« Le tacot « était le nom donné à un petit train à vapeur qui parcourait
les campagnes du Pilat il y a environ 100 ans. On l'appelait aussi « la Galoche
».Il transportait pas mal de monde : des paysans venus en ville à Saint
-Chamond et à Saint Étienne, des ouvriers des fabriques, des collégiens en
pension à Saint-Étienne, des ouvrières, des apprentis, de jeunes servantes, des
familles, et aussi des animaux. Tout un petit monde qui vivait dans des
villages éloignés, loin, dans la montagne.
C'était la veille de Noël. Il faisait très doux. Le petit train à vapeur
était parti de bon matin comme tous les jours, quand le temps était clément. Il
déchargea à Saint -Chamond bon nombre de personnes, puis reprit sa route...
Le notaire de Pélussin, maître Renaud, était assis à côté de la jeune
Louise, servante dans une maison stéphanoise, très riche. La famille Castel,
avec ses quatre enfants, discutait avec le garde-chasse Marcus. Les collégiens
Charly et Louis, fils des notables bien connus et fortunés, faisaient
connaissance avec Michel apprenti boulanger à peine plus âgé qu'eux. Ce
dernier, après un apprentissage, certes bien réussi, désirait reprendre des
études et interrogeait les collégiens sur leur la vie au pensionnat. Une brave
paysanne prénommée Marguerite s'entretenait avec Auguste le chef cheminot. A la
Terrasse-sur-Dorlay un groupe monta : six jeunes ouvrières fileuses, et deux
hommes : un illusionniste avec sa mule et un marchand ambulant.
- Attendez-moi attendez-moi !
cria l'homme à la mule !
- Hâtez -vous ! Je repars de
suite, lui répondit Auguste.
L'homme tenta de faire monter
la bête dans un wagonnet du fond mais elle refusa. Elle secouait son chargement
d'où sortaient d'étranges cris. Tout à coup une petite tête sortit du sac
accroché à la mule : un singe ! Les enfants et les gens qui regardaient par la
fenêtre le spectacle, se mirent à crier et à rire !
- Un singe ! Un singe !
Deux petits chiens sortirent
aussi du gros sac : deux caniches très jolis et habillés en danseuses qui
montèrent de suite dans les wagons et se mirent à courir dans tous les sens !
Les enfants jubilaient ...Mais la mule, elle, refusait toujours de monter.
Plusieurs hommes du train descendirent et poussèrent la bête ! Impossible !
-« Ça commence bien !« lança
Auguste ! On n'est pas arrivé !
Alors, Marguerite la paysanne
eut l'idée de montrer à la bête deux belles carottes rouges. Cette dernière,
fascinée, suivit Marguerite et grimpa dans le train en un éclair pour se
régaler de la récompense méritée.
Le petit train put enfin
redémarrer. ..Il roulait, roulait avec tous ses voyageurs si différents les uns
des autres. Au bout d'une bonne demi-heure le temps changea : le vent, venu du
Nord, devint glacial. De gros nuages noirs obscurcirent le ciel. A cette
altitude dans le Pilat, en décembre, c'était la neige et non la pluie ! Et il
se mit à tomber de la neige drue tandis que Petit Tacot poursuivait sa route.
La neige recouvrit le paysage alors que le petit train continuait son
ascension...Le brouillard s'invita. Le Petit tacot fut bloqué par d'énormes
congères qui s'étaient formées soudainement, et l'empêchait d'avancer plus
avant.. Tout le monde descendit alors avec des pelles, les filles et les
garçons, et on se mit à repousser la neige. Le froid était vif et plus on
jetait de la neige de côté, plus la congère se reformait plus loin. Au bout
d'une bonne heure de travail, Auguste le cheminot fit remonter tous les
passagers et leur dit :
- Mes amis, cela ne sert à rien
de déblayer ! La congère est trop épaisse et se reforme au fur et à mesure ! De
plus, il fait très froid et bon nombre d'entre vous sont mal chaussés et
pas assez vêtus ! Prenez votre mal en, patience. Je crains que nous ne
soyons bloqués ici pour la nuit !
- Quoi ? Nous allons rester ici
? Questionna Louis, un des deux collégiens. Je veux rejoindre Pélussin et mes
parents !
- Moi aussi s'écria l'autre
collégien Charles, suivi des jeunes ouvrières.
- Eh comment allez- vous faire
? Nous sommes au moins à dix kilomètres de Pélussin.
- Nous sommes à peine à 3 km de
Chuyers. En suivant les rails nous arriverons dans moins d'une heure. Là nous
demanderons de l'aide et nous reviendrons déblayer la voie ! Proposa Charles.
- Il fait trop froid et trop
nuit déjà ! Riposta le cheminot.
- Nous serons de retour dans
moins d'une heure, promis
! lança encore Charly.
- Pure folie ! Il neige et
puis... Le cheminot regarda autour de lui : il y avait les enfants Castel
blottis dans les bras de papa et maman.
- Eh bien quoi ? Qui y a-t-il
d'autre ? Insista Louis qui se préparait à rejoindre le groupe des marcheurs …
- Les loups ! Lâcha le cheminot
! Les loups qui habitent nos bois. Nous sommes sur leur territoire. Le froid et
la faim risquent de les attirer.
Les enfants poussèrent des cris
de terreur !
- Ne craignez rien, les petits
! dit le cheminot. Ici, dans le train, pas de danger ! Nous allons faire un
grand feu avec le poêle que je transporte. Nous serons au chaud et à l'abri.
Nous allons mettre des bougies et des feux autour du train et les loups ne
s'approcheront pas. Ils craignent le feu !
Les marcheurs s'étaient tus et
se consultèrent. La moitié renonça mais quatre d'entre eux, Charles,
Louis, Ann, une petite ouvrière, et Michel l'apprenti boulanger, étaient bien
décidés à tenter l'aventure. Malgré les mises en garde...ils prirent la
décision de rejoindre à pied Chuyers.
- Il n'y a plus de loup ici !
Dit Charles ! Nous en avons parlé au collège ! Ils ont quitté notre région !
Peut-être allons-nous rencontrer l'homme des neiges ? Ajouta-t-il en riant !
- Ne riez pas et restez ici !
Ordonna un des hommes ! Je fais office d'homme de loi. Je suis le notaire de
Pélussin. Je connais vos familles. Louis et Charles ! Je suis persuadé que vos
pères vous interdiraient de partir ainsi et de prendre de tels risques !
Mais les jeunes gens ne
l'écoutèrent pas et descendirent du train.
- Je ne peux les laisser partir
sans fusil ! Intervint Marcus le garde forestier. Et comme on ne peut attacher
cette jeunesse écervelée, alors je vais avec eux. C’est mon devoir ! ajouta-il
avant de descendre rejoindre le groupe de marcheurs.
Les voyageurs parurent
rassurés. Marcus était un grand chasseur courageux et il portait sur l'épaule
son grand fusil. La petite troupe partit donc dans un brouillard épais et
givrant.. Dans le train, le cheminot Auguste aidé du notaire et du père de
famille installèrent le poêle à bois et le mirent en route. Il chauffait bien.
Pendant ce temps nos quatre téméraires marchaient vivement derrière Marcus.
- Restez groupés, à un mètre de
distance, et silence !
Ils venaient de faire cinq
cents mètres quand ils sentirent une présence inquiétante : quatre yeux les
observaient : des loups. Le hurlement de l'un d'entre eux, terrifia les quatre
jeunes :
- Derrière moi ! Hurla Marcus !
Et il tira une fois, deux fois,
trois fois. Un loup fut touché et l'autre blessé s'enfuit en boitant.
- Il ne restait que deux vieux
couples de loups dans le Pilat d'après les recherches ! Dit Marcus .Ces mâles
ont leur compte !
- Que faire à présent ? Dit
Charly
La neige s'était remise à
tomber de plus belle et le froid intense glaçait les visages.
- Demi-tour immédiatement !
Ordonna le garde. Nous n'allons pas aller de l'avant : deux dangers potentiels
: les louves vont venir sur les traces de leurs mâles, et la neige et le froid
s'intensifient ! Chuyers est encore à deux kilomètres 500 ! Trop loin ! Trop
risqué !
Dans le train on avait entendu
au loin les détonnations. Tous scrutaient la voie de chemin de fer. A leur
grand soulagement ils virent enfin les quatre jeunes gens réapparaître avec
Marcus en tête. Ils racontèrent aux voyageurs leur épopée.
- Allez ! Dit le cheminot,
réchauffez-vous et buvez le vin chaud du Jarez.
- Partageons le repas de Noël
tous ensemble, ici ! Proposa la mère de famille.
- Bonne idée ! Répondit
Marguerite la paysanne
- Hourra crièrent les jeunes
collégiens affamés.
- J'ai de la soupe des légumes,
dit joyeusement Louise la jeune domestique placée à Saint-Étienne. J’en ai
beaucoup : deux barriques car mes maîtres devaient faire le réveillon chez eux
et ils ont changé d'avis. Ils m'ont alors autorisée à prendre tout ce que je
voulais. C'est de la très bonne soupe c'est moi qui l'ai faite ce matin. Avec
du lard de la Haute Loire !
- Réchauffons-la ! Dit le
cheminot. Mais comment la manger, nous n'avons point de couverts et d'assiettes
?
- J'ai ce qu'il faut ! Dit la
jeune maman. J'ai des couverts dans cette malle ! Et assez pour tous !
- Je vous propose mes
saucissons à l'ail et aux cèpes, dit Renaud le notaire ! C'est mon frère qui me
les a préparés. Ils viennent du Mézenc ! J'ai également des terrines de
canard d'Usson et un morceau de fourme de Montbrison ! Tout le repas de
réveillon que je devais rapporter !
- Moi, j'ai du bon pain !
Ajouta l'apprenti boulanger ! Du pain que j'ai fait ! Nous en aurons assez !
Et il montra ses grosses
couronnes dorées.
- J'ai aussi des brioches et la
bûche comme on dit !
Tous se précipitèrent pour voir
ces trésors. Marguerite proposa ses crêpes aux oeufs frais qu'elle avait faites
avant de partir, et les couvrit de bonne confiture d'airelles, de framboise et
de miel. Le jeune couple proposa un jambon cru, et des noix. Ann la petite
ouvrière offrit des oranges, ses amies Bertille, Sophie, Lucie, Jeanne et Manon
des fruits secs, du nougat, du vin doux des chocolats, de la pâte de coing, et
des fruits déguisés .Toutes ces bonnes choses, nos jeunes ouvrières les avaient
achetées avec leurs petites payes au marché de la ville. C'étaient les cadeaux
pour leur famille. Marcus ouvrit ses bonnes bouteilles du Jarez. Le cheminot
Auguste son cognac et son café. Bref. Ce fut un joyeux réveillon très gourmand
où rien ne manqua. Les deux collégiens quant à eux n'avaient rien à offrir
à manger. Ils proposèrent d'interpréter à minuit les chants de Noël appris à la
chorale du lycée et qu'ils auraient dû interpréter à l'église de Pélussin cette nuit ! L'illusionniste Jeannot proposa
son spectacle, n'ayant lui aussi rien à partager comme nourriture ! Le marchand
ambulant restait étrangement muet. Il avait sa petite idée derrière la tête !
Après le repas, Jeannot fit un
spectacle comique avec ses animaux et ses tours de magie et connut un très
grand succès ! La colombe dans le chapeau, la pièce de monnaie qui disparaît...
Il fit danser le singe avec les deux petits chiens, fit retrouver des objets
cachés. Puis il prit son accordéon et tout le monde se joignit à lui pour
chanter...
A minuit, les collégiens
invitèrent tout le monde à descendre du train. Tous s'exécutèrent sauf le marchand ambulant
Pierre qui profita de l'absence des voyageurs pour lui aussi partager Noël et
donner ce qu'il avait. Dans sa malle il y avait pas mal d'objets et de jouets.
Il mit sur le siège des deux petites filles de belles poupées en porcelaine,
sur ceux des garçons un bel ours pour le plus jeune et un train en bois pour
l’aîné. A la place de la jeune maman ainsi que sur les sièges des jeunes
ouvrières, de petits parfums et d'adorables savonnettes à l'eau de rose. Pour
les hommes Marcus, Auguste et Renaud, le jeune papa, et l'artiste, il déposa
sur leurs sièges de belles pipes sculptées et du très bon tabac. Pour les deux
collégiens, des livres:« Les Misérables « et le « Comte de Monte Cristo » et
pour Michel un nécessaire à écrire : plumier, encre et feuille pour l'inviter à
reprendre des études.
Pendant ce temps à
l'extérieur, le ciel s'était dégagé de ses gros nuages et la lune belle
brillait. Alors Charly et Louis chantèrent « Douce nuit », « Le divin enfant, »
et « Les anges dans nos campagnes » « Prenez vos musette gentils pastoureaux, »,
» La marche des Rois ». Le ciel se vida, et devint encore plus clair. La lune
brilla plus fort. Le vent se fit doux, si doux : ce vent venu du sud qui sait
si bien effacer la neige tombée au solstice d'hiver à Noël ! Une étoile filante
traversa la voie lactée et tous firent un vœu, remerciant le ciel de les avoir
protégés. Ils remontèrent dans le train et ce fut l'enchantement !
- Maman ! Maman ! criaient les
enfants ! C'est le petit Jésus qui est venu pendant que nous chantions ! Disaient-ils,
ravis. Les parents souriaient, les larmes aux yeux. Les adultes adressèrent à
Pierre un regard de reconnaissance. Tous avaient été très gâtés cette nuit
magique de Noël !
- Merci ! Dirent-ils
- Merci à vous mes amis ! Dit
Pierre ! Oui, le petit Jésus est passé ici cette nuit ! Ou c'est l'étoile
filante qui a illuminé notre cœur ! Cette nuit m'a offert le plus beau
cadeau de ma vie : des amis! Nous avons partagé ce que nous avions : certains
avaient beaucoup, d'autres peu, mais l'essentiel était que nous soyons ensemble
et unis dans les épreuves ! C'est cela Noël, le message de Noël ! L'esprit de
Noël ! Quelle que soit notre condition, si nous savons nous entraider dans les
moments difficiles comme dans les moments faciles, alors nous pourrons
construire, ensemble, un monde meilleur où l'amour, la solidarité et l'espoir
seront les plus forts !
Tous l'applaudirent.
- Eh bien ! dit maître Pierre,
je ne savais pas que vous parliez aussi bien ! Un vrai prophète et un poète !
Tous saluèrent encore Pierre,
et se souhaitèrent un joyeux Noël, avant d'aller se coucher. Les enfants et les
femmes s'allongèrent sur les banquettes tenant leurs précieux cadeaux serrés
contre leur cœur. Un tour de garde fut organisé par les hommes...La nuit passa
vite. Une très douce nuit. Le lendemain, le vent du sud soufflait toujours et
avait fait disparaître toute trace de neige. Ce vent de Noël qui s'invite en ce
jour si particulier de la nativité ! Plus de neige sur la voie ni sur les
arbres : elle avait disparu, comme effacée. On fit réchauffer du café, du lait
et on finit les brioches de Michel. Puis, dans un nuage de vapeur, le Petit
tacot put reprendre sa route. Une heure plus tard il arrivait à Pélussin au
grand soulagement de toute la population. Tous les voyageurs, étaient sains et
saufs et venaient de passer le plus extraordinaire Noël, un Noël qu'ils
n'oublieraient jamais....
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