Ils voulaient voir dans le noir. Et pour voir dans
l’obscurité, ils pensèrent utiliser des bougies. L’autre lumière était très
intense et les ombres la craignaient. Ils voulaient voir les ombres dans le
noir. Les bougies faisaient des ombres, des petites. Mais ils n’avaient pas
pensé qu’ils créeraient même des ombres sur les tableaux. C’était dans un salon
qu’il y avait des tableaux. Ils les avaient placés là depuis longtemps, mais
ensuite ils semblaient avoir été oubliés. Dès qu’ils virent les bougies, les
tableaux pensèrent que les enfants voulaient les revoir. Même Nietochka était
contente. Les enfants en regardant les tableaux se rappelèrent quand ils
avaient été faits, quand ils avaient été placés sur le mur. Un mur en bois, un
grand arbre droit, si grand qu’il ressemblait à un mur. Ils n’avaient jamais
pensé que leur maison était dans un arbre. C’étaient des petits enfants, de
très petits hommes. Dans d’autres contes de fées, nous les appellerions
Lilliputiens, mais ici simplement des élèves. Ils avaient l’habitude de voir
des choses qui étaient grandes, car ils étaient toujours sur une épaule et ne
prêtaient aucune attention aux petites. Alors cette nuit-là, ils décidèrent de
prêter attention aux petites ombres. Ils n’avaient pas pensé à ce que signifiait
une petite ombre. La petite ombre est l’ombre que nous oublions petit à petit.
Tout le monde oublie les petites ombres et à la fin on ne parle même plus des
ombres, même si les bougies les ont toujours en mémoire. Donc, quatre petits
hommes décidèrent d’allumer quatre petites bougies. Chacun avec sa bougie
pensait au monde qu’il voyait à nouveau dans ce salon. Il était plein de
livres, avait de belles étagères, la courbure d’Einstein, pour ne pas oublier
le poids des livres. Mais ce n’était pas le sujet. Ils avaient appris cette
nuit-là la différence entre le sacré et la croyance et n’en croyaient pas leurs
yeux. Ils n’avaient jamais pensé à ce petit détail. La foi en la vérité, le
sacré de la beauté. Ils regardèrent à nouveau les tableaux, ils étaient placés
sur le bois, comme les icônes sur l’iconostase. Mais il existait cependant une
grande différence, ils pouvaient entrer dans le lieu sacré sans que personne ne
leur dise quoi que ce soit. Ils se demandaient si les ombres parlaient dans le
sanctuaire et si elles croyaient. Anastasia à coup sûr. Le vieil homme y avait
pensé. Il était clair que les deux femmes qui entraient à l’église croyaient.
L’Apôtre le savait. Dostoïevski aussi. Même dans ce coin relativement perdu,
ils réussirent à relire les fleurs qui s’ouvraient en braille. En fin de
compte, ils pensèrent que ce serait une bonne idée d’allumer les bougies plus
souvent et de réfléchir à nouveau sur l’espace. Ils n’avaient jamais pensé
pouvoir vivre dans un sanctuaire, ils n’y croyaient pas, quelqu’un devait le
leur dire. Qui pourrait vivre continuellement dans un sanctuaire ? Un homme…
aucun. Et ils étaient tous des petits hommes. Mais ils pensaient que ce qui
pouvait vivre dans le Sanctuaire, c’était leur foi. Leur foi que ce mur en
bois, qui appartenait à un arbre, était leur propre temple. Ils le virent pour
la première fois, de cette façon. C’est ce que les petites bougies vous
montrent… Il fallait que la lumière soit douce, change la disposition d’esprit.
Ils se réjouirent de voir les icônes byzantines sous ce jour aussi, elles
étaient toutes alignées, blotties les unes contre les autres, l’une protégeant
l’autre et se protégeant mutuellement. Comme c’était finalement facile de voir
les petites ombres, de les voir revivre. Ils se souvinrent du Crépuscule de
Nietzsche et réalisèrent finalement que la foi n’apparaît pas quand il y a trop
de lumière. La foi apparaît lorsqu’il y a peu de lumière, lorsqu’apparaissent
doucement les petites ombres, car alors ce qui abreuve le monde, c’est la foi.
Voilà comment ils se réjouirent. Ils comprirent qu’ils étaient aussi des
petites bougies. Ils ne voyaient pas tout le temple, mais ils savaient où était
son iconostase, alors ils décidèrent d’agir et de retrouver l’essence. Même
quatre petits hommes sur un canapé pouvaient aider le monde parce qu’ils
fabriquaient des jouets. Bien sûr, au début, ils pensèrent que les jouets
n’étaient que des constructions. Ils n’avaient pas remarqué qu’ils agissaient
comme des cadeaux à l’Humanité, surtout en les donnant aux autres. Les grands
portaient des croix, les petits des jouets. L’étrange, quand ils seraient
vieux, c’est qu’ils sauraient ce qu’ils avaient fait quand ils étaient jeunes.
Ainsi du salon de bois avec son coin, car un seul était en bois, l’autre
manquait pour être ouvert sur le monde, d’ailleurs le temple ne fermait jamais.
Et ils pensèrent que le fauteuil qu’ils voyaient, parce que c’était un fauteuil
et non une chaise, se rappellerait à ceux qui racontent des contes aux petites
hommes parce qu’ils les ont toujours en eux. Ils ne pouvaient pas imaginer
comment être en eux. Ils regardèrent à nouveau l’iconostase et pensèrent que la
foi dans le Maître change tout, mais ils ne savaient pas qu’ils avaient changé
et finalement, comme des petites âmes, ils résidaient dans le Maître. Au début,
ils pensaient que ce n’était qu’un espace, puis ils réalisèrent que c’était le
Temps. À l’intérieur du salon en bois, ce qu’ils virent finalement,
c’était à quel point la vérité était
belle et à quel point la beauté était vraie, tout simplement. Ainsi ils
allèrent bien dormir et nous encore mieux.
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