Comme chaque
fois, Néo sut que l’année arrivait à sa fin parce que les vacances d’hiver
débutaient enfin. Mais cette fois semblait un peu différente des autres. Les
flocons ne dansaient pas frénétiquement avant d’atterrir sur le rebord de la
fenêtre de sa chambre. Ils tombaient tout raides. Les boîtes aux lettres
étaient tristement en attente de milliers de souhaits qui tardaient, et même le
rouge se délavait. Le monde semblait inanimé, l’effervescence habituelle de
Noël était absente. Même s’il n’avait vécu que cinq Noël jusqu’à présent, il
sentait bien que quelque chose allait de travers. Mais, comme tous les soirs,
Néo enfila sa veste bleue, se mit au lit sous sa courtepointe brodée et Agathe,
sa chatte orange, vint se blottir contre lui.
Alors que, en bas au salon,
la vieille horloge sonnait la onzième heure, un bruit le sortit brusquement du
sommeil. « Une branche d’arbre doit frapper contre la fenêtre », se
dit-il. Mais la nuit était d’un calme absolu : pas de vent. De son lit, il
vit que c’était bien une branche, ou plutôt un bras de sapin qui frappait
résolument à la fenêtre. Néo se leva et ouvrit. C’était toute une communauté
d’imposants sapins qui se tenaient devant lui. Le meneur du groupe gronda d’un
ton réprobateur : « Nous cherchons l’esprit de Noël et nous croyons
qu’il est ici ! » Stupéfait, mais toujours prêt à aider, Néo leur
dit : « Si vous n’étiez pas si massifs, je vous inviterais bien à
entrer. » « Nous sommes grands mais très légers », trancha le
grand sapin en chef. Et, en un rien de temps, ils se retrouvèrent tous réunis
dans la chambre de Néo, le sommet de leurs branches pliant contre le plafond.
C’est alors que le plus trapu d’entre eux la vit. « C’est
elle ! », dit-il d’une voix enflammée. Il désignait une cocotte de sapin
que Néo avait trouvée et ramassée lors d’une sortie avec sa classe. Néo
s’empressa tout de même d’aller la chercher sous les regards insistants de la
communauté des sapins. « Ce n’est pas qu’une cocotte, regarde de plus près
en ouvrant bien grands tes yeux ». Il la vit alors ! C’était la plus
étrange et captivante des créatures qu’il se serait attendu à voir. Cette chose
minuscule était donc l’esprit de Noël ! Elle semblait affaiblie. Une
tempête de pluie ayant fait rage quelques jours plus tôt, elle avait dû être
prise dans le vent et emportée loin de chez elle. Elle avait eu de la chance
que Néo la trouve. « Nous devons la ramener chez elle ! »,
s’empressa-t-il de proposer.
Il glissa la
cocotte et sa locataire dans la poche de sa veste et, d’un ton décidé, regarda
la délégation d’arbres immenses accroupis sous le plafond. Il ne pensa pas un
instant qu’il n’avait pas de chaussures aux pieds, ne se demanda pas non plus
comment se rendre à destination : « Messieurs, savez-vous
voler ? » demanda-t-il. « Bien sûr que non ! Mais nos
racines sont assez longues et solides pour que nous puissions nous déplacer
très rapidement ». Néo s’accrocha vivement à la chevelure d’aiguilles du
premier sapin qui sortait par la fenêtre. D’une seule enjambée, ils pouvaient
traverser une ville entière. Ils franchirent plusieurs océans et continents.
Comme Néo s’y connaissait peu en cartographie, il n’aurait pu dire où il se
trouvait. C’était un lieu vaste, d’un blanc enveloppant et doux pour les pieds.
« Sommes-nous arrivés ? »… « Pas encore ! »
Puis les conifères soulevèrent la couverture blanche et légère qui recouvrait
le sol. Mais, dessous, ce n’était pas blanc du tout ! Une lumière rouge
frappa ses yeux, puis il vit des animaux, certains immenses, parcourir un décor
irréel et festif qui le remplit de toute la joie et de toutes les beautés de
Noël qu’il avait oubliées et qui manquaient cette année. Il sortit la petite
créature de sa poche, ne sachant trop où la déposer. Dans cette partie du
monde, il était plutôt rare de voir un humain, mais un enfant pouvait aisément
passer inaperçu. Escorté par ses amis conifères, il se rendit à un endroit où
se dressait une sorte de siège de glace. Néo savait qu’il devait la déposer là.
La petite créature sortit de sa cocotte et regagna son trône. Comme si ce siège
n’attendait qu’elle, des rayons de glace d’un riche turquoise remontèrent à la
surface pour transpercer la couverture blanche et se répandre en milliers de
fragments.
Le jour commençait à se lever
quand il retourna dans sa chambre, en passant par la fenêtre où tout avait
commencé. Il n’arriva pas à trouver le sommeil et sortit du lit dès que ses
parents se levèrent. L’esprit de Noël avait effectivement retrouvé son
chemin : sa mère s’afférait minutieusement à la fabrication de la maison
en pain d’épice la plus glorieuse qui soit, tandis que sa sœur et son père
étaient déjà dehors à saluer, en riant, les flocons dansants.
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