Il était une fois un saule pleureur chevelu qui pleurait à froides larmes, sous la pluie, devant une cour d'école. C'est qu'il était tendre, sous son écorce rugueuse, et la misère du monde lui glaçait le cœur.
Mais les gens ne savaient pas que c'était sur eux, qu'il pleurait. Ils disaient:
- Qu'est-ce qu'il a donc, ce larmoyeur, ce triste sire? Avec ses grandes eaux, on dirait une fontaine!
Certains lui donnaient des coups de pied en passant et les enfants lui arrachaient son feuillage à poignées. Alors un matin, il en a eu assez. Il a rassemblé ses racines, son tronc rugueux, ses cheveux verts, ses larmes froides et il est parti. Il avait entendu parler du jardin d'Éden, où tout le monde vivait heureux, au commencement du monde. C'était là qu'il voulait aller.
Facile à dire ! Il était un arbre ! Personne ne lui avait appris à marcher ! Il trébuchait, il tombait, il se relevait, il retombait, il a eu toutes les peines du monde à quitter la ville.
La première personne qu'il a rencontrée était un paysan qui allait au pré chercher ses vaches pour les traire. Il s'est campé devant le saule pleureur en disant d'un ton furieux:
-Dis-donc, toi, a quoi joues-tu? Tu me prends pour un imbécile? Tu voudrais me faire croire que tu marches! Ça ne va donc pas, dans ta tête verte? Tout le monde sait bien qu'un arbre ne peut pas marcher! Donc un arbre ne marche pas! Je vais t'apprendre à te moquer de moi!
Et il lui a donné une grande volée de coups de bâton.
Le deuxième était un ouvrier qui rentrait à bicyclette de l'usine où il avait travaillé la nuit. En voyant l'arbre qui venait vers lui, il a failli se trouver mal. Il est descendu de vélo en disant :
-Un arbre qui marche! Voilà que j'ai des visions ! Je n'ai pourtant pas bu une goutte d'alcool ! Je dois avoir la fièvre et je délire! je suis certainement très malade !
Il tremblait tellement qu'il n'a pas réussi à remonter sur sa bicyclette. Il a continué son chemin à pied, il s'est mis au lit en arrivant et sa femme a appelé le médecin.
Le troisième allait au marché dans sa camionnette. Il a dit:
-Qu'est-ce que je vois de mes propres yeux ? Un arbre qui marche ! Oh ! ça ne peut être qu'un mauvais sujet animé de mauvaises intentions ! Il va peut-être se laisser tomber sur une voiture et écraser d'un coup toute une famille ! Ou peut-être il rêve d'étrangler un enfant avec ses longues branches souples! Il faut le mettre hors d'état de nuire! C'est une mesure d'intérêt général ! Je vais le découper pour le brûler l'hiver prochain dans ma cheminée !
Et il a fait demi-tour pour aller chercher sa tronçonneuse.
Le saule pleureur était à moitié mort de peur. Il avait à peine commencé son voyage et il voyait déjà sa dernière heure arrivée. Il a essayé de courir mais il ne pouvait pas, il s'empêtrait dans ses racines. Il a pris un chemin de traverse mais il savait que l'homme à la tronçonneuse arriverait à le rattraper et dans son cœur, il se préparait à mourir.
C'est alors que le vent est intervenu. Sa plus jeune fille, Petite Brise d'Été avait beaucoup joué dans le feuillage du saule pleureur. Ils étaient amis. Le vent l'a soulevé dans ses grands bras invisibles, très haut dans le ciel - les gens qui levaient le nez à ce moment-là ont cru voir passer une cigogne ou une oie sauvage égarée - et il l'a déposé loin de là, au bord d'une rivière. L'homme à la tronçonneuse a eu beau chercher, il ne l'a jamais retrouvé.
- Vent, a demandé le saule pleureur, sais-tu où se trouve le jardin d'Éden et pourrais-tu m'y conduire ?
- Désolé ! a dit le vent. Désolé ! Je ne peux pas ! Je sais qu'il se trouve au fin fond de la nuit des temps mais je ne connais pas le chemin qui y mène !
- Tant pis! a dit le saule pleureur. Je marcherai tant que je finirai bien par y arriver.
Il a rafraîchi ses racines et il a décidé d'attendre la nuit pour repartir afin de ne pas rencontrer les hommes. Ils sont trop dangereux pour les arbres qui marchent !
La rivière lui a dit:
- Personne ne va plus au fond de la nuit des temps. Tu n'y arriveras pas plus que les autres. Il faudrait que tu marches à reculons très, très vite. Et même comme ça, je ne suis pas sûre que tu le pourrais. Prends plutôt racine sur ma rive. Tu seras bien, ici.
C'était vrai, l'endroit était tranquille et agréable, mais on ne renonce pas si facilement à poursuivre ses rêves et, dès la nuit tombée, le saule pleureur est reparti.
La lune l'a accompagné un moment. Elle était toute jeune, un mince croissant rose dans le ciel.
- Lune, a demandé le saule pleureur, éclaires-tu le jardin d'Éden et pourrais-tu m'y conduire ?
- Non, je regrette, a répondu la lune. Le jardin d'Éden est très loin derrière nous, au fond de la nuit des temps et mes rayons n'arrivent pas jusque- là. Pour y parvenir, il faudrait que le monde se mette à tourner à l'envers et il ne voudra jamais, ça changerait trop ses habitudes. Il va du matin vers le soir, il faudrait qu'il remonte du soir vers le matin. Tu vois un peu les complications! Les gens dormiraient avant de s'être couchés. Ils mangeraient avant d'avoir fait la cuisine. Ils seraient vieux avant d'être jeunes et de retourner dans le sein de leur mère. Les enfants naîtraient avant leurs parents et bien avant leurs grands-parents. Ce ne serait pas pratique du tout et personne ne voudrait en entendre parler. Crois-moi, ton rêve est insensé, tu ferais mieux d'y renoncer. Laisse la vie aller son train et ne te mêle pas de la contrarier !
Mais le saule pleureur n'était pas parti pour s'arrêter si vite et il a continué son chemin.
Maintenant, il marchait bien et d'un bon pas. Il a marché des nuits et des nuits, des semaines et des semaines, des mois et des mois sans trouver le jardin d'Éden. Seulement, à force de marcher, la fatigue l'a gagné. Ses racines se desséchaient, ses branches se cassaient, il n'en pouvait plus et une nuit, il a senti qu'il ne pourrait plus aller beaucoup plus loin. Il se trouvait devant une petite maison blanche avec un jardin superbe, débordant de fleurs. Alors, le saule pleureur a rassemblé ses dernières forces, il a réussi à sauter par-dessus la grille et il s'est allongé sur la pelouse pour mourir.
La maison était habitée par un grand-père, une grand-mère, et deux petites filles qui y passaient leurs vacances. Au matin, les volets se sont ouverts, il y a eu des cris de surprise et tout ce monde s'est précipité autour du saule pleureur.
- Ca, par exemple! Comment cet arbre peut-il se trouver là ? demandait la grand-mère.
-C'est sûrement une fée qui l'a amené ! ont dit les petites filles.
Une fée! La grand-mère pensait qu'il n'y en avait plus sur la terre, qu'elles avaient émigré sur la face cachée de la lune, quand les gens étaient devenus méchants. Mais après tout, peut-être qu'elles revenaient de temps en temps en visite, sans que personne le sache. Elle a approuvé:
- Oui, c'est peut-être une fée. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas pu venir tout seul !
Elle croyait ça, la grand-mère ! Comme elle se trompait! Vous voyez bien qu'en réalité, on n'est jamais sûr de rien !
- En tout cas, a dit le grand-père, il faut vite le planter, il est presque mort, ses feuilles sont toutes flétries !
Il s'est mis à creuser un grand trou près de la terrasse. En un rien de temps, le saule pleureur a été planté et arrosé. Quand il a eu fini, le grand-père lui a tapoté le tronc en disant :
- Vieux frère, va, j'espère que tu vas être tiré d'affaire !
Et le saule pleureur s'est senti tout ragaillardi.
Tous les matins, quand il sortait dans le jardin, le grand-père le regardait et disait:
- Ca a l'air d'aller, vieux frère!
Et tous les soirs il lui apportait deux grands arrosoirs d'eau.
La grand-mère et les petites filles s'installaient sous son ombrage pour raconter des histoires.
Il y avait aussi un chat, Alexandre le Magnifique, qui s'était pris d'amitié pour lui et passait des après-midi entières à ronronner sur une de ses grosses branches.
Le saule pleureur s'enracinait et reprenait vie.
Ce n'était pas le jardin d'Éden, mais ça y ressemblait tellement ! Le saule pleureur a su qu'il était arrivé et que ce petit jardin méritait le voyage. Et maintenant il ne pleure plus jamais à froides larmes, car son cœur d'arbre est toujours plein de lumière et de chaleur !
Le blog de Laurence Lamiable, mamie conteuse