Dans un certain pays, il y avait
une vieille église, si branlante et menaçant ruine qu’on de la refaire. Pour payer maîtres et maçons,
on plaça donc devant la porte une image en pierre de Notre-Dame, qui se
trouvait déjà dans la nef du temps où on l’avait bâtie ; et il n’y avait personne
à passer devant elle qui ne crût bien faire en déposant à ses pieds une aumône
petite ou grande. Sur cette même place, les jeunes gens avaient coutume de s’assembler
pour jouer à la paume ou autre jeu de balle. Or, un jour, un de ces garçons, le
meilleur qu’il y eût à ce jeu, et qui avait reçu, la veille, en gage de
fidélité, un anneau d’une amie à laquelle il avait juré sa foi, craignant de le
perdre où gâter, s’en alla vers l’église pour le mettre en lieu sûr, tant que
durerait la partie. Mais en passant devant l’image, aux pieds de laquelle riches
et pauvres déposaient leur offrande, il fut soudainement arrêté, comme si la
foudre l’eût frappé, et tombant à genoux :
- Dame du Ciel, s’écria-t-il, où
avais-je la tête jusqu’ici ! Vous êtes mille fois plus adorable que celle qui m’a
donné cet anneau ! Follement je lui avais promis mon coeur. Mais je rejette
désormais son vain amour et ses présents, et jure de n’avoir à l’avenir d’autre
femme que vous. Sur ces mots, il se releva, et tirant du doigt son anneau, le
mit au doigt de Notre-Dame.
Cependant, ses amis l’appelaient
à grands cris pour commencer le jeu. Il les rejoignit sans leur rien dire de ce
qui venait de se passer; se mit à jouer avec eux, et dans le feu de la partie il
oublia si bien tout ce qu’il avait juré à l’instant, que, lorsque le jeu fut
fini, il s’en retourna vers l’image pour lui reprendre son anneau. Mais Notre
Dame Sainte Marie n’a pas la mémoire si fragile, et quand il voulut l’enlever,
il y perdit sa peine. Il s’y reprit dix fois, vingt fois, tant qu’à la fin, y
renonçant, il retourna chez son amie en grand souci de ce qu’il lui dirait pour
expliquer comment il n’avait plus sa bague au doigt.
- Bel ami, lui demanda-t-elle, qu’avez-vous
fait de mon anneau?
Il lui répondit par un conte,
comme on en fait à femme qui veut trop en savoir. Et de nouveau, il se sentit
si aveuglé d’amour pour elle, qu’il tint pour folle la promesse qu’il venait de
faire à l’image. Mais dans la nuit il eut un songe. Il vit Notre-Dame en
personne, qui lui montrait l’anneau qu’elle avait toujours à son doigt, et qui
l’appela par trois fois déloyal et parjure. Ce rêve le tourmenta si fort que le
lendemain, dès qu’il fit jour, il se hâta chez son amie et lui raconta, cette
fois, toute l’histoire de bout en bout.
- Allons sur la place, dit-elle,
lorsqu’il eut fait sa confession. Et quand ils furent devant l’image:
- Madame, lui dit la délaissée en
se jetant à ses genoux, j’aimais, vous le savez, d’une tendre affection l’ami à
qui j’avais donné l’anneau qu’aujourd’hui vous portez au doigt. Mais c’est
folie de préférer la sauvage ortie à la rose, et le chardon à l’églantier. Sans
hésiter, je rends sa foi à celui qui me l’avait donnée, puisque c’est à vous qu’il
la donne, je n’aurai, de mon côté, d’autre mari que votre Fils. A ces mots,
Notre-Dame, qui est toute bonté, porte et fenêtre du Paradis, lui répondit d’une
voix débonnaire :
- Puisque tu m’as parlé d’un tel
coeur, je ne te ferai pas défaut, moi non plus. Garde celui qui s’engagea avec
toi, la première. Mais qu’il se montre, à l’avenir, plus ménager de ses promesses
!
Ce disant, elle tendit la main et
laissa tomber son anneau. Mais l’histoire dit que jamais plus l’amie ne le
remit au doigt de son ami, car l’un et l'autre, pareillement touchés de la
bonté de Notre-Dame, se retirèrent, chacun, dans un cloître.
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