Auteur : Christiane | Ouvrage : Et maintenant une
histoire
Vaillance, devoir d’état
Geneviève, sa quenouille tenue nonchalamment,
laissait errer son regard par -delà la grande plaine de Champagne qui
s’étendait au pied du château. Dieu, que c’était donc ennuyeux de filer ainsi
tout le jour tandis que les armées livraient bataille à l’ennemi ! Un
gros soupir, lourd de tous ses désirs, s’exhala des lèvres de Geneviève.
« Ah ! Si je connaissais Jeanne, j’irais
la trouver et lui demanderais de me prendre avec elle. »
Cette réflexion, prononcée à voix haute, attira
sur la fillette, presque une jeune fille déjà, les regards de dame Éloïse, sa
mère, qui, en face d’elle, était occupée à une broderie d’autel.
« Que feriez-vous à guerroyer avec les
gens d’armes ? Vous ne savez pas monter à cheval et le premier boulet
vous ferait pousser de tels cris d’effroi que vous ne sauriez rester dans la
bataille. »
D’un geste orgueilleux, Geneviève a relevé
la tête :
« Pourquoi alors Jeanne
y reste-t-elle ?
— Jeanne, mon enfant, fut mandée par Dieu pour
délivrer le royaume.
— Eh bien ! Pourquoi ne le serais-je
pas aussi ? »
Pourquoi pas moi ? Voilà ce qui revenait sans
cesse à l’esprit de Geneviève ; et s’obstinant dans son rêve
orgueilleux, elle formait des projets insensés, n’écoutant pas les sages
conseils que dame Éloïse, alignant ses points de broderie, lui prodiguait.
* * *
Dans la ville pavoisée, il y a grande
animation : d’immenses tapis recouvrent les dalles de la cathédrale, les
portes sont tendues de velours écarlate, chacun s’affaire, pavoisant sa demeure
pour faire digne accueil au Roi et à Jeanne, car c’est demain que la bonne
ville de Reims reçoit le souverain et la Pucelle ; c’est demain, dans la
grande cathédrale, que le Roi sera couronné. Geneviève bout d’impatience ;
anxieuse, elle scrute la route et répète à Yolande, sa blonde amie :
« Il faut que je vois Jeanne, elle doit passer
par ici ce soir, je veux l’aider à sauver le royaume.
— Ne fais-tu donc aucun cas de ce que ta noble mère
te disait hier encore, ma pauvre Geneviève ; tu peux tout aussi bien
sauver notre France en étant une femme filant la laine et le lin.
— La laine et le lin n’ont jamais fait reculer
l’ennemi… Oh ! Tiens ! Regarde ; voilà Jeanne qui s’avance sur
son grand cheval blanc ; vois son oriflamme qui claque dans le vent et
dont les lettres d’or rutilent au soleil.
— Il a dû être dans bien des batailles. Vois,
Geneviève, là, de ce côté, la soie bleue est déchirée et les lettres d’or en
sont toutes effilochées. Si j’osais…
— Si tu osais ?
— Je le lui raccommoderais ! »
Un éclat de rire moqueur salua l’idée de Yolande.
« Mais, ma pauvre petite, tu n’y connais rien
du tout, c’est bien mieux ainsi ; il n’en est que plus glorieux.
— Peut-être ! Mais le sacre de
demain ? »
Yolande n’acheva pas sa phrase, Jeanne arrivait
devant les deux amies et descendait de cheval. Geneviève déjà s’était
précipitée à sa rencontre tandis que Yolande, rougissante de joie, ployait
le genou devant la Pucelle qui gentiment lui tendit les mains. Geneviève
pourtant, impatiente, ne put garder son désir plus longtemps :
« Jeanne, vous que dans toute la ville on
a surnommée la Vaillante, voulez-vous de moi pour combattre à vos
côtés ? Je voudrais tant vous aider à sauver le royaume. »
Alors, le regard de Jeanne se posa, soudain sévère,
sur Geneviève :
« Soyez active ménagère, bonne pour les
orphelins, charitable aux pauvres ; apprenez à filer la laine et le
lin, à repriser les hauts-de-chausses. C’est ainsi que vous pourrez
m’aider. Tenez — acheva Jeanne avec un beau sourire — voyez mon oriflamme, un
coup d’épée en a déchiré la soie ; voulez-vous m’y faire la
réparation nécessaire ! Si vous savez mettre tout votre cœur dans les
quelques points que vous ferez, avec lui vous serez à la gloire demain,
comme il a été et sera encore dans bien des combats. »
Geneviève sentit le rouge envahir son front, tandis qu’elle
avouait son ignorance, jetant un regard suppliant vers Yolande. Alors la bonne
fillette s’avança, avec un respect religieux se saisit du précieux oriflamme,
et à la suite de Jeanne pénétra dans le château.
Et quelques instants plus tard, on pouvait voir dans
l’embrasure de la petite fenêtre une tête blonde penchée sur la soie bleue,
réparant avec amour les lettres d’or : « Jhésus-Maria », tandis
que Jeanne confiait à Geneviève l’ardent désir qui envahissait son cœur et
qu’elle comptait bien réaliser quand sa mission serait terminée : s’en
retourner filer la laine en gardant les moutons dans son petit village de
Domrémy.
Geneviève jamais n’oublia la confidence de Jeanne la
Guerrière, et chaque jour vit désormais la petite châtelaine de Champagne s’appliquer
de son mieux à servir Dieu et la France, en accomplissant avec amour sa
tâche de tous les jours.
Christiane.
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