Un conte pour méditer
quelques aspects de la miséricorde, de Dieu
Il était une fois un roi très puissant qui tomba amoureux d’une
humble bergère. Par un seul regard, elle ravit son cœur. Il n’eut désormais
qu’une envie : l’aimer et être aimé par elle. Tout au long de ses
journées, sans cesse, il pensait à elle. Et de toute l’ardeur de son âme, il
souhaitait qu’elle puisse vivre en son palais, avec lui.
Curieusement, il n’en parla à personne. Il aurait suffi
pourtant qu’il en fasse part à l’un de ses grands pour que celui-ci aille la
chercher. Cette humble bergère accepterait volontiers de quitter son obscure
chaumière pour l’éclat et les fastes du palais royal. Le roi y songeait bien
sûr, mais, plein de délicatesse, il se demandait si sa bergère n’allait pas
être effarouchée en découvrant la splendeur de sa gloire. Si elle se présentait
devant lui, le souverain, siégeant sur son trône d’or en habit d’apparat,
entouré de sa cour et de ses pages, jamais la bergère n’accepterait de croire à
son amour pour elle, si petite et si misérable. Elle penserait, et toute la
cour avec elle que le roi se moque d’elle. Et quand bien même accepterait-elle
de résider au palais, il resterait toujours en elle un soupçon sur la qualité de
l’amour du roi : comment pourrait-il l’aimer vraiment, elle, si petite et
si misérable ? Il préférait donc garder son dessein mystérieusement caché.
Il ne le révélerait que lorsque les temps seraient accomplis.
Le
roi voulait qu’elle croie à son amour, qu’elle accueille vraiment cet amour,
qu’elle se laisse aimer par lui avec confiance. Il voulait aussi qu’elle l’aime
pour lui-même, non pour la splendeur de sa gloire. Il craignait qu’elle fût
subjuguée par sa magnificence. Il ne voulait surtout pas qu’elle s’abaisse
devant lui dans une sorte d’adulation servile. Elle s’en contenterait sûrement,
mais lui non, car il la voulait libre, capable de le choisir vraiment. Son
désir était qu’elle reste elle-même, qu’une fois entrée en son palais, elle
demeure naturelle, franche et gaie, qu’elle soit une épouse aimante et non une
esclave soumise.
Comment
toucher son cœur ? Comme il est difficile à un roi d’aimer une
bergère ! En réfléchissant, il se dit qu’il ne pouvait pas lui manifester
son amour en une seule fois. Il fallait l’approcher doucement. Il se dit que le
mieux serait d’envoyer des messagers. Il les choisirait d’humble condition,
issus du peuple, comme elle. Eux pourraient l’approcher aisément.
C’est
ce qu’il fit. Sans se lasser, à bien des reprises, il lui envoya ses
serviteurs, les messagers. Ils s’approchaient de la bergère, et elle se
réjouissait un temps en les écoutant. Mais dès qu’ils évoquaient « à
peine » l’amour fou du roi pour elle, elle se moquait d’eux, elle devenait
même railleuse : « Si ton roi m’aimait, il ne me laisserait pas les
pieds dans la boue, à trimer dans le froid. Comment croire à de telles
balivernes ? » Et elle les repoussait avec mépris.
Le
roi s’attristait de l’échec de ses messagers. Il désirait tant la hisser à son
rang, la couronner de gloire et d’honneur ! Tenaillé par l’amour, il
résolut d’en faire son égale, non en l’élevant d’emblée au rang royal, mais en
s’abaissant d’abord lui-même. Il voulut se déguiser en berger, alors il
pourrait enfin l’approcher sans intermédiaires. Il était prêt à tout pour elle.
C’est
en caressant ce beau projet qu’arriva le drame : il y eut un attentat
contre lui ! Il en réchappa de peu. Une enquête fut faite : tout
venait d’un ancien vassal qui s’était révolté, pour s’emparer du pouvoir. Il
avait entraîné avec lui le tiers des grands du royaume et une foule de sujets.
Le roi se fit apporter la liste des complices. Et c’est avec une indicible
horreur qu’il y vit le nom de sa bien-aimée… Elle ne croyait vraiment pas à
tout ce qu’avaient annoncé ses messagers. Elle avait tellement méprisé leurs
paroles qu’elle était passée dans le camp ennemi. Le cœur déchiré, le roi
comprenait qu’elle le percevait comme un tyran. Elle avait écouté et cru les
mensonges de son vassal félon. Il sortit et pleura amèrement. Ses gens
l’entendirent se lamenter, comme s’il s’adressait à quelqu’un : « Que
t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? »
Que faire maintenant pour l’approcher ? Si elle le
reconnaissait, elle penserait qu’il vient pour la condamner ! S’il se
déguisait en berger comme il le projetait auparavant, elle pourrait le
reconnaître et s’enfuir à tout jamais. Le roi comprit qu’il n’avait plus qu’une
solution, il fallait qu’il descende plus bas qu’elle. Lui qui était de
condition royale, il devait prendre l’aspect d’un serviteur. Il fallait qu’il
partage la condition du plus vil de ses sujets, ainsi était-il sûr de ne pas
effrayer sa bergère.
Quittant tout, il planta sa tente tout près de sa
demeure. Il l’approcha, il fit ses délices parmi les gens de sa maison. Il
choisissait sans cesse la dernière place. Bien qu’il fût le roi, il venait, non
pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie par amour pour sa
bien-aimée. Longtemps, il la servit ; longtemps, il se dévoua pour elle.
Et lorsqu’il était méprisé par elle ou par l’un de ses proches, il continuait,
le cœur débordant de miséricorde. Tout en la servant longuement comme l’aurait
fait un esclave, il finit par l’intriguer par sa sagesse, sa sagesse
royale ! D’où lui venaient cette grandeur d’âme et cette dignité étonnante
dans la pauvreté ? Un jour, elle lui demanda : « D’où
es-tu ? » Oh, il ne lui révéla pas d’emblée qui il était, cela
pouvait encore l’effrayer. Il essaya plutôt de lui laisser deviner ce grand
mystère. Il voulait qu’elle pressente ce « quelque chose » qui la
dépasse complètement. De plus en plus intriguée, elle s’intéressa à lui
davantage. Petit à petit, goûtant la saveur de ses sages réparties, elle
éprouva le besoin de se rapprocher de lui, elle lui consacra du temps. Elle fit
vraiment attention à lui. Un jour, elle l’invita à sa table pour échanger plus
profondément. Quelle joie alors ! Il prit son repas avec elle et elle avec
lui ! Tout en devisant, elle cherchait à comprendre qui il était.
Alors, l’ayant longuement apprivoisée, il révéla son
identité. Il lui expliqua que pour elle, il avait quitté son palais doré et les
grands de sa cour, que pour elle, il avait choisi de prendre la dernière place,
de souffrir du froid, de la faim et du travail harassant, que pour elle, il
avait subi pendant des années outrages et mépris. Et elle, vaincue par tant de
dévouement et de souffrances assumées, crut à son amour. Touchée au plus
profond, elle pleura, demanda pardon d’être restée si longtemps insensible à ce
si grand amour. Sans attendre, il l’assura de sa mansuétude : « N’aie
pas peur. Ne crains pas, je t’ai aimée d’un amour éternel, aussi je te
renouvelle ma bienveillance ». Comme elle avait attenté à la vie du roi,
et qu’elle risquait la peine capitale, il établit un acte d’amnistie, il lui
fit grâce. Ce fut sa façon à lui de faire justice ; gratuitement, elle
était libérée de ses fautes parce qu’elle avait cru en l’amour du roi.
Celui-ci, profondément heureux d’être aimé désormais,
s’aperçut bien vite qu’il ne pouvait pas rentrer trop vite au château avec sa
bien-aimée : elle était encore si misérable. Comment pourrait-elle être
naturelle avec les gens de la cour ? Il fallait qu’il la prépare à devenir
reine ! Qu’elle puisse se donner à lui avec une liberté souveraine, sans
être apeurée ou simplement gênée par la présence de la cour.
Il la fit belle, plus resplendissante que toutes les
grandes dames de sa cour. Il la revêtit de vêtements somptueux, tissés d’un lin
éclatant et pur. Il lui prépara une lotion parfumée comme on en donne à la
famille royale.
Comme elle ne connaissait que des aliments
grossiers : pains de seigle et galettes de blé noir, il voulut l’habituer
aux mets de la cour. Chaque jour, il lui offrait un pain tout préparé,
identique à celui de la table du souverain. Patiemment, il lui apprenait les
manières d’une reine pour qu’elle se sente chez elle au palais. Et lorsqu’elle
fut prête, il prit avec elle la route de la capitale, et, là, au milieu de tous
les grands du royaume, ils célébrèrent leurs noces. (Ils furent heureux, et ils
eurent beaucoup d’enfants…)
Ami lecteur, la bergère dont
s’est épris le roi du Ciel, c’est toi et moi. Mais il y a de grandes
différences entre notre Roi et celui du conte. Le nôtre est Dieu, au-delà de
tout ; dans son infinie miséricorde, il s’est abaissé jusqu’à partager
notre sort, il ne s’est pas seulement déguisé, il a tout pris de notre
condition. À tel point qu’il doit souffrir et mourir, comme nous, puis
ressusciter afin d’entraîner avec lui sa bien-aimée au palais du Ciel, si elle
le veut bien…
Les références bibliques sont
autant d’invitations à méditer dans le texte même de la Parole de Dieu, c’est
là surtout que la miséricorde nous est révélée.
1. Ep 2,4.- 2. Ct 4,9.- 3. Is 6,5.- 4. Col 1,26 ; Rm
16,25.- 5. Ga 4,4.- 6. Jn 15,15.- 7. He 1, 1.- 8. Jn 5,35.- 9. Ps 8, 6.- 10. Ap
12, 4. - 11. Ap 13, 3. - 12. Lc 24,25.- 13. Mi 6, 3.- 14. Jn 3, 17.- 15. Jn 3,
19-20.- 16. Ph 2, 6-7.- 17. Lc 24, 26.- 18. He 4, 15.- 19. Lc 5, 28.- 20. Jn 1,
14.- 21. Pv 8, 31.- 22. Lc 14, 10.- 23. Mc 10, 45.- 24. Mc 6,2.- 25. Jn 19, 9.-
26. Ep 3, 9. 5, 32.- 27. Ap 3, 20.- 28. Lc 23,35-38.- 29. Ep 2,4.- 30. Is 41,
10.- 31. Jr 31, 3.- 32. Tt 3, 7 ; Rm 11, 6.- 33. Rm 3, 24.- 34. Is 61, 10.- 35.
Ap 19, 8.- 36. 1 Sa 16, 13 ; Lc 4, 18-19 ; 1 Jn 2, 20.-37. Sg 16, 20, Jn 6,51.-
38. Ap 19, 7-8.