DANS CE CONTE, L’ARBRE EXPRIME L’AMOUR D’UN HOMME
POUR LES SIENS. MÊME SI CE CONTE N’A RIEN DE
RÉALISTE, L’IMAGE NOUS PLAIT CAR ELLE ÉVOQUE LA
GRATITUDE QUE L’ÊTRE HUMAIN PEUT AVOIR ENVERS
L’ARBRE ET SES DONS ABONDANTS.
Conte de Polynésie, extrait du livre Contes des
sages gardiens de la terre par Patrick Fischmann aux Editions du Seuil
Quand les hommes en vinrent à manger la terre, qu’il
ne resta plus à mâcher que des crabes au dos amer, des feuilles d’hibiscus et
de minuscules graines flétries, l’île de Raiatea en proie à la famine fut
inondée de larmes. Ici, les dieux avaient jeté des pierres à l’océan, pêché des
îles, semé leurs plumes magiques pour faire jaillir de terre herbes et
bananiers. Mais ce temps d’abondance s’était enfui. Les Maoris n’avaient plus
que des prières et des sacrifices pour rappeler à eux la fécondité. Rua-ta’ata,
Homme-caverne, vivait avec Ruamu-ari’i, Vraie-Pluie-Souveraine, sur le marae1.
Ils élevaient quatre enfants, trois garçons et une petite fille, affamés et
affaiblis. Un soir, quand parurent les étoiles que les îliens appellent les «
Pléiades aux sept pigeons blancs », allant sur les chemins montagneux pour
manger des fougères, ils trouvèrent une caverne pour dormir. Mais au lieu de
rester allongé parmi les siens, Rua-ta’ata caressa le front de sa compagne, posa
une ultime fois son regard aimant sur le doux visage puis chanta doucement.
Ô Ruamu-ari’i,
Dors maintenant et rêve de fruits !
Couche- toi, bien-aimée, sans te retourner.
Je vais en quête ramener l’aube sucrée.
Tu reverras mon corps et mes jambes,
Mes pieds qui aiment la terre,
Tu passeras encore des doigts fins
Dans mes longs doigts épais.
Tu reverras ma tête et en son cœur ma langue
Car dans son être Rua-ta’ata avait reçu la voix de
l’arbre à pain, son parent pas encore né, qui l’invitait à sortir de la grotte,
à se changer en arbre d’abondance, à porter des uru, les têtes-fruits, et à
devenir lui. Son descendant lui parla encore.
- Je vais naître de toi, ne crains pas la conversion
: la joie entrera par la fenêtre du chagrin. Viens, mon père, viens dehors !
Rua-ta’ata sortit sous les étoiles pour faire naître
l’arbre
Adieu, Ruamu-ari’i,
Déjà mes mains s’ouvrent
Comme des feuilles.
Et tandis que tu dors,
Je deviens tronc et branches,
Le porteur d’uru providentiels
Lorsque Ruamu-ar’i se leva le lendemain matin, le
soleil était déjà haut mais l’ombre du grand arbre, apparu pendant la nuit,
protégeait l’entrée de la grotte. Tout était comme Rua-ta’ata lui avait dit : l’aube
sucrée portait un doux rêve de fruits. Elle comprit le sens de son dernier
chant, passa ses doigts dans les branches épaisses, caressa la peau de cet homme
devenu arbre, pleura, tout en appelant ses petits. Elle cueillit la tête-fruit,
la fit rôtir, tremper, puis la pela avec soin, et partagea la pulpe délicieuse.
Quand elle vit que d’autres têtes murissaient, elle fut soulagée. Non seulement
ils ne connaitraient plus jamais la faim, mais le rond visage de Rua-ta’ata se
régénérait. Ils demeurèrent dans cette vallée d’abondance, qu’on appelle
Tua-Uru, le lieu de l’arbre à pain.
Un jour, les serviteurs du roi Noho-ari’i, le
souverain d’Uturoa, entrèrent dans la vallée prodigieuse pour pêcher des
anguilles et des poissons-o’opu, pour attraper des chevrettes et rapporter ce
que la terre donnait à l’ombre des grottes. C’est là qu’ils virent la peau des
fruits glisser dans l’onde du torrent, qu’ils goûtèrent et remontèrent le
courant vers le haut de la vallée. Quand ils y arrivèrent,
Ruamu-ari’i cueillait. Devant leur surprise, elle révéla
le nom de celui qui s’était offert. Alors, avec un respect sacré, les
serviteurs portèrent l’arbre jusqu’à la côte, au marae de Ruamu-ari’i, où ils
le plantèrent.
Pendant ce temps, les serviteurs du roi avaient
chargé une pirogue de fruits murs et firent résonner leur triton, des rivages
de Taputapuatea à la baie d’Opoa, où la famille royale procédait au rituel saisonnier
célébrant les premiers fruits. Le roi Noho-ari’i goûta celui de l’uru. Après
quoi il ordonna qu’on le déplace et le replante à Opoa, en présence de la femme
et des enfants.
Après le rituel, retournant tristement vers son
marae, Ruamu-ari’i ne se douta pas que les racines, qui étaient demeurées dans
la terre, y avaient déjà reconstitué tout un arbre. Un vent léger agita les feuilles,
un chuchotis traversa l’écorce.
Passe encore tes doigts fins
Dans mes longs doigts épais
Qui peut dire qui est qui…
Un lagon peu profond nous sépare,
Telle île en forme de feuille
Telle autre en forme de fleur
L'ARBRE À PAIN EST ORIGINAIRE D'OCÉANIE, OÙ IL Y A
ÉTÉ DOMESTIQUÉ, ET FOURNIT UNE SOURCE DE GLUCIDES IMPORTANTE DEPUIS DES
MILLÉNAIRES. IL A ÉTÉ INTRODUIT AUX ANTILLES ET DANS LES RÉGIONS TROPICALES DE
MADAGASCAR, D'AFRIQUE, D'AMÉRIQUE DU SUD ET DU CENTRE. IL EST AUJOURD'HUI
RÉPANDU DANS TOUTES LES RÉGIONS TROPICALES HUMIDES POUR SON INTÉRÊT ALIMENTAIRE
ET ESTHÉTIQUE
DANS LA RÉALITÉ, DE NOMBREUSES ESSENCES D’ARBRES ET
ARBUSTES, QUAND ILS SONT COUPÉS, SONT CAPABLES DE REDÉMARRER À PARTIR DE LA
SOUCHE RESTANTE. ON APPELLE CELA LE RECÉPAGE. C’EST UN PROCÉDÉ TRÈS COURANT EN
JARDINAGE, POUR LA CRÉATION DE HAIES. EN FORÊT, C’EST UN SOUVENT LE CAS DES
CHARMES, DANS LES CHÊNAIES-CHARMAIES. LES CHARMES ÉTAIENT COUPÉS TOUS LES 25
ANS POUR FOURNIR DU BOIS DE CHAUFFAGE.
https://www.srfb.be/wp-content/uploads/2020/05/C.8.Le_chant_de_larbre_a_pain_Fischmann_Seuil.pdf
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