vendredi 4 janvier 2019

Conte pour l’Épiphanie. Ronald Barakat


Alors que les mages étaient en route, par cette froide nuit étoilée, vers Bethléem pour adorer le Roi Sauveur, munis, comme chaque année, de leurs traditionnels présents – l’or, l’encens et la myrrhe – un ange du Seigneur leur apparut pour les informer que l’Enfant ne désirait plus recevoir ces cadeaux. Melchior, Gaspard et Balthazar furent à la fois surpris et attristés :
Melchior : Mais pourquoi ? Mon or ne plaît-il plus à mon Sauveur ?
Gaspard : Ni mon encens ?
Balthazar : Ni ma myrrhe ?
L’Ange : Non pas que vos cadeaux ne lui plaisent plus, mais il en a assez reçu et demande à ce qu’ils soient offerts, cette fois-ci, à ceux qui en auront besoin. Le meilleur cadeau que vous puissiez lui faire, c’est d’offrir vos présents aux plus petits de ses frères.
Gaspard : Mais il fallait nous prévenir à l’avance ! Nous sommes en route et nous ne pouvons retourner en ville pour faire don de ces cadeaux ! Il est tard et nous ne voulons pas rater ce merveilleux rendez-vous annuel !

L’Ange : Désolé, je n’y peux rien. Vous êtes les bienvenus à la crèche sans cadeaux.
Et l’Ange disparut. Les mages étaient fort perplexes, ne sachant que faire de ces présents. Ils ne pouvaient balancer des cadeaux si précieux dans la nature ! Ils décidèrent, toutefois, de poursuivre leur chemin en se fiant à leur bonne étoile. Tout comme la nuit, la marche porte conseil, se dirent-ils. Au lieu de prendre le raccourci habituel, ils firent un détour pour prolonger leur temps de réflexion.
Et voici qu’en cheminant, ils tombèrent sur un voyageur en détresse, victime d’une malencontreuse chute qui lui avait causé une blessure profonde. Ils étaient tout interdits, ne sachant que faire, lorsque Melchior eut l’idée de proposer à Balthazar de verser sa myrrhe sur la plaie du blessé.

Balthazar : Tiens ! Quelle bonne idée ! Et dire que j’étais sur le point d’arroser les plantes avec !
Et il embauma avec soin, de sa précieuse résine, la blessure qui se referma plus vite que prévu. Les mages étaient autant soulagés que le blessé du bon usage de ce cadeau. Le voyageur les remercia chaleureusement et poursuivit son chemin, en rendant grâce à Dieu.
Les trois se remirent en route et, pendant qu’ils traversaient un endroit brumeux et obscur, virent surgir un désespéré qui se mit à hurler à leur endroit, les accusant d’être des démons. Les mages furent saisis de frayeur et leurs montures s’agitèrent dangereusement. Armé de foi et de sang-froid, Balthazar demanda à Gaspard de brûler au plus vite son encens et d’agiter son encensoir en direction du forcené. « Il est loin de Dieu ! Parfume-le  de Sa présence ! » S’écria-t-il. Et Gaspard de s’exécuter illico presto, trouvant l’idée tout aussi géniale. Enfumé par l’encens, le malheureux s’apaisa, et ses traits se détendirent pour afficher un sourire. De malheureux, il était devenu, comme par miracle, heureux, les salua fraternellement et poursuivit son chemin, désormais illuminé. Heureux à leur tour d’avoir fait un converti par ce cadeau, les mages poursuivirent leur voyage. Il ne leur restait plus qu’un cadeau à faire… auquel Melchior tenait fermement, espérant ne pas avoir à s’en défaire de sitôt.

Mais, pour sa malchance, ils rencontrèrent en chemin une famille misérable, vivant dans une hutte délabrée, grelottant de froid dans cette nuit chaleureuse. Les mômes avaient, cependant, des yeux aussi brillants que l’or… de Melchior. La mère et le père ressemblaient, à s’y méprendre, aux parents de l’Enfant qu’ils allaient adorer. Gaspard lorgna du côté de Melchior, qui frémit :
Melchior : Ah ! Ne me demande pas de leur offrir mon or ! Cela dépasse, et de loin, leurs besoins ! Nous pouvons leur donner volontiers de nos vêtements et de notre nourriture, mais l’or aussi ?
Gaspard : Tu sais bien que nous ne pouvons garder cet or, qu’il nous faut arriver les mains vides ! Quoi de mieux que cette opportunité ? Cette famille, si sainte, saura le partager. La mère tombe du ciel et le père est appelé à y monter.
Rendu à l’évidence et à l’Espérance, Melchior céda son précieux trésor. Et les trois offrirent ce qui était, en la circonstance, plus précieux et vital encore: des vêtements, des couvertures et de la nourriture.

Après avoir laissé ce reflet de la Sainte Famille, ils remontèrent, allègrement, vers la source. Arrivés sur les lieux saints, ils furent agréablement surpris par l’accueil qui leur était réservé, contre toute attente. Eux qui étaient gênés à l’idée de débarquer les mains vides, ils n’en revenaient pas. C’est comme s’ils apportaient avec eux des présents inestimables ! La Sainte Famille était plus enchantée que jamais de les recevoir… et surtout l’Enfant, qui leur faisait un signe lumineux de sa petite main. Joseph et Marie, rayonnants, les invitèrent à s’approcher encore plus de la mangeoire pour adorer l’Enfant de tout près. Les bergers, leurs moutons, l’âne et le bœuf se pressèrent affectueusement contre eux. Ils étaient reçus comme des rois ! Quant à l’Ange, perché au haut de la crèche, il contemplait la scène avec fierté. Les mages reconnurent le messager qui leur était apparu en chemin. Ils comprirent, par son air entendu, qu’ils avaient fait de leurs présents le meilleur usage. Comme le souhaitait l’Enfant.
R.B.

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