jeudi 30 avril 2020

Muguet joli, muguet de Mai


Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant une histoire II, Les fêtes civiles.
Temps de lecture : 8 minutes
Premier Mai

Il faisait un temps affreux, ce soir-là, dans la vallée d’Alpenrose. Dès la nuit venue, le vent était tombé des montagnes environnantes, s’abattant avec des rafales de pluie et de grêle sur les bâtiments du couvent.
Par bonheur, ceux-ci étaient solides, bâtis de bon granit de la montagne ; ils avaient vu bien d’autres tempêtes mais les hurlements du vent dans les couloirs, les sifflements dans les cheminées, le fracas d’une ardoise ou d’une branche qui s’écrasait, étaient vraiment impressionnants.
Récit du muguet du 1er mai. Et l’on pensait au voyageur perdu dans la montagne, au berger attardé, au pauvre sans logis.
« Que Dieu les conduise jusqu’à la porte du couvent, murmura le bon frère hôtelier qui, un imposant trousseau de clés à la main, revenait de la tournée qu’il faisait chaque soir dans le monastère. Que Dieu les conduise ici : ils trouveront chaleur, bon gîte et réconfort. »
« Quel temps ! Quel temps ! dit-il encore, est-ce un temps de mars ? L’hiver ne veut point laisser la place… »
Et il s’attrista en pensant à son jardin — car frère Bonaventure était jardinier en même temps qu’hôtelier du couvent. La semaine passée, encouragé par un rayon printanier, il avait sorti de leur abri d’hiver des fleurs, des plants que cette tempête était en train d’anéantir. Quel malheur ! Quel malheur ! Il en avait beaucoup de peine car, grâce à ses soins et à ses capacités, les jardins du monastère étaient magnifiques ; on venait de loin pour les admirer…
Soudain, un violent coup de cloche à la porterie le fit sursauter, l’arrachant à ses regrets.
« Quoi ? Serait-ce un voyageur ? »
Il se hâta de toute la vitesse de ses vieilles jambes et, tout apitoyé à l’avance, il ouvrit la lourde porte avec des mots de compassion et de bienvenue.

« Entrez, entrez, qui que vous soyez ; vous êtes envoyé de Dieu, venez- vous chauffer et vous réconforter. »
Celui qui était là en avait bien besoin : trempé, grelottant dans des vêtements usés, il semblait à bout de forces. Il se laissa conduire près d’un grand feu, fit honneur aux mets chauds que le bon frère Bonaventure lui servait en causant amicalement avec lui, puis s’endormit, épuisé de fatigue, dans le lit confortable qui lui fut offert.
Le lendemain matin, le frère hôtelier fut bien surpris de trouver son voyageur levé, dispos, et qui, le bâton à la main et la besace au côté, se préparait à partir.
« Quoi, déjà ? Vous ne restez pas quelques jours ici ? »
L’inconnu expliqua qu’il avait un long voyage à faire et qu’il voulait profiter du beau temps.
« Du beau temps, mais oui ! La tempête s’est calmée à l’aube, le ciel est bleu et le soleil luit ; le mois de mars réserve des surprises : cette éclaircie est peut-être passagère, je veux en profiter.
— Visitez au moins notre monastère, fit le bon frère désolé de voir son hôte si pressé ; hier, il faisait nuit, et vous n’avez rien vu. »

Le voyageur bien volontiers suivit son hôte à travers les salles et la chapelle, au long des cloîtres : le monastère était très beau ; les moines eux-mêmes ajoutaient chaque année quelque sculpture ou quelque statue. Puis nos deux compagnons visitèrent le jardin. Hélas ! que de dégâts la tempête n’avait-elle pas causés : plants arrachés, feuilles naissantes déchiquetées ! Le frère Bonaventure ne se lassait pas de gémir.
« Le printemps réparera tout cela, fit l’étranger croyez-moi, et je veux vous faire présent d’une fleur qui ne fleurit certainement pas ici : je ne l’ai vue qu’en des régions fort éloignées. Vous m’avez si bien reçu, si bien réconforté, que je suis heureux de vous faire plaisir. »
Ce disant, l’étranger tira de sa besace quelques racines de peu d’apparence, et en fit présent au moine.
Celui-ci, dès le départ de son hôte, les planta en bonne place dans son jardin.
Et voici que, quelques semaines après, sortirent de terre de petits cornets verts qui étaient des feuilles roulées. Juste pour le mois de mai, celles-ci s’ouvrirent, laissant s’échapper des grappes de délicieuses clochettes d’un blanc si pur, d’un parfum si pénétrant, que frère Bonaventure alerta toute la communauté afin qu’elle vienne admirer cette merveille. Tous s’extasièrent à l’envi.

« Ces fleurs sont un don de Dieu et de la Vierge pour récompenser l’hospitalité ! Ce sont des fleurs bénies, les fleurs du mois de Marie, les « lis de la vallée ».
Les « lis de la vallée », comme on les appelait, firent l’admiration des gens du pays qui se pressèrent en foule pour les contempler. Et la renommée des jolies fleurs s’étendit beaucoup plus loin encore, jusqu’aux provinces éloignées.
Le bon frère Bonaventure était devenu encore plus fier de son jardin. Les lis, bien soignés, prospéraient chaque année ; le plant s’agrandissait, devenait magnifique, et le frère jardinier pouvait maintenant donner une petite grappe de jolies clochettes à chaque visiteur.
Durant tout le mois de mai, c’est un défilé de pèlerins qui sonnent à la porte du couvent. Tout affairé et tout content, frère Bonaventure se multiplie pour bien accueillir tout ce monde ; il n’a plus le temps de rien faire d’autre, à peine le temps de prier, et il se sent fier, plus fier qu’un grand inventeur ou qu’un grand général. Et le temps passa.
Mais frère Bonaventure, s’il était un bon jardinier et un excellent hôtelier, était surtout un saint homme. Un beau jour, tandis qu’il méditait sur l’humilité, il courba la tête et se frappa la poitrine :
« Quoi, moi qui suis le dernier de tous, je sens en moi orgueil et vanité à cause du lis de la vallée que je suis le seul à posséder. Jour et nuit, je ne pense plus qu’à la beauté de cette fleur. Que faire ? Tout saccager ? Je n’en ai pas le droit, car le lis chante les louanges du mois de Marie. O bonne Vierge, éclairez-moi. »
Jusqu’au soir, le pauvre frère resta triste et pensif.
C’était un beau soir d’avril, avec une telle douceur dans l’air que tout : gens, bêtes et plantes, semblaient vivre et respirer avec béatitude. Le soleil s’était couché, mais une lune ronde et lumineuse l’avait remplacé et éclairait le cloître et le jardin comme au crépuscule.
Quelle est cette ombre qui se glisse furtivement au jardin, un outil à la main, un sac sur l’épaule ? Ce n’est pas l’heure du travail, les religieux sont retirés chacun dans leur cellule. Ne reconnaissez-vous pas le dos voûté, la barbe blanche du frère Bonaventure ? Que va-t-il donc faire à cette heure ?
Parmi toutes ses plantes qu’il connaît si bien, notre travailleur nocturne n’a pas grand mal à trouver le plant des lis de la vallée. Ils ne sont pas encore fleuris, mais les feuilles roulées sont prêtes à découvrir les jolies grappes blanches et odorantes. On croirait déjà respirer leur doux parfum. Frère Bonaventure enfonce la bêche, déterre soigneusement avec ses racines tout le plant, sans regret, sans hésitation. Le grand sac est plein, ouf ! le voilà sur l’épaule. Et, plus voûté encore, sans laisser la bêche, frère Bonaventure sort par la petite porte du couvent.
Vite, vite, il gagne le bois. Comme il est beau sous la lune ! Les feuilles nouvelles s’agitent avec un frémissement de soie, des parfums d’arbres en fleurs flottent dans l’air. Mais le frère ne s’attarde pas. Il cherche, ici et là, les plus jolies clairières, les banquettes moussues des chemins, les pentes bien exposées et, quand le terrain lui semble propice, il enfonce la bêche et plante une touffe des précieux lis de la vallée.
A l’aube, le moine revint las, essoufflé, mais heureux.
« Je ne serai pas le seul à posséder les fleurs de Marie. Elles seront à tous, je resterai l’humble jardinier. »
En effet, au bout de peu de temps, une ravissante floraison de clochettes odorantes couvrit le sol de la forêt, célébrant le mois de mai et la beauté du renouveau. Il y en a partout, partout, même dans nos régions, de ces jolis lis de la vallée qu’on appelle aussi muguet de mai.

M. D’Alençon.

mercredi 29 avril 2020

Le Chemin de la vie Francis Jammes


Un poète s’assit un jour à une table pour écrire un conte. Aucune idée ne lui venait, mais il était joyeux, parce que le soleil éclairait un géranium sur la croisée, et qu’au milieu de la croisée, ouverte et bleue, une mouche volait.
Tout à coup, sa vie lui apparut. Elle était une grande route blanche qui, partie d’un bosquet noir où riaient des eaux, aboutissait à une petite tombe calme envahie de ronces, d’orties et de saponaires.
Dans le bosquet noir, il reconnut l’ange gardien de son enfance. Il avait des ailes dorées comme une guêpe, des cheveux blonds et une figure calme comme l’eau d’une citerne un jour d’été.
L’ange gardien dit au poète :
— Te souviens-tu de quand tu étais petit ? Tu venais ici avec ton père et ta mère qui péchaient à la ligne. La prairie, non loin, était chaude et pleine de jolies fleurs et de sauterelles. Les sauterelles ont l’air de brins d’herbes cassés qui marchent. Veux-tu revoir, ami, cet endroit ?
Le poète répondit : Oui.
Et ils s’en furent ensemble jusqu’à la rivière bleue sur laquelle il y a le ciel bleu et des noisetiers noirs.
— Voici ton enfance, dit l’ange.
Et le poète regarda l’eau, pleura et dit :
— Je ne vois plus se refléter ici les douces figures de mon père et de ma mère. Ils s’asseyaient sur la rive. Ils étaient calmes, bons et heureux. Moi, j’avais un tablier blanc que je salissais toujours, et maman l’essuyait avec son mouchoir.
Bon ange, dis-moi, que sont devenus les reflets de leurs douces figures ? Je ne les vois plus. Je ne les vois plus.
À ce moment, un joli bouquet de noisettes sauvages se détacha d’un coudrier et flotta, suivant le fil de l’eau.
Et l’ange dit au poète :
— Le reflet de tes père et mère a suivi le fil de l’eau comme ces jolis fruits. Car tout cède au courant, les objets et les apparences. L’image de tes doux parents s’est fondue en l’eau, et ce qui en reste s’appelle souvenir. Recueille-toi et prie. Et tu vas retrouver les images bien-aimées.
Et comme un martin-pêcheur d’azur filait sur les roseaux, le poète s’écria :
— Bon ange ! N’est-ce point que je vois passer dans les ailes de cet oiseau, la couleur des yeux de ma mère ?
El l’être divin :
— Tu l’as dit. Mais regarde encore.
Et du haut d’un arbre où une tourterelle avait fait son nid, une plume, légère et blanche, tomba, volante, en tournoyant sur l’eau.
Et le poète s’écria :
— Bon ange ! Ce duvet si blanc n’est-il pas la douceur pure de ma mère ?
Et l’être divin :
— Tu l’as dit.
Un léger souffle rida l’eau, fit bruire les feuillages.
Et le poète demanda :
— N’est-ce pas la voix douce et grave de mon père ?
Et l’être divin :
— Tu l’as dit.

Alors ils continuèrent de marcher sur la route qui sortait du bosquet et longeait la rivière. Et bientôt, sous le soleil, la route devint blanche, blanche. Elle était pareille à une nappe de Sainte-Table. À droite et à gauche, les sources cachées faisaient un bruit de clochettes pieuses. Et l’ange dit :
— Reconnais-tu ce passage de ta vie ?
— Voici, répondit le poète, le jour de ma première communion. Je me souviens de l’église, des figures heureuses de ma mère et de ma grand-mère. J’étais à la fois content et triste. Avec quelle ferveur je m’agenouillai ! Des frissons passaient dans mes cheveux. Et le soir, au repas de famille, on m’embrassait en disant : C’était le plus beau.
Et, à ce souvenir, le poète fondit en sanglots. Et, pleurant ainsi, il était beau comme au jour de la belle cérémonie. Ses larmes coulaient à ses mains, comme une eau bénite.
Et ils continuèrent de marcher sur la route.
Le jour baissait un peu. Les peupliers souples ondulaient doucement le long des fossés. L’un d’eux, au loin, au milieu d’une prairie, ressemblait à une grande jeune fille. Et le ciel se teignait si délicieusement qu’il était pâle et bleu comme une tempe de vierge.
Et le poète songea à la première femme qu’il avait aimée.
Et l’ange gardien lui dit :
— Cet amour fut si pur et douloureux qu’il ne m’offusqua point.
Et tandis qu’ils cheminaient, l’ombre était douce. Des agneaux passaient. En voyant la douleur du poète, l’être divin eut un sourire grave et doux comme celui d’une mère malade. Et ses ailes d’or frémissantes chassaient les souffles du soir. 
Bientôt les étoiles s’allumèrent dans le silence.
Et le ciel ressemblait à un lit paternel entouré de cierges et de douleurs muettes. Et la nuit avait l’air d’une grande veuve à genoux sur la terre.
— Reconnais-tu ceci ? dit l’ange.
Et le poète ne répondit point et s’agenouilla.
Ils arrivèrent enfin à l’endroit où se terminait la route, près de la petite tombe calme envahie de ronces, d’orties et de saponaires.
Et l’ange dit au poète :
— J’ai voulu t’enseigner ton chemin. Voici où tu dormiras, non loin des eaux. Elles t’apporteront, tous les jours, l’image de tes souvenirs : l’azur du martin-pêcheur semblable aux yeux de ta mère ; le duvet de la tourterelle pareil à sa douceur ; l’écho des feuillages pareil à la voix grave et calme de ton père ; le reflet de la route, blanche comme ta première communion ; la forme souple comme un peuplier de celle que tu aimas.
Enfin, les eaux t’apporteront la grande Nuit lumineuse.

lundi 27 avril 2020

CONTE : TOUT VA BIEN…


Un monarque hindou avait un ministre qui était célèbre pour sa sagesse, et qu’on venait consulter de loin.
A tous ceux qui, dans le désespoir et le malheur, lui demandait conseil, il disait invariablement :
– Dieu fait tout pour le mieux.
Un jour, le roi emmena son ministre à la chasse, dans la jungle. En traquant un fauve, le souverain et le sage furent séparés de la suite royale, et finirent par s’égarer au cœur de l’immense forêt. Vers midi, la chaleur devint accablante. Harassé, affamé, le roi s’écroula de découragement à l’ombre d’un arbre.
– Ministre, gémit-il je suis à bout de force et j’ai affreusement faim !
Essaye de me trouver quelque chose à manger. Le ministre alla cueillir des fruits qu’il offrit à son maître mais celui-ci, dans un accès de fébrilité gloutonne, fit un faux mouvement avec son couteau et se trancha un doigt.
– O ministre, que j’ai mal ! cria-t-il, en serrant son membre mutilé qui saignait abondamment.
L’autre se contenta de dire paisiblement :
– Dieu fait tout pour le mieux.
Ces paroles eurent le don d’exaspérer le roi, déjà furieux de sa mésaventure. Fou de rage, il bondit sur le ministre et le roua de coups en hurlant :
– Misérable crétin ! J’en ai assez de ta philosophie ! Je suis en proie aux pires souffrances, et ce que tu trouves à dire pour me soulager, c’est : Dieu fait tout pour le mieux ! Va t-en au diable ! Je ne veux plus jamais te voir ni entendre parler de toi !
Le ministre se retira aussitôt, en répétant tranquillement : Dieu fait tout pour le mieux !
Resté seul, le monarque se confectionna un bandage avec un lambeau de sa tunique, en roulant d’amères pensées.
Soudain, deux robustes gaillards surgissant des fourrés se précipitèrent sur lui et le ligotèrent promptement. Le roi n’était guère en état de se battre, et ces hommes étaient des colosses.
– Quelles sont vos intentions ? Que voulez-vous de moi ? demanda le souverain effrayé.
– Nous allons t’offrir en sacrifice à notre grande déesse Kâli. Chaque année à cette même date, nous avons coutume de lui rendre ainsi hommage. Et nous cherchions justement une victime convenable quand un hasard propice nous a guidé vers toi.
– C’est impossible ! protesta le captif horrifié. Vous ne savez pas à qui vous avez affaire ! Je suis le roi de ce pays ! Vous devez me relâcher !
– Ah ! Fort bien ! S’esclaffèrent les deux géants. Notre vénérable Kâli sera particulièrement contente, lorsqu’elle verra quel personnage important nous lui offrons cette année ! Allons suis moi ! Toute résistance est inutile.
Le monarque atterré, fut traîné jusqu’au temple de la déesse et placé sur l’autel. Le prêtre s’apprêtait à lever son poignard, lorsqu’il remarqua le bandage encore tout maculé que portait la victime. Ayant constaté qu’un morceau de doigt manquait au prince, il le fit sur-le-champ libérer, en disant :
– Cet individu n’est pas digne de notre grande déesse ! Nous devons offrir à Kalî un homme entier, parfaitement constitué. Celui-ci ne convient guère. Qu’il s’en aille ! Le roi se hâta de déguerpir, ravi d’avoir échappé de justesse à un sort si funeste. Et il se mit à songer aux paroles de son ministre : Dieu fait tout pour le mieux. Ne serait-il pas maintenant dépecé sur l’autel de Kalî, s’il ne s’était coupé un doigt par une heureuse inadvertance ? Se reprochant vivement la manière dont il l’avait insulté et brutalisé son conseiller, il sillonna la forêt en appelant le ministre, afin de réparer au plus vite son injustice. Il finit par découvrir le sage qui méditait dans une clairière. Le roi l’embrassa en le suppliant de lui pardonner son erreur. Puis il lui raconta son aventure, et comment les adorateurs de Kâli l’avaient relâché, grâce à sa mutilation.
– Sire, je n’ai rien à vous pardonner, dit le ministre, et vous ne m’avez nullement offensé. Bien au contraire, c’est moi qui vous doit la vie. Si vous ne m’aviez pas chassé, j’aurais été capturé avec vous, et les sectateurs de la déesse m’auraient forcément immolé à votre place, puisque mon corps est intact.
Ainsi vraiment, Dieu fait tout pour le mieux !
Swami Ramdas

samedi 25 avril 2020

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc, 24:13-35


Le même jour (c’est-à-dire le premier jour de la semaine), deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé.

Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux.

Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. »

Il leur dit : « Quels événements ? » Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple : comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »

Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait.

Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin.
Mais ils s’efforcèrent de le retenir : « Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux.

Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? »

À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.



Pistes de réflexion :

Nous sommes en route sur notre chemin de vie. Jésus nous y rencontre, chacun, personnellement. Combien de fois mes certitudes, la croyance que « j’ai tout compris » me font-elles faire demi-tour, retourner en arrière, dans mes fausses sécurités ? Là, alors que je suis triste, découragée, dépitée, Jésus me rejoint. Non pas pour me ridiculiser, me faire la morale ou me contraindre. Il chemine à mes côtés, il m’écoute. Tout en douceur, il m’ouvre les yeux pas à pas. Mais il ne cherche pas à me convaincre par des discours. Il n’espère pas que je parvienne à un niveau de connaissances élevé. Il me rappelle simplement qu’il a donné sa vie pour moi, telle que je suis aujourd’hui, pour que je puisse recevoir la vie éternelle. C’est le rappel de ce don qui ouvre mes yeux et mon cœur. Je ne peux alors que reprendre la route pour courir vers mes frères leur partager cette bonne nouvelle.
Tout au long de notre vie nous vivrons des peines et des joies comme les disciples d'Emmaüs. Tous les moments de tristesse, où plus· rien ne va, sont des petites morts que nous sommes en mesure de vaincre dans l'espérance, afin de retrouver notre joie. Jésus, par sa propre mort et sa Résurrection, nous démontre que la mort est une source de vie qui ne s'épuise jamais.

 Les disciples de Jésus ont passé par toutes sortes d'émotions avec leur ami. Jésus a été rejeté par les autorités, tué, mis dans un tombeau. II est revenu à la vie pour la plus grande joie des disciples. Toutefois, certains ne l'on pas reconnu du premier regard. Les disciples d'Emmaüs sont de ceux-là. Ce n'est pas facile pour nous aussi de croire Que Jésus est présent dans notre Quotidien.

Questions

Pourquoi leurs yeux étaient empêchés de reconnaître Jésus ?
 De quoi peuvent parler les disciples entre eux ?
 Pourquoi ont-ils l’air sombre ?
Que s’est-il passé à Jérusalem ces jours-ci ?
Pourquoi les disciples disent-ils que Jésus était un prophète puissant en action et en parole ?
 Pourquoi les chefs des prêtres ont-ils condamné Jésus à mort ?
Que pensez-vous de ce que les femmes sont venues dire ?
Quel jour de la semaine a lieu cette histoire ?
  Pouvez-vous dire ce qu’est un prophète ?
Pourquoi Jésus leur parle de Moïse et des prophètes (Ancien Testament)
Que pensez-vous de l’attitude de Jésus ?
Pourquoi les disciples souhaitent-ils rester encore avec Jésus ?
Les paroles que Jésus prononce à table vous font-elles penser à d’autres paroles ?
Pourquoi Jésus devient-il invisible ?
Qu’est-ce qu’un coeur tout brûlant ?
Pourquoi les disciples retournent-ils à Jérusalem si vite après la fraction du pain ?



JEU : Empreintes de pieds

D'un côté de la pièce, une pancarte indique Jérusalem. De l'autre côté, placez un panneau
dit Emmaüs.
Matériaux: «pieds», ruban, questions
Instructions:

1. Fabriquez suffisamment de «pieds» en utilisant le motif trouvé dans les pages suivantes. Si vous souhaitez utiliser les pieds dans d'autres occasions, il serait bon de les plastifier.
2. Vous pouvez choisir d'écrire une question sur chacun des pieds (si vous ne souhaitez les utiliser que pour ce jeu).

Comment jouer:

1. Divisez le groupe en deux groupes
2. Un représentant du premier groupe choisit un pied. L'enseignant lit la question et le groupe doit répondre. Si le groupe répond correctement, il peut mettre le pied imprimer sur le terrain, quitter Jérusalem et se diriger vers Emmaüs.
3. Ensuite, le deuxième groupe envoie un représentant pour faire la même chose. Si le groupe répond correctement, ils peuvent poser le pied. Le groupe qui arrive le premier à Emmaüs encourager et encourager le deuxième groupe jusqu'à ce qu'ils arrivent également à Emmaüs.

QUESTIONS POUR LE JEU

Ce sont toutes des questions vraies ou fausses.

1. Jésus était dans la tombe 3 jours (vrai)
2. Jésus est ressuscité des morts un vendredi. (faux, dimanche)
3. Jésus est monté à Jérusalem sur une charrette (faux, âne)
4. Jésus et ses disciples ont célébré ensemble le dernier souper (vrai)
5. Jésus a eu 14 disciples (faux, 12)
6. Pierre a nié son amitié avec Jésus 3 fois (vrai)
7. Jésus déjeunait lorsque les soldats sont venus l'arrêter (faux, priant)
8. Lorsque Jésus est arrivé à Jérusalem, le peuple l'a reçu avec des ballons et des banderoles (faux, branches de palmier)
9. Judas a reçu 20 pièces d'argent pour avoir rendu Jésus aux soldats (vrai)
10. Judas a lavé les pieds de Jésus et des disciples lors du dernier souper (faux, Jésus l'a fait)
11. Le nom du jardin où Jésus a prié est «Gethsémani» (vrai)
12. Judas a donné un câlin à Jésus pour que les soldats sachent qui arrêter (faux, un baiser)
13. Pierre a coupé l'oreille d'un soldat (vrai)
14. Pilate a permis à Jésus d'être crucifié même s'il n'a trouvé aucune faute en lui (vrai)
15. Barabbas était le criminel crucifié avec Jésus (faux, il a été libéré)
16. Jésus a été couronné d'une couronne d'or (fausse, une couronne d'épines)
17. Jésus a été battu avec un fouet (vrai)
18. Le rideau du temple s'est déchiré lorsque Jésus est mort (vrai)
19. Le corps de Jésus a été placé dans un tombeau ouvert après avoir été crucifié (faux, il a été fermé)
20. L'ange a annoncé la résurrection de Jésus (vrai)
21. Après la résurrection, Jésus est apparu en premier à Pierre et à Jean (faux, à Marie de Magdala)
22. Après la résurrection, il y avait des disciples qui marchaient avec Jésus et ne le savaient pas était-il (vrai)

Ce sont toutes des questions ouvertes. Cependant, le groupe répond- ils peuvent progresser

1. Je me demande ce que le disciple a ressenti quand il a vu Jésus vivant après sa mort?
2. Je me demande pourquoi Jésus était prêt à mourir pour nous?
3. Je me demande ce que c'est que de savoir que Jésus est toujours avec nous?
4. Comment vous sentez-vous en sachant que Jésus vous aime?
5. Je me demande si les disciples ont eu peur lorsqu'ils ont vu Jésus pour la première fois? Comment te sentirais-tu?
6. Je me demande ce que ce serait de parler à un ange?

vendredi 24 avril 2020

CONFINEMENT, PETIT CONTE AVRIL 2020 Isabelle Raviolo :


« Le premier qui ayant enclos un terrain s’avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : « Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne ! »


Jean-Jacques ROUSSEAU, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

Jadis, à Hybripolis, un mal mystérieux se répandait. Il rongeait les habitants de la cité. Eux qui avaient pour habitude de capitaliser, étaient soudain pris du désir de donner. Leur « modèle » avait changé : ils étaient passés de Bill Gates à François d’Assise. Et tandis que les GAFAN maigrissaient, les jardins partagés augmentaient : les hommes se parlaient pour de vrai, s’embrassaient, s’aimaient. Plus de tablettes, ni d’écrans interposés. Les plasmas fondaient, et la nature se régénérait. Oui, la machine se grippait ; mais l’homme s’humanisait. Sous l’effet de ce mal, il reprenait chair,
découvrait la splendeur du précaire.


Wall Street, la BNP et le Crédit Lyonnais étaient affolés. Ils ne parvenaient pas à trouver l’antidote, et les caisses se vidaient. Ils eurent recours aux experts. Le corps médical constata que le virus provoquait une atrophie du lobe frontal inférieur droit, en même temps qu’une augmentation du ventricule gauche. Sur le scanner, on voyait les oreillettes palpiter. On était vraiment à deux doigts du krach boursier. Les Hybrisois qui, jadis, vivaient au rythme de la monnaie, du profit, et d’une économie mondialisée, distribuaient maintenant sans compter. Plus personne ne voulait épargner. Les malades ne demandaient ni argent ni produits chimiques, mais de la douceur, de l’amour et de la nourriture authentiques.


Les dirigeants et politiques, et les brillants hybriologues, n’étaient pas épargnés. Le mal gagna tant et si bien que le monde finit par tourner rond. En perdant ses pourcentages, le patron de Carrefour eut cette nuit-là des sueurs froides. Quand on le vit au Resto du cœur, on sut qu’il était contaminé. On ne marchait plus sur la tête.

Les hommes avaient retrouvé leurs pieds, et le sens de la terre. Ils devenaient cultivateurs, repeuplaient les campagnes, prenaient soin des arbres et des bêtes.


Le Ministère des Finances se mit alors sur le pied de guerre. Il déploya les forces armées, une police secrète prête à contrôler les moindres faits et gestes. On isolait les plus généreux. Mais le mal était contagieux si bien que les égoïstes les plus chevronnés eux aussi cédaient. Ils ne voulaient plus rien s’approprier. Exit la propriété. Rousseau ressuscitait. Smith devenait désuet. Des Discours aux Rêveries, le virus faisait naître une irrésistible envie de virées, de promeneurs sans baladeurs. Les Hybrisois se mettaient au vert. Finis les cartes de crédit, les comptes en rouge, et l’Oiseau bleu Twitter.
L’esclavage était aboli.


Si les ordinateurs s’éteignaient, les hommes se remettaient à marcher. Le mal avait détruit les phobies, les murs, les politiques de sécurité. Au fur et à mesure qu’il progressait, portes et fenêtres s’ouvraient ; les tables s’agrandissaient. Les hommes ne pensaient qu’à échanger leurs énergies, leurs idées. Et leur cœur s’ouvrit si grand que la ville fut rebaptisé Charipolis. Plus rien ne se vendait, ne s’achetait. L’amour surabondait.


Aussi ce mal fut-il un bien : les habitants avaient compris qu’en donnant ce qu’on ne possédait pas, on recevait au centuple, et l’on vivait en harmonie.


lundi 20 avril 2020

Conte de Claudie by Les métallos|Published avril 14, 2020


Il était une fois, un pays merveilleux dont j’ai oublié le nom. Comme ce pays était merveilleux, il y avait un roi, une reine, leur fille Diana (un seul enfant avait dit la reine) et le petit peuple. Si ce pays avait été une République, il aurait été évidemment moins merveilleux. Heureusement, dans les contes de fées il n’y a que des royaumes et des bons rois.
Le roi au lieu de se satisfaire de l’harmonie qui régnait dans son royaume envoya une flotte de  navires explorer le vaste monde à la recherche de nouvelles richesses et d’informations sur d’autres territoires éventuellement à conquérir.
« Pourquoi conquérir d’autres territoires ? Tu n’es pas bien ici ? » Lui demanda la reine.
« Tais-toi, femme ! »
« Je suis quand même la reine » soupira-t-elle
Ce qui fut dit par le roi fut fait. Il envoya une flotte de 6 corvettes commandée par le capitaine Jules Vernes. Six mois plus tard, la flotte revint avec un butin dépassant toutes espérances.
Le capitaine Vernes se précipita dans la grande salle du palais afin de déposer ses richesses aux pieds du roi …: des fruits et légumes aux couleurs chatoyantes et au goût délicieux, des coffres remplis de trésor et 2 étranges créatures recouvertes d’une couverture épaisse.
Qu’y a-t-il derrière cette couverture ? demanda le roi
Le capitaine expliqua « Ces créatures doivent subir un confinement de quelques heures chaque fois après avoir été exposées au soleil sinon elles deviennent transparentes et elles rétrécissent  »
« Bien, et maintenant, puis-je les voir » s’impatienta le roi
« Ces créatures viennent de leur plein gré, Messire. Elles sont les ambassadrices d’un peuple étrange dont nous ne comprenons pas vraiment le langage. Nous les avons nommés coronavirus parce que quand la lune apparaît, elles dansent en couronne en chantant « virus, virus, virus » C’est très agréable à entendre. »
« Peut-être, celles-ci  pourront-elles faire une démonstration de leur talent » répliqua le roi.
Jules Vernes souleva la couverture avec prudence.
Deux adorables petites boules d’aspect nacré, munies de plusieurs dizaines de petites tentacules aux extrémités arrondies et duveteuses ; 2 grands yeux décorés par des cils transparents mais visibles. La princesse Diana fut immédiatement charmée. L’une d’elles, ressentant l’empathie de la jeune fille, sauta dans ses bras en roucoulant.
La reine-mère, effrayée par l’audace de sa fille, lui recommanda, «  fais gaffe, ma fille »
L’autre petit virus entama une chanson douce :
« cluster, épidémie, patient zéro, gestes barrières, gouttelettes respiratoires, super-spreader, quatorzaine, asymptomatique. »
« C’est quoi ce jargon ? Se plaint le roi …et la danse ? Il ne danse pas ? »
Jules répondit soucieux «  ils répètent sans arrêt ces paroles. Peut-être, est-ce une sorte d’hymne national. »
Le roi n’eut pas le temps d’exprimer sa colère que le joli virus assis sur les genoux de Diana éternua en émettant une douce musique fluide comme celle d’une harpe.
La reine eut juste le temps de conseiller à sa fille «  jette moi ça et lave toi les mains »
Puis un petit nuage sortit de la petite bouche du virus, il grossit  au point de remplir la grande salle du palais, puis tout le palais puis tout le royaume.
Le roi, la reine, Diana, les occupants du château, le petit peuple, tous plongèrent dans le sommeil. Cela dura 14 jours…. une quatorzaine !
A leur réveil, le butin dans la salle de réception du château avait disparu, fruit, trésor et virus….Les blés avaient poussé et personne ne les avait encore fauchés. Le travail ne manquait pas. Même Diana avait participé aux travaux des champs. Jules Vernes qui avait désiré un jour épouser la princesse la suivit partout. Sans l’appui du roi, son espoir fut vite réduit à néant par l’hostilité de la princesse. Il devint boulanger. Diana épousa un paysan et s’installa dans sa ferme en renonçant définitivement à son statut de princesse. A la mort du vieux roi, la reine épousa le boulanger Jules et elle fut très heureuse car il faisait les meilleurs croissants du royaume. Le château devint un centre administratif qu’elle n’habitait plus. Elle géra les affaires du Royaume puis prépara sa succession lorsqu’elle fut très vieille.
A sa mort, la République s’installa dans le Royaume.
Comme il n’y a pas de République dans les contes de fée, ce conte s’arrête ici. 
Claudie

samedi 18 avril 2020

La femme aux mains de lumière


Dans la montagne verte fut autrefois la citadelle d’un guerrier à l’âme forte nommé Psébadé, et de son épouse Adaya, belle comme un soleil. Cette demeure sauvage était bâtie au bord d’un torrent impétueux et profond. C’était une retraite sûre. Psébadé n’y craignait personne.
Quand il partait en expédition, Adaya s’asseyait à la fenêtre de sa plus haute tour, tendait ses mains au-dehors et éclairait son chemin. Car cette femme incomparable avait le pouvoir de faire jaillir la lumière de ses doigts blancs. Elle assurait ainsi les pas de son époux, tandis qu’il descendait dans la brume de l’aube vers les plaines fertiles. Et quand, la nuit, l’ennemi aux trousses, il revenait chargé du butin de ses razzias, elle lançait un pont de toile au travers du torrent et l’illuminait puissamment. Dès que Psébadé avait passé ce pont, elle s’empressait de le relever, puis à la hâte cachait ses mains rayonnantes. Alors ceux qui le poursuivaient se perdaient dans les ténèbres et, mouillés de l’écume des cascades qu’ils n’osaient traverser, ils s’en retournaient à grand-peine chez eux.

Or, il advint que ses exploits enviables gonflèrent Psébadé d’orgueil bavard, au point qu’un jour de festin parmi des voyageurs de passage il se prit à s’enflammer de ses vantardises.
― Qui pourrait me vaincre ? dit-il. Personne. Même du pays des géants cyclopes, je reviendrai vivant et riche, s’il me prenait fantaisie d’aller piller chez eux. Hier encore, j’ai franchi le torrent avec dix-huit chevaux pommelés et vingt et une vaches dérobées dans la plaine. Aucun de ceux qui me couraient au train (ils étaient plus de cent) n’a pu me rejoindre !
Adaya, l’entendant ainsi parler, baissa le front et murmura soudain renfrognée :
― Ne suis-je donc pour rien dans tes faits d’armes ?
Psébadé la toisa un moment en silence puis répondit, les sourcils joints et la bouche   arquée :
― Je vais seul en razzia. Marches-tu à ma place ? Est-ce ta vie ou la mienne que les flèches menacent ? Tais-toi donc femme, tu ne sais ce que tu dis.
― Homme, ta vanité me fait honte, gronda la belle Adaya, relevant fièrement la tête. Il est des héros plus braves que toi dans le monde.
Psébadé, cognant des deux poings sur la table, se leva, le cœur troué de rage.
― Tu sauras bientôt quelle est ma vraie valeur, dit-il.
Sur l’heure, il sella son cheval et s’en alla.

Cette fois, il se perdit inexplicablement. Il erra, de jour en jour plus amer. Partout où le hasard le conduisit, il fut repoussé. Il ne put piller que maigre pitance. Sa monture se traîna bientôt sur les chemins pierreux, prise d’étrange fatigue, et sa belle pelisse de feutre, délavée par les pluies et les soleils, se fendit au milieu du dos. Alors, à bout de forces, il décida de rentrer chez lui.
Pour ne point revenir bredouille sur le chemin du retour il attaqua un village aux enclos foisonnants de bétail. Il ne put rien voler et se trouva poursuivi par une meute de guerriers aux chevaux vifs. Une nuit, Adaya, du haut de la tour où elle s’était enfermée, l’entendit appeler à l’aide, de l’autre côté du torrent. Elle contempla sur ses genoux ses mains de lumière, mais ne bougea pas, pensant qu’il devait vaincre seul les ténèbres, puisqu’il en avait ainsi décidé. Elle attendit, guettant le bruit de la porte et le pas ferré de son époux sur les dalles. Le silence s’obstina.
Alors, prise d’inquiétude, elle vint à la fenêtre, ouvrit le volet, tendit au-dehors ses doigts éblouissants. Le bord du torrent était désert. Au loin, vers les terres basses, elle vit une tache noire sur une vaste pierre plate. Elle sortit à la hâte et, bondissant de rocher en buisson le long de la rive, elle parvint toute échevelée où était le corps de Psébadé que le courant tumultueux avait emporté. Il était mort. Elle poussa un hurlement de détresse et d’effroi, s’abattit sur lui et le tint embrassé jusqu’à l’aube. Quand le jour vint, elle l’ensevelit, s’agenouilla sur sa tombe et pleura. Elle resta ainsi sept jours et sept nuits, le visage dans ses mains.

Au matin du huitième jour, vint à passer un cavalier. Il était beau et large. Sa chevelure brillait au soleil neuf. Voyant cette belle femme perdue dans son chagrin, il mit pied à terre et lui demanda pourquoi elle se lamentait ainsi.
― Qu’importe, lui dit-elle. Tu ne peux rien pour moi. Passe ton chemin.
L’homme lui répondit :
― Secourir une femme dans la peine porte chance aux aventureux. Réfléchis. Dans une heure, je reviendrai. Alors tu me diras quelle douleur te tient, et je t’aiderai.
Il remonta en croupe et s’en fut le long du torrent.
Adaya le suivit des yeux. Elle le vit bientôt pousser son cheval dans les eaux tourbillonnantes. Elle pensa : « Il va se noyer. » Elle voulut lui crier de prendre garde. Elle n’en eut pas le temps. La monture et le cavalier, ruisselants d’écume, déjà reprenaient pied sur l’autre rive. « Quelle vaillance ! se dit-elle. Le héros que je pleure fut moins brave que lui, pour mon malheur. Par la souveraine des mers et des rivières, il faut que j’éprouve cet homme ! » Elle releva la tête, ouvrit les bras et pria ainsi le Ciel :
― Déesse terrible et généreuse, fais que le jour s’obscurcisse, que la tempête gronde, que les éclairs déchirent les nuées, que les cascades submergent les terres !

La sévère dame des rivières l’exauça. À peine Adaya avait-­elle parlé que de lourds nuages s’élevèrent, effacèrent la lumière du jour, tombèrent en aveuglants déluges. Dans le fracas de la tourmente, la femme aux doigts de lumière, courbée sur la tombe de son époux, entendit soudain un galop crépitant. Elle se redressa et vit au travers de l’averse le cavalier accourir à nouveau vers elle.
― Pourquoi es-tu revenu ? lui cria-t-elle.
Il lui répondit en riant :
― Pouvais-je t’abandonner dans une pareille tempête ?
― Tu as risqué mille morts à franchir deux fois ce torrent. Vois comme il est furieux.
― Ce n’est pas moi qui l’ai franchi, c’est mon cheval, dit l’homme, riant de plus belle.

Cette réponse plut à Adaya. Elle baissa la tête pour dissimuler la lueur de ses yeux. Le cavalier s’assit à côté d’elle et couvrit ses épaules de son vaste manteau. Alors, tout soudain, la pluie cessa, les nuages se dispersèrent, le soleil à nouveau brilla, haut dans le ciel, et la terre alentour verdit. Seul, le sol de la tombe resta aride et noir.
― Regarde, dit Adaya. Tout, autour de nous, semble éprouver du bonheur à vivre. Tout a fleuri en un instant, sauf ce carré de terre où est un mort. Pourquoi ?
― Parce que celui qui est couché-là n’aimait que lui-même, répondit l’homme. Il n’aimait pas la vie.
Adaya baissa la tête et murmura :
― Celui qui est couché là m’aimait et je l’aimais. Il était mon époux.
― Tu l’aimais, mais il ne t’aimait pas, dit l’homme. S’il t’avait aimée, sa tombe se serait couverte de fleurs.
Il regarda la jeune femme, lui sourit. Un long moment elle le regarda aussi.
― Comme ta chaleur est bonne, dit-elle.
Puis elle sortit brusquement de l’abri du manteau et se mit à disperser à grands gestes rageurs le tertre qu’elle avait élevé. Son compagnon lui demanda pourquoi elle se prenait ainsi de fureur. Elle gronda :
― Cet homme qui n’aimait que lui ne mérite pas qu’on se souvienne de sa vie.
― Tu as pris une peine inutile à élever cette tombe, lui dit le cavalier. Tu prends une peine inutile à la détruire. Qu’elle demeure telle qu’elle est et, en la voyant stérile, que rougissent de honte ceux qui n’aiment qu’eux-mêmes.

L’homme aux mains puissantes et la femme aux mains de lumière se levèrent et s’en furent ensemble le long du torrent, sous le soleil paisible.


Henri Gougaud
L’Arbre aux Trésors
Paris, Éd. du Seuil, 198