lundi 30 mars 2020

Conte de Jacques Salomé : la petite pelote de "haine".


Le conte de la petite pelote de "haine." Sur la rancune, la violence, les ressentiments.

Il était une fois un petit garçon qui s`était attaché, il y avait de cela très longtemps, à une petite pelote de haine.

Cette petite pelote de haine lui tenait froid au ventre et au coeur.

Il en avait, des fois, qu'il aurait flanché ou renoncé !
Oui, il se servait de cette petite pelote de haine pour ne pas oublier toutes les violences qu'il avait reçues de son père et aussi pour se rappeler tous les reproches qu'il avait envers sa mère...qui avait laissé faire cette violence sur lui, sans intervenir.

Ah oui, il voulait se souvenir, ne pas oublier !

Aussi, depuis bientôt quarante-cinq ans, soigneusement il entretenait ses ressentiments, ses rancoeurs, ainsi qu'une tristesse faite de morosité et d`humour décapant qui souvent blessait même....ceux auxquels cet humour n'était pas destiné.

Sa petite pelote de haine était très bien entretenue, toujours vigilante, toujours présente...

Il avait ainsi mille exemples de souffrances, d`incompréhension, de violences, d`humiliations ou d'injustices qu'il avait reçues ou subies. Dont aucune ne devait être oubliée, jamais de la vie !

Un jour, cet homme, car c'était devenu un homme, décida de ne plus garder sa petite pelote de haine.

Au début ce fut terrible, il avait l'impression d`être nu, démuni, il fut complètement désorienté.

Il dut s'aider en faisant un grand sac, avec deux draps de lits cousus ensemble, pour déposer dedans toutes les aigreurs, tous les souvenirs négatifs qu'il avait en lui...
Rancoeurs et ressentiments emplirent bientôt le sac.

Certains très coriaces, revenaient en lui, même après les avoir déposés dans le sac.
Il ne se découragea pas, continua à les déposer, à se débarrasser de toute cette violence qu'il entretenait en lui depuis tant d'années...en ressassant sa souffrance d`enfant maltraité, en accusant, en se plaignant.

Certains jours il aurait voulu dénoncer au monde entier quels parents épouvantables il avait eus. Pour que tout le monde sache...son malheur et...son mérite d`avoir supporté tant d`injustices !

Quand le sac fut plein, il ne put inviter ses parents pour leur "rendre" tout cela, car le temps avait passé et ils étaient morts tous les deux.

Aussi décida-t-il d`aller déposer ce grand sac de ruminations noires et de ressentiments amers sur leur tombe.
A partir de ce jour, ce fut comme un miracle. Le regard, la bouche, le visage, mais aussi les gestes de cet homme, ne furent plus les mêmes.

Il retrouva une seconde jeunesse et le plus étonnant fut que ses propres enfants commencèrent à s'approcher de lui avec confiance, avec abandon. Car ils avaient très peur de cet homme, lui qui pourtant ne les avait jamais frappés. Ils cessèrent de se disputer entre eux, ils osèrent eux aussi les gestes de la tendresse et de l'ouverture, et purent les vivre... du vivant de leur père.

Ainsi se termine le conte de l`homme qui avait entretenu durant tant d`années une pelote de haine à même sa peau."

Extrait de "Contes à guérir....contes à grandir" de

Jacques SALOME



vendredi 27 mars 2020

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 11, 3-7.17.20-27.33b-45 (lecture brève.)


LA RÉSURRECTION DE LAZARE

En ce temps-là, Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare, envoyèrent dire à Jésus: ``Seigneur, celui que tu aimes est malade.``  En apprenant cela, Jésus dit : " Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié." Jésus aimait Marthe et sa sœur ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura pourtant deux jours à l'endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : " Revenons en Judée." À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.  Lorsque Marthe apprit l'arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus: ``Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore,  je le sais tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu  te l’accordera.>>Jésus lui dit: ``Ton frère ressuscitera.`` Marthe reprit: ``Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour.`` Jésus lui dit: ``Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela?`` Elle répondit: ``Oui, Seigneur, je le crois; tu es le Christ,  le Fils de Dieu,  tu es celui qui vient dans le monde.  Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda: ``Où l’avez-vous déposé?`` Ils lui répondirent: `` Seigneur, viens et vois,.`` Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient :``Voyez comme il l’aimait!``  Mais certains d'entre eux dirent : " Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? Jésus repris par l'émotion,  arriva au tombeau. C'était une grotte fermée par une pierre. Jésus  dit: ``Enlevez la pierre.`` Marthe, la sœur du défunt, lui dit : "  Seigneur, il sent déjà ; c’est le  quatrième  jour qu'il est là." Alors Jésus dit à Marthe : Ne te l'ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu."  On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit: ``Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je savais bien, moi, que tu m’exauces toujours, mais je le dit  à cause de la foule qui m’entoure afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé.`` Après cela, il cria d’une voix forte: ``Lazare, viens dehors!`` Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit: ``Déliez-le, et laissez-le aller.`` Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de  Marie et avaient donc vu ce que  Jésus avait fait, crurent en lui.

La mort de Lazare VIVRE…


 Pour comprendre l’évangile… Jésus pleure… Rendez-vous compte, le fils de Dieu, le Messie, qui est capable de rendre la vue aux aveugles, de faire marcher les boiteux, de purifier les lépreux, de faire entendre les sourds (Lc 7, 22) ... Jésus pleure la mort de son ami Lazare ! Qui aurait pu penser cela ? Ce récit de Jean nous fait découvrir (ou redécouvrir…) une importante facette de Jésus. Vrai Dieu, mais aussi vrai homme, Jésus ressent face à toute souffrance, et en particulier, ici, face à la mort, les mêmes sentiments que tous les humains… Rien de la vie des hommes ne lui est étranger, car il est venu pour leur donner la Vie et la Vie en abondance (Jn 10, 10). Sans exagérer, on peut dire que, pour ceux qui croient en lui (comme Marthe, Jn 11, 20-27), les paroles de Jésus font vivre (Jn 5, 24-26). Pour preuve, Lazare sort de son tombeau quand Jésus l’appelle avec force « Lazare, sors et viens dehors ! » Et cet appel libère Lazare de la mort : il peut aller où il veut… Et, comme une sorte de clin d’œil de l’évangéliste, on le retrouvera un peu plus tard assis à la table de Jésus (Jn 12, 2). Table de fête, table de Vie où, nous aussi, nous sommes invités par Jésus tous les dimanches…  Répondrons-nous à son invitation ? >

Pour réfléchir…

Et moi, comme Jésus, suis-je capable d’être proche des autres ?
Est-ce que je me fais proche de ceux qui, autour de moi, sont dans la difficulté, quelle qu’elle soit ?
Est-ce que je m’intéresse à ce qui se passe un peu partout dans le monde : les conflits armés, les attentats, le réchauffement climatique, la malnutrition, les migrants… ?
Est-ce que je considère ma vie comme un don précieux de Dieu ? Est-ce que je fais en sorte de la protéger ?
Est-ce que je détruis ma propre vie en ayant des conduites à risque et des pratiques ruineuses pour ma santé ?

Foire aux questions 

1- Marthe et Marie envoient dire à Jésus :
A) notre frère est malade
B) celui que tu aimes est malade
C) Lazare est malade
D) celui que tu aimes va mourir

2- Quand il apprend que Lazare est malade, Jésus
A) se dépêche de partir
B) prie Dieu
C) appelle un médecin
D) demeure encore 2 jours à l’endroit où il se trouve

3- Jésus part pour aller à Béthanie
A) dès qu’il sait que Lazare est malade
B) le 1er jour où il a appris la nouvelle
C) le 2ème jour
D) le 3ème jour

4- Quand ils entendent que Jésus veut retourner en Judée, les disciples disent :
A) n’y va pas
B) les juifs cherchent à te lapider
C) les juifs cherchent à te tuer
D) vas-y tout seul

5- Lapider ça veut dire
A) jeter des pierres
B) tuer en jetant des pierres
C) liquider
D) punir

6- Quand Jésus arrive à Béthanie, Lazare est mort depuis :
A) 2 jours
B) une semaine
C) 4 jours
D) hier

7- Quand Jésus arrive à Béthanie,
A) Marthe part à sa rencontre et Marie reste à la maison
B) Marthe reste à la maison et Marie part à sa rencontre
C) Marthe l’appelle
D) Marie va le chercher

 8- Jésus dit à Marthe
A) crois-tu à la résurrection ?
B) je vais ressusciter ton frère
C) je vais faire revivre ton frère
D) je suis la résurrection et la vie

9- Marthe répond à Jésus
A) tu es le Messie, je le crois
B) je crois bien que tu es le Messie
C) je pense que tu es le Messie
D) tu es le Messie, je le sais

10- Marthe va appeler Marie et  Marie
A) est contente
B) est consolée
C) se dépêche d’y aller
D) se lève aussitôt et part

11- Marie trouve Jésus
A) au tombeau
B) à l’endroit où Marthe l’avait rencontré
C) sur la route
D) au milieu du village

12- Marthe dit à Jésus
A) si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort
B) à cause de toi, mon frère est mort
C) si tu étais venu plus vite, mon frère ne serait pas mort
D)  si tu l’avais soigné, mon frère ne serait pas mort

13- Les gens disent à Jésus : « viens voir Seigneur », alors Jésus
A) va voir
B) se retourne
C) pleure
D) regarde

14- Le tombeau, c’est :
A) un trou recouvert d’une pierre
B) une grotte fermée par une pierre
C) un monticule de terre
D) une pierre posée sur la terre

15- Quand il est devant le tombeau Jésus dit :
A) Sésame, ouvre-toi
B) ouvrez le tombeau
C) enlevez la pierre
D) cassez la pierre en deux

16- Quand la pierre du tombeau est enlevée, Jésus
A) crie d’une voix forte
B) parle
C) pleure à chaudes larmes
D) appelle

17- Jésus crie d’une voix forte
A) Lazare, viens dehors
B) Lazare, réveille-toi
C) Lazare, ressuscite
D) Lazare, sois guéri

18- Le mort sort
A) les mains attachées
B) les mains jointes
C) les pieds et les mains attachés
D) les pieds et les mains libres

19- Le mort sort
A) le visage en sang
B) le visage heureux
C) le visage enveloppé d’un suaire
D) le visage caché

20- Jésus dit
A) déliez-lui les pieds
B) laissez-le aller
C) déliez-le et laissez-le aller
D) enlevez son suaire

21- Jésus dit à Marthe : « Celui qui croit en moi
A) ne sera jamais malade
B) revivra après sa mort
C) même s’il meurt, vivra
D) est immortel

22- Jésus dit à ses disciples : « Celui qui marche dans la nuit trébuche…
A) parce que sa lampe est en panne
B) parce qu’il ne voit pas clair
C) parce qu’il butte sur une pierre
D) parce que la lumière n’est pas en lui


Solutions : Foire aux questions.

1- B) celui que tu aimes est malade; 2- D) demeure encore 2 jours à l’endroit où il se trouve; 3- D) le 3ème jour; 4- B) les juifs cherchent à te lapider; 5- B) tuer en jetant des pierres; 6-  C) 4 jours; 7- A) Marthe part à sa rencontre et Marie reste à la maison;
8- D) je suis la résurrection et la vie; 9- A) tu es le Messie, je le crois; 10- D) se lève aussitôt et part; 11- B) à l’endroit où Marthe l’avait rencontré; 12- A) si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort; 13- C) pleure; 14- B) une grotte fermée par une pierre;15- C) enlevez la pierre; 16- C) pleure à chaudes larmes; 17- A) Lazare, viens dehors;18- C) les pieds et les mains attachés;19- C) le visage enveloppé d’un suaire; 20- C) déliez-le et laissez-le aller; 21-C) même s’il meurt, vivra; 22- D) parce que la lumière n’est pas en lui





mercredi 25 mars 2020

La fleur de l'honnêteté.


Un joli conte chinois pour un moment de douceur.....

On raconte que vers l’an 250 avant J.-C. dans la Chine ancestrale, un prince de la région nord du pays, à la veille d’être couronné empereur devait, conformément à la loi, se marier.
Sachant cela, il a décidé de mettre à « l’épreuve » les donzelles de la cour ou toute personne qui se trouvait digne de cette proposition. Le lendemain, le prince a annoncé qu’il allait recevoir dans une célébration spéciale toutes les prétendantes et leur lancer un défi.
Une vieille dame, servante du palais depuis de nombreuses années, à l’écoute des commentaires sur les préparatifs, a senti une légère tristesse, car elle sait que sa jeune fille nourrit un sentiment de profond amour pour le prince.
A son arrivée à la maison et après avoir raconté la nouvelle à sa jeune fille, elle est stupéfaite d’apprendre qu’elle voulait aller à la cérémonie et a demandé, incrédule :
- Ma fille, que feras-tu là-bas ? Il s’agit de toutes les plus belles et plus riches filles de la cour. Ote-toi ça de la tête cette idée stupide. Je sais que tu souffres beaucoup, mais que la souffrance ne devienne pas folie.
Et la jeune fille répond :
- Non, chère mère, je ne suis pas souffrante et encore moins démente. Je sais que je ne serai peut- être pas choisie, mais j’aurai la chance d’être au moins quelques instants près du prince, ce qui me rend déjà très heureuse.
Le soir de la cérémonie, au palais, il y avait, donc, toutes les belles et riches filles, parées de fines étoffes de soie, des plus beaux bijoux et les plus déterminés intentions. Puis, enfin, le prince annonça le défi :
- Je vais donner une graine à chacune de vous. Celle d’entre vous qui, dans un délai de six mois, m’apportera la plus belle fleur, sera alors choisie mon épouse et future impératrice de Chine.
La proposition du prince n’a pas failli à la profondeur des traditions du peuple, qui valorise beaucoup le savoir de « cultiver » quelque chose, que ce soit les traditions, l’amitié, etc. …
Le temps passe et la douce jeune fille, qui n’avait pas beaucoup d’aptitudes dans l’art du jardinage, s’occupe avec grande patience et tendresse de son semis. Puisqu’elle savait que si la beauté de la fleur se présentait avec la même profondeur que son amour, elle n’avait pas besoin de s’inquiéter du résultat.
Trois mois ont passé et la graine n’a toujours pas germé. La jeune fille a tout essayé, en utilisant toutes les méthodes qu’elle connaissait, mais rien n’a poussé. Jour après jour, elle concevait son rêve un peu plus lointain, mais son amour est de plus en plus profond.
Enfin, les six mois se sont écoulés et rien n’a poussé. Consciente de ses efforts et de son dévouement, la jeune fille annonce à sa mère que, indépendamment des circonstances, elle retournerait au palais. Puisqu’elle n’aspire à rien d’autre que quelques minutes de plus en compagnie du prince.
Et le moment venu, elle est là ; son pot vide, parmi toutes les autres prétendantes, chacune avec de fleurs, toutes plus belles les unes que les autres, de formes et de couleurs variées.
Elle était contemplative, jamais elle n’avait vu de si belle scène.
Arrive le moment tant attendu, et le prince considère chacune des prétendantes avec beaucoup de soin et d’attention. Après être passé devant toutes, une par une, il annonce le résultat et montre sa belle et future épouse.
Les convives ont été offusqués du choix du prince. Personne n’a compris pourquoi il avait choisi celle qui n’avait rien « cultivé ».
- Alors, le prince explique calmement :
- Celle-ci a été la seule à « cultiver » la fleur qui la rend digne de devenir impératrice. La fleur de l’honnêteté, parce que toutes les graines qui ont été distribuées étaient stériles.
« L’honnêteté est comme une fleur faite de fils de lumière, qui illumine qui la cultive et répand autour la lumière. »

lundi 23 mars 2020

LA GRÂCE DE LA CHARITÉ (ça vaut la peine de lire ce beau texte)


Nous sommes tous et toutes liés, formant une communauté humaine. Cette vérité, nous la connaissons et éprouvons parfois de la difficulté à l'accepter et à la vivre au quotidien. Toutefois, c'est précisément cette grâce d'être liés qui nous met à l'épreuve ces jours-ci en raison de la pandémie de la COVID-19. À ce propos, j'aimerais partager avec vous quelques réflexions.
Tout l'abord, cet épisode d'isolement, volontaire ou non, peut être vécu comme un précieux moment de recueillement. La solitude n'est pas nécessairement l'isolement. Par la force des choses nous avons à accepter notre vie dans sa vulnérabilité, avec nos forces et nos faiblesses. La vie présente nous impose des limites. Pour d'aucuns, se retrouver seuls peut s'avérer insupportable. Dans le silence et la prière nous sommes invités à nous accueillir tels que nous sommes, sous le regard bienveillant de Dieu.
S’accepter soi-même évoque le consentement de la personne que je suis et le désir d'aller vers la meilleure version de mon être. C'est à ce moment que se profile la réalité qui, me trouvant dans le recueillement, (plutôt que dans l'isolement…), me permet de saisir mieux l'enjeu beaucoup plus grand qui s'impose à moi. En effet, il ne s'agit pas seulement de protéger ou de sauver ma propre vie, mais de permettre à l'AUTRE, mon PROCHAIN, plus faible, d'échapper à l'épreuve de la maladie, de la souffrance, de l'hospitalisation, et peut-être de la mort. En fait, j'admets que je suis « …le gardien de mon frère et de ma sœur dans l'humanité », et non pas le compétiteur, ni le surveillant, mais celui ou celle qui garde le don de la vie de mon prochain.
À partir de ce moment, mon recueillement peut prendre un nouvel envol. Je ne suis plus une personne isolée ; je me reconnais comme une personne humaine solidaire de mes frères et sœurs. De mon recueillement, je peux aller à leur rencontre d'une manière créative, via ces médias électroniques dont les applications sont au service de la communion fraternelle.
Reconnaissons qu'en cette époque difficile et incertaine, l'inquiétude et même la peur colorent notre quotidien. Mais surtout, soutenons-nous mutuellement par la parole et les gestes de solidarité. Osons demander de l'aide et osons prêter secours dans les simples gestes de la vie quotidienne. Soyons patients, prêtons une oreille attentive les uns aux autres, dans la charité, dans la grâce de l'amour fraternel.
On peut conclure qu'à l'avenir, lors de nos célébrations eucharistiques, le geste de LA PAIX DU CHRIST sera davantage porteur d'une signification spirituelle et humaine. En attendant, veillons dans le Seigneur et implorons la Vierge Marie d'intercéder pour nous délivrer de ce fléau mondial de la maladie.
(cf. éditorial de l'Infolettre du Montmartre et en Blogue-Nouvelles – 21 mars 2020, pour vous abonner www.lemontmartre.ca et http://www.lemontmartre.ca/blogue/ )

samedi 21 mars 2020

CONTE : L'AVEUGLE ET L'HOMME SANS PIEDS


Il était une fois, un village dans lequel vivaient deux infirmes : L'un était aveugle appelé Itsatsambi et l'autre n'avait pas de pieds qu’on dénommait Ngaranza. La vie n'était pas facile pour les deux. L'aveugle ne pouvait rien faire par lui-même sans qu'on ne le guidât. Nous pouvons toujours essayer de  jouer à l'aveugle un jour, et, bonjour les dégâts ! Certes, connaissait-il par expérience la maison dans laquelle il vivait mais il lui fallait tâtonner avant de trouver la sortie ou de prendre quelque chose. L'homme sans pieds pouvait utiliser ses mains, mais il devait être porté pour se déplacer sur des longues distances. Comme il était assez costaud, il fallait être très fort pour le porter. 
Une grande épidémie ravagea le village qui épargna curieusement les deux hommes mais leurs deux familles furent décimées. Il n’y avait plus personne pour leur venir en aide. Imaginez leur situation déjà qu’on s’était lassé de leur apporter assistance ! Ils étaient en quelque sorte des adultes-enfants qui ne pouvaient se passer des autres dans leurs tâches quotidiennes.  Le fléau qui s’était abattu sur leur village provoqua la fuite des villageois vers des cieux plus cléments. Ils furent abandonnés à leur triste sort. 
L'aveugle était un homme très robuste, comme si la nature avait voulu compenser sa cécité par la force physique. Un jour, il eut la présence d'esprit de proposer ce qui suit à l'homme sans pieds :
 « Mon cher frère, nous avons tous les deux été punis par le destin. Moi, il m'a refusé la vue et toi, il t'a privé de tes pieds. Comme tu peux le constater, ce que je n'ai pas, tu le possèdes et vice-versa. Pourquoi ne pas nous unir pour devenir une seule personne ? Je te porterai sur mes épaules et toi tu me guideras. En somme, je t'offrirai mes pieds et toi, tu m'offriras tes yeux. Ainsi, apportant à l’un ce qui manque à l’autre, unis par le portage, nous deviendrons un seul homme en deux.
- Comme la nature est prévenante ! C’est d’un homme qui n’a pas de vue que vient pareil trait de génie. Il y a donc une force qui veut notre survie sinon comment expliquer le miracle d’une telle proposition ? Après le malheur qui vient de frapper nos deux familles, nous sommes en quelque sorte forcés de nous montrer solidaires car, autrement, ce serait un suicide. J’accepte de devenir tes yeux comme tu consens à devenir mes pieds ; et comme l’un ne peut subsister sans l’autre, nous partagerons tout de nos joies et de nos peines.» 
L'homme sans pieds se réjouit de cette idée lumineuse qu'avait eue l'aveugle. Il s'installa sur les épaules de celui-ci, en pesant de tout son poids, et ils se mirent alors à voyager ici et là, mendiant leur pitance quotidienne et tout ce dont ils avaient besoin. 
Au début tout se passa merveilleusement bien. L’homme sans pieds mendiait en disant : 
 « Ayez pitié d’un aveugle et d’un homme sans pieds ! Faites charité ! Craignez les puissances du destin qui vous ont fait grâce de ne pas être à notre place. Qui d’entre vous peut dire qu’il savait qu’il naîtrait normalement constitué ? Aidez deux hommes de votre espèce qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins ; nous ne pouvons- nous adonner ni à la chasse, ni à la pêche, déjà que nous n’avons nulle part où nous protéger de la pluie. Soyez bons, car même l’animal  est bon pour son semblable. Un lion ne laisse-t-il pas à son frère le plaisir de goûter au buffle qu’il a chassé ? Hommes, faites charité à vos semblables !»   
  Et les cœurs, devant cette solidarité des corps et des esprits, s'apitoyaient, et les mains se tendaient. On leur donnait des ignames, des bananes,  de la viande, et tout ce que les ventres n’avaient pu manger la veille. Des hommes riches leur donnaient même de beaux habits. Dans tous les villages où ils passaient, la compassion germait dans les âmes et multipliait les gestes de bonté. Ainsi s’en allait la vie de Ngaranza et d’Itsatsambi.
Mais un jour, prenant conscience de tout ce que la mansuétude des hommes pouvait leur offrir, l'homme sans pieds fut traversé dans son esprit par une bien vilaine idée. Il se dit :
« A présent que je suis un homme comblé débarrassé des problèmes de locomotion, je mène une vie normale dans le meilleur des mondes. L'aveugle, véritable portefaix professionnel, me porte comme un esclave porterait son maître. Grâce au ciel, c'est lui qui trime en me portant sur ses épaules ; et quand je pète, il reçoit le pet en plein visage. Je vois la peine inscrite sur son visage déformé par la douleur chaque fois qu’on escalade ou descend une montagne. Comme le pauvre transpire à grosses gouttes et trébuche à tout moment ! En fait, il ne voit pas et ne verra jamais ; béni suis-je à jamais par les dieux qui m’ont élu maître et guide d’un homme dont l’infortune serait immense si je n’étais pas là. En vérité, je lui rends plus service avec mes yeux que lui avec ses pieds. Un pied vaut-il un bon œil ? Itsatsambi n’est qu’un animal qui sent les choses plus qu’il ne les conçoit. Jamais il ne s’émerveillera devant un beau visage de femme, pas plus qu’il ne saura voir un bon morceau de biche bien rôti. Quelle importance si l’habit qu’il porte est magnifiquement brodé ou non ? Pourquoi devrais-je tout diviser avec lui de moitié puisqu'il ne se rend compte de rien ? Désormais je prendrai les bonnes choses et je lui laisserai les mauvaises ; à moi les beaux habits, à moi les bons mets et à lui les défroques et les miettes.  N’est- il pas l’esclave et moi le maître selon la volonté même du ciel ?  »

L'homme sans pieds se mit alors à duper l’aveugle. Il prenait les meilleures portions de nourriture qu'on leur servait. Quand on leur donnait des vêtements, l'homme sans pieds choisissait les bons et laissait les loques et les défroques à l'aveugle. L’aveugle devint maigre de ces mauvais traitements tandis que l’homme sans point prenait de l’embonpoint et devint de plus en plus lourd à porter. Et l’aveugle dans son sort misérable ne se doutait de rien puisque tout se passait à l’abri du moindre regard. L’homme hypocrite qu’il portait sur ses épaules se disait dans son coeur :
« au fond, mon destin n’est pas si triste. Je suis un homme comblé car je n’ai pas à souffrir pour réaliser mes désirs et assurer ma survie. Que les dieux et tous les esprits soient loués ! » 
Un jour, un homme pieux leur donna un poulet rôti bien assaisonné et leur tint ce langage :
« Je vous bénis, ô vous qui faites honneur à la vie et à la race humaine où l’égoïsme grandit à la vitesse de l’urgence quotidienne. Il y a en vous quelque chose de plus grand que la vie même et que je ne saurais définir. A quoi me sert de manger si cela n’exprime rien d’aussi grand que le partage ? Tenez, prenez et mangez. Vos vies sont un enseignement plus grand que le mien ; elles dépassent même toutes les sagesses individuelles du monde. »
Ils remercièrent le pieux personnage et s’éloignèrent comme à l’accoutumée à la recherche d’un endroit tranquille pour dîner loin des regards. 
 Ngaranza, devant l’appétissant poulet,  décida qu'il n'avait pas à partager un tel délice avec Itsatsambi. Sa gloutonnerie doublée de son égoïsme ne le permettait pas. Quoi ! Partager un tel régal ? Une fois encore, il ne le pouvait pas. Le saint n’avait pas prononcé le nom  « poulet »; l’aveugle ne pouvait donc pas savoir ce qu’ils allaient manger. Avec un peu de chance, ils recevraient peut-être quelque vulgaire aliment que l’homme sans pieds se ferait le plaisir de remettre à l’aveugle, - son esclave qui, en fait, n’avait plus droit aux bonnes choses, depuis son nouvel état d’esprit. La nature ne l’avait-il pas privé de la joie de voir les splendeurs du monde ? Qu’importait à l’aveugle ce qu’il mangeait s’il ne pouvait le voir ?

Ils marchèrent longtemps sans que quelqu’un ne leur donnât une petite banane ou une cuillère de riz à manger et, fatigués d’avoir trop marché, s'arrêtèrent au bord de la route, loin des yeux indiscrets. L'homme sans pieds alluma un feu et aperçut un crapaud mort dont l'abdomen était enflé. Il le ramassa, le fit cuire au feu, avant de le donner au pauvre aveugle en disant :
« Tiens mon ami. C'est ta part de repas pour aujourd'hui. J'en ai une pareille. Il n’y a pas grand’ chose à se mettre sous la dent. Heureusement que le sage de la forêt nous a  fait don. Les hommes deviennent de plus en plus méchants. Il ne nous restera bientôt plus qu’à mourir si ça continue. »
Ngaranza, l'homme sans pieds, se mit alors à déguster le délicieux poulet rôti que l'homme pieux leur avait donné, en souriant, goguenard.

L'homme atteint de cécité porta la grenouille à la bouche et s'offusqua de la mauvaise odeur de ce qu’il allait manger. Jamais pareille odeur putride n’avait effleuré ses  narines. Aussi loin qu’il se souvienne, les hommes n’avaient été aussi odieux avec eux que ce jour. 

«  Frère, pourquoi ce que nous mangeons aujourd'hui pue-t-il tant ? demanda l'aveugle.
-Mon ami, tu sais que les hommes deviennent de plus en plus méchants et de plus en plus égoïstes. Moi aussi, je mange la même chose, répondit calmement l'homme sans pieds. Mange et prends des forces. Vois, la nuit va tomber. Il faudra ensuite du repos. Demain, la route sera longue. Cette vie d’errance commence à me dégoûter. Passer sa vie à mendier sa pitance quotidienne est humiliant. Hélas, que faire quand la nature vous réduit à quémander votre nourriture, à vivre aux dépens d’autrui ? Tous les jours, j’ai conscience de ta souffrance de portefaix mais que faire ? Je ne puis me substituer à toi pour te donner un peu de repos. Ainsi le veut le destin que tu me portes et que je te guide. Peut-être qu’un jour, le ciel aura pitié de nous et cette vie de vagabondage s’arrêtera. Ne te fie pas à l’odeur ; le goût n’y dépend pas. De toute façon, le ventre n’a point de nez. Fais comme moi. Imagine que tu manges en ce moment le mets le plus délicieux de la terre et le tour sera joué. Moi, je me motive en imaginant que je mange à l'instant même un gros poulet rôti.
-Merci pour ton réconfort, Ngaranza. Que serais-je devenu sans toi ? Je vais manger le peu que le sage nous a donné et dormir. »

L'aveugle mordit dans l'abdomen du crapaud. Un liquide verdâtre gicla et l’atteignit aux yeux. Au début, il ressentit comme une brûlure  qui le poussa à se frotter les paupières. Ses yeux larmoyèrent ; il les essuya du revers de la main et essaya  de les maintenir ouverts comme à l'accoutumée. Il lui sembla que la lumière l'agressait et qu'il percevait des formes verticales. Il eut peur. Par curiosité, il écarquilla les yeux davantage et vit un homme qui lui parut une étrange créature sous la lueur du feu. Ce fut un vrai moment magique quand pour la première fois de son existence, il se vit lui-même. Il se trouva si abominable, si affreux qu'il douta que ce corps crasseux fût bien le sien. Quoique ne connaissant rien à la beauté, il comprit tout de suite que l'homme qui se trouvait devant lui avait meilleure mine et semblait apprécier ce qu’il mangeait.
 Que se passait-il ? Assailli par des sensations inconnues jusque-là, Itsatsambi devina ce qui s’était passé. Ô miracle ! Il voyait ! Il voyait ! Quelle était donc cette magie, ce miracle qui lui avait donné la vue ? Que vit-il ? L'homme sans pieds dévorant allègrement un poulet rôti dodu, et lui, tenant une grenouille pourrie entre les mains.
La précision de sa vue augmentant, Itsatsambi constata qu'il était vêtu de guenilles tandis que celui qu'il portait sur ses épaules avait de magnifiques habits. Il s'arrêta de manger et s'écria :
« Ah frère, c'est donc ainsi que tu agis ? Tu te réserves la bonne nourriture et tu me donnes ce qui est pourri ! Ah, quelle ingratitude ! Jamais je n’aurais pu t’imaginer capable d’autant d’hypocrisie. »
L'homme sans pieds, continuant tranquillement à dévorer son poulet, lui dit : 
«  Frère, que se passe-t-il ? Comment peux-tu dire que j'ai une meilleure nourriture que la tienne, toi qui n'es qu'un pauvre aveugle que je guide ?
-Il me semble que nous ne mangeons pas la même chose, mon frère, insista l’aveugle.
-Écoute, nous mangeons la même chose. Pour pouvoir en juger, il te manque hélas la vertu de la vue. Je jure qu’il ne se passe pas un jour que Dieu a créé sans que toi et moi partagions les mêmes douleurs et les mêmes repas. Je suis ton frère. Ce que je mange, c’est ce que tu manges. N’oublie pas que j’aurais pu être à ta place et toi à la mienne. Mange, Itsatsambi et dors ; tu en as bien besoin pour récupérer tes forces.
_ Prétendrais-tu aussi que nous sommes habillés de la même façon ?
L’homme sans pieds s’arrêta un instant de mordre dans la chair tendre du poulet rôti et dit :
-Tu parles comme un insensé, Itsatsambi. Holà ! Que mon âme ait pitié d’un pauvre aveugle qui ne voit pas ce qu’il dit. Si tu pouvais voir, mon frère, tu verrais mes guenilles déchirées et tu comprendrais qu’il vaut mieux parfois être un aveugle car la vie est plus facile quand on ne la voit pas et quand l’on ignore sa condition. Il y a tellement d’horribles injustices qu’il vaut mieux les ignorer en ne les voyant pas car elles empliraient notre coeur de révolte et du dégoût de vivre.
-Ne mangerais-tu pas par hasard un poulet, mon ami ? S’enquit l’aveugle. Je sens l’odeur du poulet et mon nez ne me trahit jamais.
-Tu commences à devenir fou, mon pauvre aveugle. Tu crois voir par le nez mais tu ne le peux et je te plains, mon ami. Cette odeur qui te colle aux narines est purement imaginaire. Depuis quand le nez est-il plus fiable que l’œil ? Si seulement tu pouvais voir en cet instant, je suis sûr que tu aurais plus de respect pour celui qui te guide, ô pauvre aveugle ! Cela devient de plus en plus pénible de te supporter. Mes yeux doivent endurer toutes les secondes le spectacle de ta laideur car tu n’es pas beau, misérable  aveugle. Si tu savais combien je maudis le ciel de m’obliger à partager la vie d’un homme qui ne voit les choses qu’à travers mes yeux. De nous deux, c’est moi qui apporte le plus, pauvre aveugle.
- Moi, un pauvre aveugle ? C’était le cas avant le repas de ce soir car à l’instant où je te parle, les choses sont bien différentes. Eh bien, sache que je vois à présent, grâce à la grenouille que tu m'as fait manger. Quand j’ai percé l’abdomen avec les dents, un liquide verdâtre y a giclé qui m’a donné la vue. Oui, je vois, tes beaux habits dorés et mes guenilles. Aujourd'hui, le mal que tu m’as fait s'est transformé en bien. Je vois ! Malgré la nuit qui tombe, les étoiles du ciel me paraissent des rubis. Je vois ! Qu’importe ces défroques que je vais bientôt ôter ? Je vois. Je te vois et je peux même te toucher ! Je vois ton menton lisse et ma barbe broussailleuse. Je vois ! Je vois les flammes du feu qui pétillent et saluent le ciel. Je peux te remercier de m’avoir permis d’obtenir ce que personne au monde ne pouvait me donner. Je peux louer Dieu car désormais, mes yeux contempleront les splendeurs de sa création. Les hommes ne seront plus que des voix ; je les verrai et je les toucherai. J’étais un vagabond, me voilà homme à cent pour cent. Je portais un égoïste sur mes épaules, croulant sous son poids, par monts et par vaux. A présent, je n’aurai qu’à me porter moi-même, le fardeau le plus léger qui soit et je n’aurai plus à mendier ma nourriture car je pourrai travailler avec les autres  adultes. Comme tu peux le constater, je n'ai plus besoin de toi. Si tu m’avais donné juste une aile de ton poulet, rien n’aurait changé pour moi jusqu’à la fin de mes jours. J’ai perdu un repas, j’ai gagné la vue ! On ne peut voir Dieu mais sa justice est palpable. Ainsi le veut ma vue, que nos chemins se séparent et que plus jamais je n’entende parler de toi !
- Non, ne m'abandonne pas, mon ami ! Nous avons beaucoup de souvenirs et de choses en commun. Souviens-toi que nous venons du même village et qu’une étrange épidémie a emporté nos deux familles. Je n’ai plus que toi devant les vivants et les morts. Que vais-je devenir seul au milieu de cette route peu fréquentée ? J’ai été méchant envers toi mais le ciel t’a voulu du bien. Je me repens du mal que je t’ai fait. Pitié ! Vois, la nuit va tomber avec tous ses dangers et sois bon. Porte-moi jusqu'à un village et ensuite, tu pourras t'en aller. Ce n’est qu’aujourd’hui que cette bien vilaine idée de te tromper m’a été soufflé par un très mauvais démon. Pitié, mon ami !
- Tu n'es pas mon ami, Ngaranza ; tu n’es même pas ton propre ami car tu as réussi à te faire du mal, toi-même. Tu aurais pu me tuer en me faisant manger un aliment vénéneux. Tu n’as pas eu la moindre poussière de pitié pour un homme qui t’a porté pendant dix longues années, qu’il pleuve ou qu’il vente, sur terre, dans l’eau, dans la boue, sur des routes pierreuses ou escarpées, de jour comme de nuit, même quand la maladie le tenaillait. Je te laisse à ton destin. Dieu a fait retomber ton mal sur toi-même. Voir est comme une nouvelle naissance pour moi ; tout un univers naît à mes yeux. Le monde n’existait que dans mon imagination ; à présent, c’est une réalité vivante, concrète, visible, tangible, qui m'apporte des émotions nouvelles. Je n’aurai plus connaissance des choses par le simple toucher ou par ton regard qui ne me disait certainement pas la vérité. Elles pourront désormais exister par elles-mêmes car je peux dès l’instant où j’ai accédé à la vue, les voir. Il vaut mieux voir les laideurs du monde pour les prévenir. Combien de fois m’as-tu dupé en mangeant les meilleures parts de ce que les hommes nous donnaient ? Tu as longtemps profité de mon infirmité. Je te laisse à ton sort. Adieu, Ngaranza.
-Non, mon ami, ne m’abandonne pas, s’il te plaît, implora Ngaranza. Aie pitié de moi !
-La pitié ? Sais-tu ce que c’est pour que je te l’impute à justice ? » 
Itsatsambi se leva et s'en alla, en dépit des supplications de l'homme sans jambes et sans pieds. Une nouvelle vie l’attendait et il était pressé d’aller la rejoindre. Il marcha longtemps quand il vit un homme devant un feu qui lui demanda :
« Itsatsambi, qu’as-tu fait de Ngaranza ? Vous étiez aussi inséparables que les pieds et les yeux. Te voir tout seul à cette heure avancée m’étonne assez.
-Suis-je l’esclave de Ngaranza pour toujours le porter sur mes épaules ? Répondit Itsatsambi.
-A ce que je vois, te voilà capable de te passer de celui qui te servait d’yeux. Par quel miracle as-tu recouvert la vue ? N’étais-tu pas un aveugle de naissance ?
-Me reprocherais-tu le don de la vue, celle-là même qui te permet de voir l'homme à qui tu parles en ce moment ? Quel mal y a-t-il à voir ? 
-Aucun. Mais il y en a un à abandonner un homme sans défense au milieu de la nuit, un homme incapable de courir.
-Qui êtes-vous pour juger de ma conduite ?
-Je suis l’homme qui vous a donné le poulet que Ngaranza a mangé tout seul, te donnant un crapaud à dîner qui t’a doté de la vue. As-tu besoin de te venger d’un homme qui ne pourra plus te faire de mal ? Que t’apporte la vengeance si elle te rend plus méchant que Ngaranza, Itsatsambi ?
-Soit, rien.
-Sache que si Ngaranza meurt ce soir ta vue mourra avec lui car c’est en quelque sorte lui qui te l’a offerte. Aussi, je te conseille de retourner sur tes pas pendant qu’il est encore temps. On ne rend pas le mal pour le bien. »
    Et le sage de la forêt disparut après avoir parlé à Itsatsambi qui crut rêver mais le feu qui luisait dans la nuit témoignait qu’il n’en était pas le cas. Itsatsambi fit volte-face et courut chercher Ngaranza avant qu’il ne lui arrivât quelque chose de dramatique.
Puis vint la nuit. Et avec elle, l’heure où les animaux sauvages chassent dans l’ombre. Dans sa solitude, Ngaranza dormait à côté du feu quand il fut réveillé par des rugissements féroces.  Il essaya de se mouvoir mais s’essouffla bientôt,  les deux mains écorchées par l’effort qu’il avait fait. Et il pleura comme un enfant abandonné par sa mère, et il pleura comme s’il avait sentit l’odeur de la mort. Dans la nuit, les félins furent d’abord des yeux étincelant de cruauté. Quand l’homme sans pieds vit la horde des lions énormes, il crut que sa fin était arrivée. Il cria d'une voix qui déchira la quiétude de la nuit prenant son droit de noirceur. Hélas, seul l'écho fut la réponse de l'infini. De désespoir, il pleura et pleura encore, se disant que le ciel apitoyé pouvait peut-être lui venir en aide. Cependant, le destin restait cruel et le ciel demeura un vaste ensemble de nuages noirs criblés d’autant d’yeux que d’étoiles. Ce fut le moment de sa vie où il sentit la solitude peser comme une tonne de pierres.
     Le roi des lions, d’une voix rauque, dit à ses pairs : « Regardez, c’est Ngaranza abandonné par Itsatsambi qui s’est rendu compte qu’il le brimait en biens et en vivres. A cette heure où nous avons festoyé de deux buffles, il est inutile de le tuer car la mort serait pour lui délivrance. Il faut qu’il paye ce qu’il a fait à un brave homme qui le portait. Je crois qu’il nous faut seulement lui ôter la vue afin qu’il comprenne ce que c’est d’être aveugle. Que l’un d’entre vous lui arrache vite les deux yeux car je sens une présence humaine qui arrive à pleines jambes. Je parie qu’il s’agit d’Itsatsambi revenu sur sa décision de laisser Ngaranza tout seul. »
 D’un coup de patte, un lion lui arracha les deux yeux. Accablé par la douleur, il s’efforça de crier plus haut que les lions qui rugissaient. Il fut plongé dans la nuit de la cécité, celle qui fait que même le jour est nuit. Il avança dans le noir et tomba dans le feu. Il cria à se fendre la voix :
  « A moi ! Au secours ! Que la pitié me vienne en aide ! »
Hélas, personne ne pouvait le délivrer de cette situation terrible où l’épouvante était sa seule compagne.
 Les lions s’en allèrent et laissèrent Ngaranza seul dans sa nuit totale.

Au loin, Itsatsambi entendit les cris saillants de Ngaranza dévoré par la douleur. Il courut de plus en plus vite et pria pour arriver encore à temps...
« Ngaranza ! Ngaranza !
-Je suis là. Un lion m’a ôté les deux yeux. Je ne vois plus rien.
-Je ne te vois pas parce que le feu est éteint. Tiens bon j’arrive. Je n’aurais pas dû te laisser tout seul ; pardonne ma colère aveugle.
-Je te comprends et pense que tu n’as pas tort.
-Je t’ai trouvé grâce au  son de ta voix. Je vais arrêter l’hémorragie de tes yeux avec un tissu. Demain, au lever du jour, on te soignera.
-Hélas, on ne me rendra pas ma vue. Tout se passe comme si tu as pris ma place et toi la mienne.
-Ne t’en fais pas. Tant que je vivrai, je serai toujours là pour toi ; ne suis pas assez fort pour travailler pour deux et même  plus ? Rassure-toi, tu n’es pas tout seul ; ton frère est là. »
« Quand le mal accouche du bien, il n’y a plus de place pour la vengeance. »

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 9, 1-41


La guérison de l'Aveugle-né
En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? »
Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler.
Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant – car il était mendiant – dirent alors : « N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
Les uns disaient : « C’est lui. » Les autres disaient : « Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait : « C’est bien moi. »
Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : “Va à Siloé et lave-toi.” J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »
On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir. Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »
Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? » Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »
Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents
et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »
Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle.
Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ.
Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »
Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent : « Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. »
Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’ave z pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples.
Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, et pourtant il m’a ouvert les yeux.
Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce.
Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance.
Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit : « Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.
Jésus dit alors : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. »
Parmi les pharisiens, ceux qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? »
Jésus leur répondit : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “Nous voyons !”, votre péché demeure. »

Petit commentaire


Le dimanche de l’aveugle-né nous présente le Christ comme la lumière du monde. L’Évangile interpelle chacun de nous : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » « Oui, je crois Seigneur ! » (Jn 9, 35-38), répond joyeusement l’aveugle-né qui parle au nom de tout croyant. Le miracle de cette guérison est le signe que le Christ, en rendant la vue, veut ouvrir également notre regard intérieur afin que notre foi soit de plus en plus profonde et que nous puissions reconnaître en lui notre unique Sauveur. Le Christ illumine toutes les ténèbres de la vie et donne à l’homme de vivre en « enfant de lumière ».

Dans notre lecture biblique d'aujourd'hui de l'évangile de Jean, il y avait des gens qui ne pouvaient tout simplement pas comprendre Jésus et son amour et sa puissance. Même lorsque Jésus a fait quelque chose de merveilleux comme guérir un aveugle, certaines personnes se sont mises en colère contre lui. Ils ne voulaient pas croire en lui. C'était comme s'ils étaient aveugles à comprendre Jésus. Oui, ils pouvaient le voir avec leurs yeux, mais c'était comme si leurs «yeux compréhensifs» étaient aveugles comme s'ils portaient ces lunettes noires.

La bonne nouvelle est que même si nous ne pouvons pas voir Jésus aujourd'hui avec nos yeux, nous pouvons connaître son amour et sa vie. Le Saint-Esprit de Dieu nous a aidés à connaître Jésus afin que nous ne soyons plus aveugles à sa vie et à son amour.


Question

Comment Jésus a-t-il changé votre façon de vous voir, le monde et Dieu?
 Pourquoi les pharisiens sont-ils divisés sur la question de savoir qui est Jésus?
Pourquoi pensez-vous que les Juifs sont si réticents à croire que Jésus a rétabli la vue de l'homme?
Comment l'aveugle soutient-il que Jésus est de Dieu?
Comment les yeux sont-ils ouverts sur la vérité de qui est Jésus?
Quelle est la preuve que quelqu'un a ouvert les yeux sur la vérité de qui est Jésus?
Que dit Jésus pour quelle raison il est venu au monde?