lundi 17 août 2020

La foi des petites ombres. (Conte) N. Lygeros Traduit du Grec par A.-M. Bras

 


Ils voulaient voir dans le noir. Et pour voir dans l’obscurité, ils pensèrent utiliser des bougies. L’autre lumière était très intense et les ombres la craignaient. Ils voulaient voir les ombres dans le noir. Les bougies faisaient des ombres, des petites. Mais ils n’avaient pas pensé qu’ils créeraient même des ombres sur les tableaux. C’était dans un salon qu’il y avait des tableaux. Ils les avaient placés là depuis longtemps, mais ensuite ils semblaient avoir été oubliés. Dès qu’ils virent les bougies, les tableaux pensèrent que les enfants voulaient les revoir. Même Nietochka était contente. Les enfants en regardant les tableaux se rappelèrent quand ils avaient été faits, quand ils avaient été placés sur le mur. Un mur en bois, un grand arbre droit, si grand qu’il ressemblait à un mur. Ils n’avaient jamais pensé que leur maison était dans un arbre. C’étaient des petits enfants, de très petits hommes. Dans d’autres contes de fées, nous les appellerions Lilliputiens, mais ici simplement des élèves. Ils avaient l’habitude de voir des choses qui étaient grandes, car ils étaient toujours sur une épaule et ne prêtaient aucune attention aux petites. Alors cette nuit-là, ils décidèrent de prêter attention aux petites ombres. Ils n’avaient pas pensé à ce que signifiait une petite ombre. La petite ombre est l’ombre que nous oublions petit à petit. Tout le monde oublie les petites ombres et à la fin on ne parle même plus des ombres, même si les bougies les ont toujours en mémoire. Donc, quatre petits hommes décidèrent d’allumer quatre petites bougies. Chacun avec sa bougie pensait au monde qu’il voyait à nouveau dans ce salon. Il était plein de livres, avait de belles étagères, la courbure d’Einstein, pour ne pas oublier le poids des livres. Mais ce n’était pas le sujet. Ils avaient appris cette nuit-là la différence entre le sacré et la croyance et n’en croyaient pas leurs yeux. Ils n’avaient jamais pensé à ce petit détail. La foi en la vérité, le sacré de la beauté. Ils regardèrent à nouveau les tableaux, ils étaient placés sur le bois, comme les icônes sur l’iconostase. Mais il existait cependant une grande différence, ils pouvaient entrer dans le lieu sacré sans que personne ne leur dise quoi que ce soit. Ils se demandaient si les ombres parlaient dans le sanctuaire et si elles croyaient. Anastasia à coup sûr. Le vieil homme y avait pensé. Il était clair que les deux femmes qui entraient à l’église croyaient. L’Apôtre le savait. Dostoïevski aussi. Même dans ce coin relativement perdu, ils réussirent à relire les fleurs qui s’ouvraient en braille. En fin de compte, ils pensèrent que ce serait une bonne idée d’allumer les bougies plus souvent et de réfléchir à nouveau sur l’espace. Ils n’avaient jamais pensé pouvoir vivre dans un sanctuaire, ils n’y croyaient pas, quelqu’un devait le leur dire. Qui pourrait vivre continuellement dans un sanctuaire ? Un homme… aucun. Et ils étaient tous des petits hommes. Mais ils pensaient que ce qui pouvait vivre dans le Sanctuaire, c’était leur foi. Leur foi que ce mur en bois, qui appartenait à un arbre, était leur propre temple. Ils le virent pour la première fois, de cette façon. C’est ce que les petites bougies vous montrent… Il fallait que la lumière soit douce, change la disposition d’esprit. Ils se réjouirent de voir les icônes byzantines sous ce jour aussi, elles étaient toutes alignées, blotties les unes contre les autres, l’une protégeant l’autre et se protégeant mutuellement. Comme c’était finalement facile de voir les petites ombres, de les voir revivre. Ils se souvinrent du Crépuscule de Nietzsche et réalisèrent finalement que la foi n’apparaît pas quand il y a trop de lumière. La foi apparaît lorsqu’il y a peu de lumière, lorsqu’apparaissent doucement les petites ombres, car alors ce qui abreuve le monde, c’est la foi. Voilà comment ils se réjouirent. Ils comprirent qu’ils étaient aussi des petites bougies. Ils ne voyaient pas tout le temple, mais ils savaient où était son iconostase, alors ils décidèrent d’agir et de retrouver l’essence. Même quatre petits hommes sur un canapé pouvaient aider le monde parce qu’ils fabriquaient des jouets. Bien sûr, au début, ils pensèrent que les jouets n’étaient que des constructions. Ils n’avaient pas remarqué qu’ils agissaient comme des cadeaux à l’Humanité, surtout en les donnant aux autres. Les grands portaient des croix, les petits des jouets. L’étrange, quand ils seraient vieux, c’est qu’ils sauraient ce qu’ils avaient fait quand ils étaient jeunes. Ainsi du salon de bois avec son coin, car un seul était en bois, l’autre manquait pour être ouvert sur le monde, d’ailleurs le temple ne fermait jamais. Et ils pensèrent que le fauteuil qu’ils voyaient, parce que c’était un fauteuil et non une chaise, se rappellerait à ceux qui racontent des contes aux petites hommes parce qu’ils les ont toujours en eux. Ils ne pouvaient pas imaginer comment être en eux. Ils regardèrent à nouveau l’iconostase et pensèrent que la foi dans le Maître change tout, mais ils ne savaient pas qu’ils avaient changé et finalement, comme des petites âmes, ils résidaient dans le Maître. Au début, ils pensaient que ce n’était qu’un espace, puis ils réalisèrent que c’était le Temps. À l’intérieur du salon en bois, ce qu’ils virent finalement, c’était  à quel point la vérité était belle et à quel point la beauté était vraie, tout simplement. Ainsi ils allèrent bien dormir et nous encore mieux.


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