Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du
clocher - 1. Les sacrements.
Temps de lecture : 3 minutes
Histoire d'une dispute entre deux amis ; le pardon
et le sacrement de communion Reine et Colette sont en brouille.
C’est arrivé pour une bêtise : Reine voulait un
livre ; Colette le désirait aussi ; elles se sont chamaillées. Reine a traité
Colette de tricheuse ; Colette a giflé Reine ; puis elles se sont tourné le dos
en proclamant très haut que « jamais elles ne se recauseraient ».
Jacqueline-la-douce a bien essayer d’arranger
l’affaire. Mais elle s’est heurtée à de sombres visages fermés, aux regards
fuyants et aux lèvres pincées.
– Elle m’a appelée « tricheuse » ! explosa Reine aux
yeux fulgurants.
– Elle m’a giflée ! grogna Colette, renfrognée.
– Mettons que vous êtes quitte, et faites la paix !
Hélas ! Colette ne répondit rien et Reine déclara :
– Jamais !
Puis elle sortit en claquant la porte.
***
Cela dure depuis des semaines.
Au fond, elles sont très ennuyées, l’une et l’autre
; avant cette histoire, elles étaient les meilleures amies du monde ; voisines,
toujours ensemble. Maintenant, elles vont à l’école à la queue leu leu ; le
soir, Reine s’en va toute seule faire les commissions, et Colette s’en va toute
seule chercher l’herbe pour les lapins…
Ce n’est pas gai !…
Non !
Mais Colette a dit qu’elle « ne recauserait jamais »
à Reine.
Et Reine a affirmé qu’elle « ne recauserait jamais »
à Colette.
Elles ne veulent pas se dédire…
Cette brouille odieuse va-t-elle empoisonner
longtemps leur vie ? Je n’en sais rien. Hier, Joseph, le vieux muletier, me
disait que l’on ferait plus facilement céder sa mule « Non-non » que ces deux
filles têtues… Faut-il l’en croire ?
***
En ce matin de Pâques, les cloches carillonnent dans
le ciel, et les chrétiens en fête se dirigent vers l’église, y compris Colette
et Reine, loin l’une de l’autre, avec des mines renfrognées et des airs
dédaigneux.
Eh ! Oui : à la messe aussi elles vont à la queue
leu leu. A l’église, elles se placent ostensiblement aux deux extrémités du
banc. C’est drôle des fillettes brouillées qui sont ensemble dans une église…
Ou plutôt, ce n’est pas drôle du tout : c’est triste
!
C’est encore plus triste quand elles s’avancent pour
communier avec cette brouille-là sur le cœur. Mais si triste et extraordinaire
que cela soit : cela est : mains jointes et les yeux baissés, elles vont à la
Sainte Tables ; Reine bouscule ses voisines pour ne pas s’y trouver à côté de
Colette…
Seulement, Reine est mal à son aise, à genoux au
coin droit de la Table, elle ne peut s’empêcher de couler un œil furtif vers
Colette, à genoux au coin gauche… ; or, juste à ce moment-là, Colette, qui
n’est pas plus à son aise glisse un regard vers Reine…
Deux regards, deux éclairs chargés de haine, cela
va-t-il faire un coup de tonnerre ?…
De coup de tonnerre ? Point.
Car la haine, soudain, s’est éteinte au cœur de
Reine et dans celui de Colette. Dans les regards qui se croisent il n’y a plus
que du soleil et de l’amitié : peut-on garder de la haine en son cœur lorsqu’on
y veut accueillir le Seigneur ?…
***
– Alors ? Cette brouille ? demande Jacqueline,
malicieuse, en voyant Reine et Colette sortir de l’église bras dessus, bras
dessous.
Colette rit, et Reine plaque un joyeux baiser sur
les joues rondes de son amie retrouvée :
– Comment veux-tu que ça dure encore, puisque Jésus
nous a réunies ?
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