Un homme vient tout juste d’être père. Et pour la première fois,
il pleure de joie.
C’est le plus beau jour de sa vie.
Il veut aussitôt faire un cadeau à son
fils, son bébé, son premier-né, mais, comme souvent les pères, il n’a aucune
idée de cadeau. Il a beau réfléchir un jour, puis deux, puis trois, il tourne
en rond et finit par demander conseil à sa femme.
— Pourquoi tant te tracasser ? Quel que
soit ton cadeau, tu fais bien. Le cadeau d’un père à son enfant, c’est toujours
le plus beau des cadeaux !
L’homme fronce les sourcils :
— Des mots tout ça, je veux une idée de
cadeau, moi.
Toujours en quête d’un conseil utile, le
père interroge ses plus proches amis.
— L’amour, voilà le plus beau cadeau. Celui
qui reçoit de l’amour, reçoit tout. Celui qui manque d’amour, manque de tout.
Mais le père hausse les épaules :
— Encore de belles paroles !
Toute la nuit, il passe en revue les
jouets qu’il connaît : ballons, billes, balles, bulles, peluches, marottes,
hochets, clochettes, mobiles, cheval à bascule, mikado, lego, petits chevaux,
tirelire, crayons de couleurs, poupées, canes, dés, puzzles, déguisement de
pirate… Les jouets défilent devant ses yeux et les idées tournent dans sa tête
comme une toupie.
« Une toupie ! Voilà une bonne idée
de cadeau pour mon fils, mon bébé, mon premier-né ! » Et, tout excité, le père
attend l’heure d’ouverture du magasin de jouets, au coin de sa rue. Il veut
être le premier client.
— Bonjour, madame, je voudrais, s’il vous
plaît, la plus belle toupie du magasin.
C’est pour mon fils, mon bébé, mon premier-né. Je veux ce qu’il y
a de mieux. Le prix n’a aucune importance.
La vendeuse sourit et, farfouillant dans
un tiroir derrière le comptoir, elle en sort une toupie multicolore.
— C’est vraiment la plus belle toupie de
votre magasin ?
— Certainement, monsieur. Regardez, je la
fais tourner sous vos yeux. Quel voyage au pays des couleurs ! Cette toupie
resplendit comme un vêtement tout neuf !
À ces mots, le père ne dit rien mais n’en
pense pas moins : « Si cette vendeuse me dit que cette toupie resplendit comme
un vêtement pour mon nouveau-né ! » Et il sort précipitamment du magasin de
jouets pour se rendre dans le magasin de vêtements d’enfants le plus proche.
— Monsieur, s’il vous plaît, je voudrais
un pantalon, le plus beau pantalon du magasin. C’est pour mon fils, un tout
bébé, un nouveau-né. Je veux ce qu’il y a de mieux, le prix n’a aucune
importance.
— Je vois, dit le vendeur. Un pantalon de
premier âge, pour un cadeau de naissance, n’est-ce pas ?
— Oui, c’est ça. Mais de première qualité,
je veux ce qu’il y a de mieux.
— Nous ne faisons que la première qualité,
monsieur. Ne vous inquiétez pas, j’ai ce qu’il vous faut.
Et le vendeur se saisit d’une boîte, tout
en haut d’une étagère, il l’ouvre et en sort un petit pantalon enveloppé dans
du papier de soie, un adorable petit pantalon couleur ciel clair.
— Touchez, monsieur, la qualité de ce
tissu est exceptionnelle.
— Mais c’est vraiment le plus beau
pantalon de bébé du magasin ? s’inquiète le père, répétant : Je veux ce qu’il y
a de mieux !
— Je vous assure qu’il n’y a pas plus
confortable que ce modèle. Le tissu est doux, moelleux, comme la mie du pain
tout chaud qui sort du four.
Le père sursaute à ces mots et réfléchit : « Si ce vendeur
me dit que le pantalon pour mon
fils est doux comme la mie du pain qui sort du four, alors un pain tout chaud,
c’est mieux pour mon bébé, mon nouveau-né ! »
— J’ai changé d’avis, dit-il au vendeur,
et le père sort précipitamment pour se rendre à la boulangerie.
— Je veux le meilleur pain, celui qui est
tout chaud, celui qui vient de sortir du four. C’est pour mon fils, mon bébé,
mon premier-né. Je veux lui offrir le plus beau des cadeaux !
— Ah, dit la boulangère, quelle bonne idée
! Après le lait de sa mère, le bébé doit sentir l’odeur du pain et la douceur
de la mie, c’est important aussi.
— N’est-ce pas ? dit le père tout heureux.
Mais je veux le meilleur pain de la boulangerie !
— Voilà, monsieur, prenez, il est tout
chaud, et croyez-moi, la mie de ce pain-là est aussi tendre et fondante que la
chair d’un petit agneau qui vient de naître !
« Ça par exemple ! se dit le père, si la
boulangère me dit que son pain est aussi fondant que la chair d’un agneau,
alors un agneau c’est mieux pour mon bébé, mon nouveau-né ! » Et le père rend
le pain à la boulangère, marmonne une excuse et, une fois dehors, fonce tout au
bout de la rue, à la sortie de la ville, où commence la campagne.
— Berger, berger, cherche-moi le plus
petit, le plus tendre, le plus fondant de tes agneaux, je veux faire un cadeau
à mon fils, mon premier-né. Je veux le plus bel agneau de ton troupeau, le prix
ne compte pas !
— J’en ai justement un de quelques jours.
Le petit tient à peine sur ses pattes et n’a pas encore quitté sa mère.
— Ce qu’il me faut, c’est ce qu’il y a de
mieux !
— Je vous comprends ! Un agneau qui vient
de naître, c’est un joyau, c’est aussi précieux que l’or !
« Ah ! décidément, se dit le père, si le
berger me dit que son agneau est précieux comme de l’or, l’or c’est mieux pour
mon bébé, mon nouveau-né ! »
— Désolé, j’ai changé d’avis. Sans
hésiter, le père fait demi-tour et, d’un pas alerte, retourne en ville chez le
bijoutier.
— Je veux de l’or, le plus doré de la boutique. Le prix ne compte
pas, je veux ce qu’il y a de mieux, c’est pour mon fils, mon bébé, mon
premier-né !
La bijoutière sourit, amusée :
— Je vous propose mieux que de l’or, de la
poussière d’or ! Comme vous n’en avez jamais vu. Admirez-moi cette finesse,
cette fluidité, cette brillance, comparable à une poussière d’étoiles dans la
nuit noire…
— Oui, c’est très beau, mais je veux le
plus beau, de jour comme de nuit, pour mon fils, la chair de ma chair,
montrez-moi ce que vous avez de mieux !
— Je tiens cette poussière d’or pour aussi
délicate qu’une eau de parfum d’immortelles !
« Dans ce cas, raisonne tout bas le père,
autant offrir une eau de parfum d’immortelles à mon fils, mon bébé, mon
premier-né ! »
— Désolé, dit-il à la bijoutière, mais
j’ai changé d’avis.
Et il sort pour se rendre chez le
parfumeur.
— Donnez-moi, je vous prie, un flacon de
parfum d’eau d’immortelles. C’est pour mon fils, mon bébé, mon nouveau-né, je
veux lui offrir le plus beau des cadeaux, le prix est sans importance.
— Eh bien, vous ne pouviez pas mieux
choisir que cette eau de parfum du paradis. Elle est si subtile, si délicate…
Par les temps qui courent, je dirai même qu’une eau de fleurs d’immortelles est
aussi rare qu’une colombe de la paix.
« Eh bien alors, se dit le père, autant
offrir une colombe de la paix à mon fils, mon bébé, mon nouveau-né ! »
Et s’adressant au parfumeur :
— Je reviendrai, merci beaucoup pour le
conseil !
Et le voilà qui court chez le marchand
d’oiseaux.
— Montrez-moi, s’il vous plaît, une
colombe de la paix. C’est pour mon bébé, mon nouveau-né, je veux lui faire un
cadeau qui n’a pas de prix !
— Regardez-la, dans la cage derrière vous.
Admirez la simplicité, la blancheur des ailes ; il ne lui manque que le rameau
d’olivier dans le bec !
— Oui, oui, dit le père tout excité
d’avoir peut-être trouvé le cadeau pour son fils. Est-ce que c’est vraiment ce
que vous avez de mieux à me proposer ? Je n’achèterai que ce qu’il y a de mieux
!
— Ne craignez rien, je vous assure qu’une
colombe comme celle-ci, c’est si précieux qu’un premier baiser d’amour !
— Un premier baiser d’amour, s’écrie le
père… Attendez, j’ai changé d’avis, je vous en supplie, suivez-moi !
— Volontiers.
Et voilà le marchand d’oiseaux qui suit le
père dans la rue. Ils arrivent devant la parfumerie où le père appelle le
vendeur :
— Venez, venez, suivez-nous !
Le parfumeur ferme son magasin et suit le
marchand d’oiseaux qui suit le père. Ils arrivent devant la bijouterie. Le père
invite la bijoutière à fermer la boutique pour les suivre. Elle suit le
parfumeur, qui suit le marchand d’oiseaux, qui suit le père jusque dans les
champs.
— Berger, berger, suivez-nous !
Le berger laisse le troupeau à son chien
pour suivre la bijoutière, qui suit le parfumeur, qui suit le marchand
d’oiseaux, qui suit le père. De retour en ville, le père passe à la boulangerie
et la boulangère accepte de suivre le berger, qui suit le parfumeur, qui suit
la bijoutière, qui suit le marchand d’oiseaux, qui suit le père…
Ils arrivent au magasin de vêtements où le
vendeur accepte de les suivre jusqu’au magasin de jouets, et la marchande de
jouets suit le marchand de vêtements, qui suit la boulangère, qui suit le
berger, qui suit le parfumeur, qui suit la bijoutière, qui suit le marchand
d’oiseaux, qui suit le père…
Vous suivez ?
En présence de sa femme et de tout son
petit monde réuni, le père, enfin rassuré, va chercher son fils, son bébé, son
premier-né.
Il le tient tendrement dans ses bras et,
devant tous les témoins, il lui donne enfin le plus beau des cadeaux, ce qu’il
y a de meilleur au monde, un baiser, le plus doux des baisers.
Muriel Bloch
Collectif
Les plus beaux contes
de conteurs
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