L’homme du
garage
Ce
matin-là, ça a été bizarre. Nous venions à peine d’entrer en classe. Nous
n’avions même pas ouvert nos sacs à dos. Madame Laura nous a demandé de mettre
nos vestes et de ne pas oublier nos écharpes et nos bonnets. Nous allions
partir tous ensemble ! J’ai mis ma veste et mon écharpe, puis j’ai aidé Beka.
Il ne sait pas encore nouer ses lacets tout seul, et ses lacets se défont tout
le temps.
Nous
sommes partis vers la maison de repos. À Noël, nous chanterons avec les
personnes âgées. Elles apprennent des chants de Noël et nous en apprenons
aussi. « Un jour, nous ferons la fête tous ensemble », a dit madame. Nous chanterons
tous ensemble, puis nous chanterons chacun à notre tour.
Nous
sommes passés par la rue que je n’aime pas. Parce que, dans cette rue, il y a
un homme qui s’assied toujours à l’entrée d’un garage. Il met une petite boite
vide devant lui et il attend. Il est sale. Il sent mauvais. Pourtant, des gens
lui donnent parfois un peu d’argent.
Moi,
je préfère rester sur l’autre trottoir.
Avec
la classe, je n’ai pas pu choisir et nous sommes passés sur le trottoir de
l’homme. J’ai retenu mon souffle et je suis passé devant lui sans le regarder.
Madame Laura ne l’a pas vu, je pense. En tout cas, elle ne lui a pas donné de
pièce.
Après
ce matin-là, nous sommes retournés plusieurs fois à la maison de repos. Là-bas,
il y a une vieille dame qui m’aime bien, Lydie. Elle vient toujours vers moi
dès que j’arrive. « Alors, mon petit pirate, ça va ? Tu n’as peur de rien,
hein, toi ? » Elle m’appelle comme ça, petit pirate ! Et c’est vrai que je n’ai
peur de rien. Enfin, presque. Je n’aime pas passer devant l’homme du garage et
pourtant, madame Laura nous fait toujours marcher sur ce trottoir-là.
Jusqu’ici,
personne n’a vu que je retiens mon souffle quand on passe devant lui.
Aujourd’hui,
c’est le jour de la maison de repos. On était en retard. Nous avons dû nous dépêcher
pour partir. J’ai oublié mon écharpe et j’ai fermé ma veste quand nous avions
déjà quitté l’école. Comme d’habitude, madame Laura a choisi le trottoir de
l’homme du garage.
Elle
le fait exprès ou quoi ? Quand on s’est approchés de l’homme du garage, j’ai
pris mon souffle et … et c’est alors que Beka a trébuché. Ses lacets étaient
défaits ! Je n’avais pas eu le temps de les lui nouer avant de partir, il
fallait tellement se dépêcher ! Beka est tombé.
L’homme
du garage s’est levé en un bond. Plus vite que l’éclair ! Il a aidé Beka à se
relever et Beka a dit merci dans sa langue, j’ai juste compris didi, puis il a
encore dit merci en français.
L’homme
du garage a dit quelques mots que je n’ai pas compris. Mais Beka, lui, il a
compris.
Ils
ont commencé à parler et personne ne comprenait rien, sauf Beka, et l’homme
souriait tout le temps. Il ne sentait pas si mauvais que ça. Pas mauvais du
tout, même. Madame s’est arrêtée. Elle a adressé la parole à l’homme et j’ai vu
qu’il savait parler français aussi. Beka a demandé en montrant l’homme :
-
Il est de mon pays. Il peut venir écouter nos chansons ?
-
Je ne sais pas, a dit madame. Je demanderai à la directrice de la maison de
repos.
-
Et si on chantait ici, pour mon nouvel ami ? a demandé Beka.
Ça
alors, Beka ! Quelle drôle d’idée ! Mais c’était une bonne idée…
Maintenant,
quand nous passons devant le monsieur du garage, je prends toujours mon souffle.
Mais c’est pour chanter. Je crois que je suis devenu un vrai petit pirate : je
n’ai plus peur ! Et madame a dit que l’homme du garage pourrait venir à la
maison de repos. C’est normal, elle l’avait bien dit : « Un jour, nous ferons
la fête tous ensemble ! »
Geneviève
Bergé
Mot
clé : juger / justice
Pour aller plus loin…
- Juger. De juger à préjuger, il n’y a qu’un pas. Mais un pas qui
supprime toute possibilité de justice. Dans l’histoire, le « petit pirate »
pense que l’homme du garage sent mauvais. C’est un préjugé. Pourquoi est-ce un
préjugé ? Qu’est-ce qu’un préjugé ? Tu peux en citer un exemple ?
- Est-ce vraiment possible de ne pas avoir de préjugés, penses-tu ?
- Si tu as un préjugé et que tout à coup tu te rends compte que tu t’étais
vraiment trompé(e), que tu avais jugé trop vite, comment te sens-tu ?
Soulagé(e), joyeux(-se), vexé(e), honteux(-se)… ?
- Un préjugé peut être un signe de peur. On a peur de ce qu’on ne
connaît pas. Qu’est-ce qui permet à Beka de surmonter la peur de l’inconnu ?
- Dans les récits de l’Évangile, on voit souvent que Jésus se moque bien
des préjugés. Il va vers les personnes sans préjugé. Tu te souviens de l’un ou
l’autre exemple ?
Comment réagissent les gens autour de lui ?
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