Il était une fois une petite fille prénommée Sophie
qui vivait depuis toujours avec son grand-père.
Un jour, le vieil homme alla chercher dans le
grenier une boîte où il avait précieusement conservé de multiples souvenirs
accumulés tout au long de son existence : une lettre jaunie par le temps et
gribouillée d'encre noire, une boîte d'allumettes portant des inscriptions
mystérieuses, quelques pièces de monnaie que Sophie n'avait jamais vues
auparavant, un ruban de la couleur des roses fanées que le grand-père embrassa
en silence, la photo noir et blanc d'un petit garçon aux cheveux bouclés... et
tant d'autres trésors encore.
A un moment, le grand-père plongea sa main tout
entière sous un amas de cartes postales, fouilla le fond de la boîte, puis en
ressortit son poing serré.
Il tourna sa paume au ciel et rouvrit doucement ses
doigts, dévoilant aux yeux de la petite fille une sorte de pépite couleur or
qui scintillait de mille feux.
« Ma petite Sophie, ceci est la graine d'un arbre
magique. Il te suffit de la planter sous quelques centimètres de terre, dans un
endroit du jardin que tu aimes, pourvu qu'il soit au soleil et à l'abri du
vent...
- Ooooh ! interrompit Sophie. Un arbre magique ?
Mais de quelle magie parles-tu grand-père ?
- Tu le sauras si tu chéris et protèges cette
graine, puis l'arbre qu'elle fera naître, tout comme le secret qu'il recèle.
Maintenant va, ma petite. »
Sophie ne demanda pas son reste et fila à toute
allure. Elle savait déjà où elle planterait cette pépite magique : tout au fond
du jardin, entre le vieux pommier et la cabane où elle se cachait souvent pour
raconter des secrets à sa poupée et où personne ne venait la déranger.
Elle creusa un trou avec application, y déposa la
graine en se répétant les mots de grand-père : « quelques centimètres... au
soleil... et à l'abri du vent. »
Une fois cela terminé, elle alla remplir son
arrosoir d'eau fraîche et arrosa copieusement la terre. Elle traça aussi un
cercle autour de la pépite enfouie et le décora de jolies pierres empruntées à
l'allée du jardin. Puis elle recula de quelques mètres, admira fièrement son
ouvrage, et attendit quelques instants, espérant voir surgir une petite pousse
verte du sol. Mais rien ne se passa.
Elle se rappela que les plantes, les fleurs et les
arbres ont besoin de temps pour grandir et regagna donc la maison, résignée à
patienter jusqu'au lendemain.
Sitôt réveillée, Sophie bondit de son lit, dévala
les escaliers, traversa la cuisine comme une fusée, laissant à peine échapper
un furtif « B'jour » à son grand-père qui préparait le petit déjeuner.
Elle se précipita vers la vieille porte de la maison
et galopa jusqu'au fond du jardin. Arrivée près de sa cabane et de son pommier
fétiches, elle demeura bouche-bée.
Se dressait devant- elle le plus joli des arbres que
ses yeux eussent jamais vus : il mesurait quelques mètres de haut, n'étant ni
démesurément grand, ni trop petit. Son contour figurait une courbe arrondie
dans le ciel et ses feuilles, en forme de larges cœurs et d'un vert vif et
tendre, le décoraient à merveille.
Sophie s'approcha avec hésitation, comme si elle ne
pouvait pas croire au spectacle qui s'offrait à elle. Elle frôla le tronc de la
main pour s'assurer que l'arbre était bien réel.
« Shhhhhh... » Il agita son feuillage qui siffla
dans l'air.
Sophie fit un bond en arrière. Puis elle se ravisa,
s'approcha à nouveau et vint cette fois tâter l'arbre avec plus d'assurance.
« Shhhhh... Shhhhhh... » Il remua ses branches de
plus belle.
« Mon bel arbre, tu essaies de me parler ? tenta
Sophie.
- Shhhh ! Shhhh ! Shhhh ! lui rendit-il en se
démenant comme un diable.
Sophie comprit le message cinq sur cinq.
Elle demanda toutefois :
- Tu es bien un arbre magique, n'est-ce pas ?
- Shhhh... Shhhh...
- Alors tu devrais pouvoir parler comme moi, non ?
L'arbre demeura silencieux.
- A quoi peux-tu donc servir dans ce cas ?
Rien ne se passa.
Sophie observa l'arbre, perplexe, essayant de
décrypter son secret, mais après quelques minutes, finit par se lasser et
sentit son ventre gargouiller.
- Écoute, dit-elle, je reviendrai te voir plus tard.
Pour l'heure, je m'en vais déjeuner car mon ventre crie famine. »
Elle tourna les talons un peu déçue et commença à
redescendre vers la maison. Mais au même moment, un curieux bruissement se fit
entendre derrière elle. Sophie fit volte-face et vit l'arbre s'ébranler
vigoureusement, faisant tourbillonner toutes ses feuilles sur elles-mêmes comme
autant de petites girouettes.
Lorsque l'ordre fut revenu, l'arbre portait sur ses
branches une multitude de petits pains au chocolat.
Sophie n'en revint pas. Elle contempla l'arbre
magique puis se décida à cueillir un petit pain au chocolat qui se trouvait là,
juste à porter de main. Hum... Il était délicieux : encore tiède, comme ceux de
la boulangerie au petit matin, et tellement moelleux !
Sophie en savoura chaque bouchée, tandis qu'une idée
un peu farfelue naissait en elle : et si l'arbre magique pouvait satisfaire ses
autres envies ?!
Quand elle eut finit son petit déjeuner improvisé au
fond du jardin, elle s'adressa à son nouveau compagnon :
« Veux-tu bien jouer l'air que maman me chantait
lorsque j'étais bébé ? »
Aucun son ne se fit entendre.
Un peu triste, Sophie songea avec mélancolie à ce
refrain qu'elle aimait tant. Alors, l'arbre fit une nouvelle fois frémir et
tournoyer ses feuilles à vive allure. Puis il ralentit ses mouvements et Sophie
découvrit des notes de musique perchées dans les airs et que l'arbre faisait
tinter successivement :
« La lalala la la, la la la la la... »
Elle reconnut la mélodie et se mit à fredonner de
concert : « Colchiques dans les prés, fleurissent fleurissent... »
Elle comprit aussi que l'arbre pouvait en fait
exhausser les vœux qu'il lisait dans ses pensées de petite fille.
A la fin de la chanson, les notes s'immobilisèrent,
mais demeurèrent en place. Sophie eut l'idée de se munir d'une petite baguette
de bois et tapota l'une d'elles qui vibra en émettant un joli son aigu. Elle
pianota ainsi sur plusieurs notes et s'amusa à composer sa propre mélodie.
Ensuite, elle songea très fort à Noël et aux
lumières qui illuminent alors joyeusement toutes les rues et les fenêtres des
maisons. L'arbre s'ébroua encore tout entier, puis réapparut aux yeux
émerveillés de Sophie, vêtu d'un festival de guirlandes et de lumières
colorées.
La petite fille passa ainsi un long moment à jouer
avec l'arbre et à voir chacun de ses désirs se concrétiser.
Le lendemain était jour de classe. Sophie se rendit
à l'école tout excitée, pressée de raconter à ses petits camarades les
prouesses de son arbre magique.
Après les cours, elle voulut absolument leur montrer
le pouvoir qu'elle possédait maintenant grâce à la pépite confiée par
grand-père. Elle les mena en haut du jardin, où ils restèrent d'abord un peu
sceptiques devant le spectacle d'un arbre qui leur parut des plus ordinaires.
Pour les épater, Sophie pensa très fort à des
dizaines de bonbons, dont elle pourrait régaler tous ses amis. Comme elle
l'avait vu faire la veille, l'arbre se mit à frémir bruyamment en agitant ses
feuilles et ses branches.
Lorsqu'il cessa, il était affublé de pompons
multicolores de toutes parts.
« Mais non ! s'exclama Sophie. Ce n'est pas ce que
je t'ai demandé ! Je voulais des bonbons, tu comprends ? Pas des pompons ! »
Mais rien ne se passa.
Très bien, songea Sophie, essayons autre chose. Elle
se concentra très fort sur sa chanson préférée pour faire apparaître les notes
de musique avec lesquelles elle s'était amusée la veille.
L'arbre entra en mouvement, fit tournicoter ses
feuilles, puis s'arrêta.
Maintenant, il était couvert de gros corbeaux tout
noirs qui coassaient à tue tête en lançant des gammes absolument disgracieuses
:
« Coa Coa Coa Coa Coa... »
Sophie commença à perdre patience, à la fois vexée
d'être ridiculisée devant ses petits camarades et très énervée que ses désirs
ne fussent plus exhaussés à la lettre.
Ne voulant ni céder ni perdre la face, elle demanda
par la pensée des sacs de billes, mais récolta des paquets de lentilles,
commanda des étoiles mais obtint d'affreux lambeaux de toiles, rêva de poupées
pour jouer, mais l'arbre lui offrit des épis de maïs, insista pour qu'il se
couvre de ballons de baudruche, mais il lui servit des oeufs d'autruche !
Au fur et à mesure que Sophie s'emportait et lançait
des requêtes en rafales, les feuilles de l'arbre tournaient de plus en plus
vite. Des tourbillons s'élevaient désormais jusqu'à plusieurs mètres de haut et
un épais nuage de poussière finit par dissimuler entièrement l'arbre, des
racines aux plus hautes de ses branches.
Puis, progressivement, les courants d'air
ralentirent leurs courses folles, les tourbillons perdirent de leur vigueur et
le brouillard commença à se dissiper. Lorsque le calme fut enfin revenu,
l'arbre avait disparu.
Sophie resta sous le choc ; ses petits amis
repartirent en se moquant bien de ses caprices.
Il fallut longtemps à la petite fille pour
comprendre qu'elle avait trahi le secret de son grand-père et de l'arbre
magique.
Elle réalisa que les trésors dont vous gâte parfois
la vie sont, par nature, éphémères. Qu'il faut savoir les chérir précieusement,
sans jamais chercher à en retirer un pouvoir quelconque sur les choses ou les
êtres. Que la convoitise et la vantardise enfin, peuvent se révéler très
destructeurs.
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