lundi 13 avril 2020

Et maintenant une histoire ! « Jamais… ! »


Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du clocher - 1. Les sacrements.
Temps de lecture : 3 minutes

Histoire d'une dispute entre deux amis ; le pardon et le sacrement de communion Reine et Colette sont en brouille.
C’est arrivé pour une bêtise : Reine voulait un livre ; Colette le désirait aussi ; elles se sont chamaillées. Reine a traité Colette de tricheuse ; Colette a giflé Reine ; puis elles se sont tourné le dos en proclamant très haut que « jamais elles ne se recauseraient ».
Jacqueline-la-douce a bien essayer d’arranger l’affaire. Mais elle s’est heurtée à de sombres visages fermés, aux regards fuyants et aux lèvres pincées.
– Elle m’a appelée « tricheuse » ! explosa Reine aux yeux fulgurants.
– Elle m’a giflée ! grogna Colette, renfrognée.
– Mettons que vous êtes quitte, et faites la paix !
Hélas ! Colette ne répondit rien et Reine déclara :
– Jamais !
Puis elle sortit en claquant la porte.

***
Cela dure depuis des semaines.
Au fond, elles sont très ennuyées, l’une et l’autre ; avant cette histoire, elles étaient les meilleures amies du monde ; voisines, toujours ensemble. Maintenant, elles vont à l’école à la queue leu leu ; le soir, Reine s’en va toute seule faire les commissions, et Colette s’en va toute seule chercher l’herbe pour les lapins…
Ce n’est pas gai !…
Non !
Mais Colette a dit qu’elle « ne recauserait jamais » à Reine.
Et Reine a affirmé qu’elle « ne recauserait jamais » à Colette.

Elles ne veulent pas se dédire…
Cette brouille odieuse va-t-elle empoisonner longtemps leur vie ? Je n’en sais rien. Hier, Joseph, le vieux muletier, me disait que l’on ferait plus facilement céder sa mule « Non-non » que ces deux filles têtues… Faut-il l’en croire ?

***
En ce matin de Pâques, les cloches carillonnent dans le ciel, et les chrétiens en fête se dirigent vers l’église, y compris Colette et Reine, loin l’une de l’autre, avec des mines renfrognées et des airs dédaigneux.
Eh ! Oui : à la messe aussi elles vont à la queue leu leu. A l’église, elles se placent ostensiblement aux deux extrémités du banc. C’est drôle des fillettes brouillées qui sont ensemble dans une église…
Ou plutôt, ce n’est pas drôle du tout : c’est triste !
C’est encore plus triste quand elles s’avancent pour communier avec cette brouille-là sur le cœur. Mais si triste et extraordinaire que cela soit : cela est : mains jointes et les yeux baissés, elles vont à la Sainte Tables ; Reine bouscule ses voisines pour ne pas s’y trouver à côté de Colette…
Seulement, Reine est mal à son aise, à genoux au coin droit de la Table, elle ne peut s’empêcher de couler un œil furtif vers Colette, à genoux au coin gauche… ; or, juste à ce moment-là, Colette, qui n’est pas plus à son aise glisse un regard vers Reine…
Deux regards, deux éclairs chargés de haine, cela va-t-il faire un coup de tonnerre ?…
De coup de tonnerre ? Point.
Car la haine, soudain, s’est éteinte au cœur de Reine et dans celui de Colette. Dans les regards qui se croisent il n’y a plus que du soleil et de l’amitié : peut-on garder de la haine en son cœur lorsqu’on y veut accueillir le Seigneur ?…

***
– Alors ? Cette brouille ? demande Jacqueline, malicieuse, en voyant Reine et Colette sortir de l’église bras dessus, bras dessous.
Colette rit, et Reine plaque un joyeux baiser sur les joues rondes de son amie retrouvée :
– Comment veux-tu que ça dure encore, puisque Jésus nous a réunies ?

Rose Dardennes

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