sa fille.
Le père fut bien surpris de cette demande ; mais il
savait sa fille si capricieuse, qu'il pensa que Fanny avait peut-être remarqué
ce beau garçon. Il la fit donc appeler, pour lui faire part de la demande du
pêcheur. En entendant cela, Mamzelle éclata de rire.
«Moi ! dit-elle d'un air méprisant, épouser ce
malheureux qui n'a même pas de chemise !»
Elle lui tourna le dos et rentra dans sa chambre,
tout furieuse. Le pêcheur s'en alla bien triste, mais toujours amoureux. Le
temps se passait, et toujours Mamzelle Fanny restait fille.
Un jour que Languio avait pêché un superbe poisson,
il ne prit pas le temps de s'habiller, et courut à la maison de la belle. Là,
il offrit sa magnifique prise au père, et lui demanda encore la main de sa
fille.
Fanny se mit encore plus en colère que la première
fois, déclarantqu'elle n'épouserait jamais un homme qui n'avait même pas de
culotte. (Car Languio s'était si fort empressé de venir, qu'il n'avait que son
calimbé).
Languio s'en retourna bien triste, mais toujours de
plus en plus amoureux de Mamzelle Fanny, à qui il pensait nuit et jour.
Enfin, un jour, il remplit tellement son filet, que
les mailles rompaient sous le poids des poissons. Il se rendit à la maison de
Fanny ; et, après avoir déposé sa pêche miraculeuse, il demanda de nouveau au
père la main de sa fille.
Fanny arriva, pour voir qui était là ; mais à peine
fut-elle entrée dans la salon, qu'elle s'enfuit en se bouchant le nez, et en
disant qu'elle n'épouserait jamais un malheureux qui sentait le fraîchin (marée
fraiche).
Languio se retira donc encore, le coeur bien triste,
et désespérant de jamais pouvoir épouser celle qu'il aimait tant.
Or, il y avait aux alentours, un ogre terrible, qui
enlevait les femmes et faisait trembler tout le monde. Cet ogre entendit parler
de la belle Fanny ; et un jour qu'elle se promenait au bord de l'eau, il parut
tout à coup devant elle. Il était aussi haut qu'un palmiste et si effrayant, que
Mamzelle Fanny s'évanouit de peur.
L'ogre la prit dans ses bras comme un petit moun,
(un petit enfant), et l'emporta dans son château où il l'enferma. Les parents
de Fanny avaient bien du chagrin, car ils l'aimaient beaucoup, malgré tous ses
caprices et ses défauts.
Ils firent annoncer dans tout le pays que si
quelqu'un, riche ou pauvre, délivrait Mamzelle Fanny, il deviendrait son mari.
Mais elle avait tellement rebuté tout le monde par
son orgueil et ses moqueries, que personne ne voulait se déranger pour elle, et
surtout s'exposer à une mort presque certaine, étant données la force
prodigieuse et la férocité de l'ogre.
Mais Languio le pêcheur avait appris l'enlèvement de
Mamzelle Fanny ; et il s'était bien juré que lui seul la ramènerait saine et
sauve chez ses parents.
C'est pourquoi, sans rien dire à personne, il monta
dans sa pirogue, prit ses pagayes (rames), une corde et quelques provisions ;
puis il descendit la rivière, jusqu'à ce qu'il fut arrivé devant le château de
l'ogre.
Celui-ci avait enfermé la belle Fanny dans une
chambre qui donnait sur la rivière, pour être plus sûr qu'elle n'en sortirait
que le jour où elle deviendrait sa femme.
Tous les matins, l'ogre entrait dans sa chambre, et
lui demandait si elle voulait l'épouser. — Jamais ! Répondit Fanny avec
horreur; puis l'ogre se retirait, fermant la porte au verrou et lui faisant de
terribles menaces.
Un jour que l'ogre venait de la quitter, et était à
prendre son repas, Mamzelle Fanny entendit tout à coup sous sa fenêtre le bruit
de deux pagayes qui plongeait dans l'eau, et la voix d'un homme qui chantait.
Elle écouta la chanson qui disait :
Trad.
Ça mo-mêm' Languio, (C'est moi-même Languio)
Mo pa gagné chimise ; (Qui n'ai pas de chemise).
Languio, ça,
Gourdoum ! (Onomatopée des rames plongeant dans l'eau).
Ça, Languio !
Mo pa gagné chimise ; (Qui n'ai pas de chemise).
Languio, ça,
Gourdoum ! (Onomatopée des rames plongeant dans l'eau).
Ça, Languio !
Mamzelle Fany soupira, en pensant au pauvre pêcheur
qu'elle avait repoussé ; mais la voix reprit :
Ça mo-mêm' Languio,
Mo pa gagné quilotte ; (Qui n'ai pas de culotte).
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio !
Mo pa gagné quilotte ; (Qui n'ai pas de culotte).
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio !
Mamzelle Fanny écoutait, toute tremblante. La voix
se rapprochait toujours, et elle disait :
Ça mo-mêm' Languio,
Mo qu'a senti fraîchin ; (Qui sent le fraîchin).
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio
Mo qu'a senti fraîchin ; (Qui sent le fraîchin).
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio
Mamzelle Fanny rougit, en pensant au pêcheur qu'elle
avait méprisé; elle se pencha sur la fenêtre, et vit Languio lui-même, qui la
salua et lui dit :
— Je suis venu pour vous sauver, Mamzelle Fanny, et
je vous sauverai, si vous le voulez bien.
— Comment le pourrais-tu ? dit-elle
.
— Descendez dans ma pirogue, mamzelle, et je vous
ramènerai chez vous, si vous voulez bien le permettre.
— J'irai dans la barque avec toi, dit Fanny, pourvu
que tu me sauves de l'ogre.
— Mais je n'ai pas de chemise, dit Languio.
— N'importe ! dit Fanny.
— Pas même une culotte, fit le pêcheur.
— Tu as ton calimbé, cela suffit.
— Mais ma barque est vieille, et puis je sens si
fort le fraîchin! Continua-t-il.
— Sauve-moi, Languio ! Sauve-moi, par pitié !S'écria
Fanny, car il faisait mine de s'éloigner, je te suivrai où tu voudras.
Le pêcheur lui dit alors qu'il fallait attendre la
nuit, afin de n'être pas vues des serviteurs de l'ogre. Il cacha sa barque dans
les roseaux, se coucha dans l'herbe, et attendit la nuit.
Quand tout fut sombre, il poussa son bateau sous la
fenêtre, et, à l'aide de la corde apportée par lui, il fit descendre mamzelle
Fanny dans la pirogue. Il s'éloigna ensuite avec elle, en pagayant de toutes
ses forces.
Les parents de belle Fanny étaient au bord de l'eau, ne s'attendant guère à la revoir jamais, quand ils entendirent tout à coup un bruit de pagayes, et une voix d'homme qui chantait joyeusement :
Les parents de belle Fanny étaient au bord de l'eau, ne s'attendant guère à la revoir jamais, quand ils entendirent tout à coup un bruit de pagayes, et une voix d'homme qui chantait joyeusement :
Ça mo-mêm' Languio,
Mo qu'a ramèn' ma belle,
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio !
Mo qu'a ramèn' ma belle,
Languio, ça,
Gourdoum !
Ça, Languio !
Le pêcheur arrêta sa barque, et Fanny se jeta au cou
de ses parents.
Ils reçurent le brave garçon à bras ouverts, et dès
le lendemain Languio devint l'époux de la belle Fanny.
(Conté par Irénée Buja, de Cayenne (Guyane
française).
MADAME VAUGEOIS.
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