Il
y avait une fois un petit garçon qui s’ennuyait. Il avait bien envie de
voyager, de partir vers le ciel, ou bien dans la mer, ou encore de l’autre côté
de l’horizon. Mais pour voyager, il faut avoir les moyens. Ce petit garçon
n’avait pas de bateau, ni d’auto, ni de train, ni rien de ce genre. Alors il
était obligé de rester sur place et il s’ennuyait un petit peu.
Mais un jour, il s’est dit que ce n’était peut-être pas nécessaire d’avoir des
ailes ou des nageoires pour voyager. C’est comme ça qu’il a eu l’idée d’aller
au pays des arbres.
Enfin l’idée ne lui est pas venue d’un seul coup. Il y avait longtemps qu’il allait se promener dans la forêt et il sentait tout un tas de choses bizarres, comme si les arbres voulaient lui parler, ou comme si les arbres bougeaient ; un jour il allait ici, un autre jour- là, et il avait l’impression que les arbres avaient bougés. Bien sûr quand on les regarde, les arbres ont l’air immobile. Ils sont debout dans la terre avec leurs branches écartées et leurs milliers de feuilles qui tremblent et tournent dans le vent. Ça, c’est une ruse des arbres, pour faire croire qu’ils restent toujours au même endroit, pendant des années et des années. Ils ont l’air paisible et doux, fixés dans la terre noire par les racines solides. Si on les regarde sans trop faire attention, on peut croire qu’ils ne veulent rien, qu’ils ne savent rien dire. Mais le petit garçon savait que ce n’était pas vraiment vrai.
Les arbres ne sont pas immobiles. Ils ont l’air de
dormir, comme cela, d’un sommeil épais qui dure des siècles. Ils ont l’air de
ne penser à rien. Le petit garçon, lui, savait bien que les arbres ne dormaient
pas. Seulement ils sont un peu farouches et
timides, et quand ils voient un homme
qui s’approche, ils resserrent l’étreinte de leurs racines et ils font le mort.
Ils sont un peu comme les coquillages à marée basse qui s’agrippent sur les
vieux rochers chaque fois qu’ils entendent le bruit des pas d’un homme qui
avance. Il faut apprivoiser les arbres.
Le petit garçon n’était pas
pressé de partir, alors il s’est amusé d’abord à apprivoiser les arbres. Pour
cela, il marchait doucement à l’intérieur de la forêt, en faisant attention à
ne pas faire trop de bruit. Puis il s’asseyait par terre, au centre d’une
clairière, et il attendait. Quelquefois il sifflait doucement, parce que les
arbres aiment bien la musique qu’on fait en sifflant. Ils n’ont jamais peur des
oiseaux ni des cigales, ils aiment bien le bruit des sifflements doux. Quand il
avait sifflé comme cela un bon moment, le petit garçon voyait les arbres
desserrer progressivement leur étreinte. Les branches s’ouvraient un peu plus,
comme de grands parapluies, et les racines devenaient plus souples ; elles
sortaient même de terre, très lentement, et c’était drôle parce que les racines
sont toutes blanches, le soleil et la lumière ne les ont pas noircies comme
pour les branches.
Quand les racines et les branches se desserraient un peu, on entendait un bruit
bizarre, un grand bruit de bâillement qui venait de tous les côtés de la forêt.
Les chênes surtout bâillaient très fort, avec de grands soupirs graves. Les
peupliers bâillaient moins bruyamment, en faisant de petites respirations
aiguës, et les sapins aussi. Au pied des arbres, les fougères s’agitaient un
peu, elles ondulaient, mais pas à cause du vent.
Les gens qui ne savent pas apprivoiser les arbres disent que les forêts sont silencieuses. Mais dès que tu siffles, et que tu siffles bien, comme un oiseau, tu commences à entendre le bruit que font les arbres. Il y a d’abord ces bâillements et ces respirations aiguës. Puis tu perçois d’autres bruits. Il y a des coups lourds, comme s’il y avait un cœur qui battait quelque part sous la terre. Puis tout un tas de craquements, des branches qui se redressent avec des explosions, des feuilles qui se mettent à trembler, des troncs qui se dérident. Il y a surtout des bruits de sifflements, parce que les arbres te répondent.
Ça c’est le langage des arbres. Si tu ne fais pas attention, tu peux croire que
ce sont des oiseaux qui sifflent. Il faut dire que ça y ressemble beaucoup.
Mais ce ne sont pas les oiseaux qui sifflent, ce sont les arbres. Le petit
garçon avait appris à reconnaître le sifflement des arbres.
Sur les très gros arbres c’est un sifflement sourd, continu, qui vibre dans la
terre, un genre de hululement qui dit toujours la même chose. Les arbres
minces, eux, ont une voix flûtée, qui chantonne et sifflote sans arrêt ; ils
sont même un peu fatigants, ils ne cessent pas de parler avec leurs petites
voix aiguës. Les gens qui ne savent pas le langage des arbres croient qu’ils
sont pleins de passereaux et d’ortolans, mais le petit garçon savait très bien
que c’était la voix des peupliers, des trembles, des acacias, et de tous les
arbres de ce genre qui ont des troncs étroits.
Ça l’amusait bien de siffler comme ça pour apprivoiser les arbres. Petit à petit, tous les arbres se mettent à parler, et quand ils parlent tous ensemble, ça fait un fracas de sifflements et de bâillements très bien à entendre.
Ce qui est bien aussi quand
on est dans le pays des arbres, et qu’on les a apprivoisés, c’est de savoir que
les arbres pourront vous voir. Il y a des gens qui disent que les arbres sont
aveugles, et sourds, et muets. Mais ce n’est pas vrai. Il n’y a rien de plus
bavard qu’un arbre, quand il est apprivoisé. Et aussi ils ont des yeux partout,
sur toutes les feuilles. Mais ça personne ne le sait. Comme les arbres sont un
peu timides, ils gardent généralement leurs yeux fermés quand il y a un homme
dans les environs.
Le petit garçon lui, qui voulait
voyager au pays des arbres, avait appris petit à petit à faire ouvrir les yeux.
Il sifflait le plus doucement qu’il pouvait, pas un air de musique, mais comme
les arbres, une ou deux notes, très doucement.
Alors sur toutes les petites feuilles agitées il voyait des yeux s’ouvrir les uns après les autres, lentement, comme les yeux des escargots. Il y a des yeux de toutes les couleurs, des noirs, des jaunes, des roses, des bleus foncé et des bleus pervenche. Tous ils regardent le petit garçon assis au milieu de la clairière, et ça fait une drôle d’impression, parce qu’ils ont des regards très doux.
Évidemment, tous les arbres ne sont pas pareils. Il y a le chêne (qui s’appelle Hudhudhudhud) qui est un arbre sérieux. Il a un regard profond qui vous fait un peu frissonner. Il pense tout le temps à des tas de choses sérieuses. C’est lui qui regarde interminablement les étoiles, la nuit. Il connaît le nom de toutes les constellations, et il suit gravement les phases de la lune. Il y a le bouleau, qui porte un nom très compliqué : il s’appelle Phuiii Wooo Woooit Tihuit, qui ne pense qu’à s’amuser. Il aime bien la lumière du soleil, et il s’amuse à envoyer des reflets dans les yeux des autres arbres. Non, il n’est vraiment pas sérieux.
Il y a aussi un érable vénérable, qui s’appelle Whoot. Il est très vieux et son
tronc est séparé en deux au niveau des racines. Il a reçu plusieurs fois la
foudre, et il aime bien raconter aux autres comment ça s’est passé.
Il y a beaucoup d’autres arbres dont le petit garçon ne connaît pas bien les noms, des cèdres, des frênes, des chênes-lièges, des lauriers, des sycomores, des peupliers, des saules, des poivriers, des noisetiers. Ils sont tous là, dans la forêt, serrés les uns contre les autres, et ils bavardent sans cesse. Il y a aussi beaucoup de sapins sombres, élancés. Eux ne disent pas grand-chose. Ils sont un peu taciturnes comme les ifs. Mais ils servent de gardiens à la forêt. Dès que quelqu’un s’approche, ils font trembler leurs aiguilles et ça fait un bruit de froissement précipité, comme si la pluie allait tomber. Immédiatement tous les arbres cessent de parler et ils se mettent au garde-à-vous. Ils ferment tous leurs yeux et resserrent leurs branches, et ils font les morts.
Mais comme le petit garçon avait apprivoisé les arbres en
sifflant, il pouvait se promener au milieu de la forêt, et tous les yeux verts
des arbres le regardaient, et il écoutait leurs bavardages. Les arbres sont
comme ça, ils parlent tout le temps. Ils dorment un peu, puis ils se réveillent
et ils commencent à jaser. Ils se racontent des histoires d’arbres, des
histoires sans queue ni tête qui ne sont pas pour les hommes. Ils parlent de la
pluie et du beau temps, des orages, des dernières nouvelles qui viennent de
l’autre bout de la forêt. Les bouleaux et les trembles parlent tout le temps,
sans s’arrêter, avec leurs petits sifflements aigus qui fatiguent un peu les
oreilles. Et ils agitent leurs quantités de feuilles. Les peupliers aussi sont
très bavards. Ceux qui parlent le moins, bien sûr, ce sont les chênes et
l’érable vénérable. Ils ont de drôles de voix caverneuses, et ils racontent des
histoires vieilles de deux cents ans. Les pins et les ifs sont tristes et les
saules pleureurs aussi. Les noisetiers, les noyers, les châtaigniers sont durs
ils ont mauvais caractère. De temps à autre, ils se mettent en colère, et ils
font de grands bruits de craquement.
Le petit garçon aime bien parler au vieux chêne. Il dit en sifflant :
– Comment tu t’appelles ?
– Tuoootu, dit le chêne.
– C’est toi le roi de la forêt ? demande le petit garçon.
– Non, non le roi de la forêt habite très loin d’ici, de l’autre côté de la
montagne. Mais c’est un chêne comme moi.
– Comment il s’appelle ?
Le vieux chêne réfléchit un instant. Quand il réfléchit, ses branches craquent.
– Nous disons : Wootooyoo, ça veut dire Majesté dans notre langage.
– Il doit être bien vieux, dit le petit garçon.
– S’il est vieux ! Il était déjà vieux quand je suis né, il y a trois mille
ans.
Le petit garçon est plein de respect pour le vieux chêne.
– Ça doit être bien de vivre aussi vieux.
– Oui, on apprend beaucoup de choses, dit le chêne.
– Un jour tu seras peut-être le roi de la forêt, dit le petit garçon.
Le vieux chêne se redresse un peu, flatté.
– Qui sait ? Si je ne suis pas foudroyé, peut-être, oui…
– Et les peupliers ? Ils ne peuvent pas être rois ?
Le vieux chêne ricane en sifflant.
– Eux ? Ils ne pensent qu’à bavarder, comme les oiseaux. Ils finiront tous
dans des boîtes d’allumettes.
Le petit garçon est un peu triste, parce qu’il aime bien les peupliers.
Il prend congé du vieux
chêne, et il continue à marcher dans la forêt. Il avance en sifflant doucement,
pour que les arbres sachent que c’est lui. Il arrive à une autre clairière où
il y a beaucoup d’arbres très jeunes, des sapins vert clair et des eucalyptus.
Aussitôt, tous les arbres le saluent et lui crient en sifflant gaiement :
– Hihuit (c’est comme ça que les arbres l’appellent, ça veut dire petit homme),
est-ce que tu viens ce soir à la danse ?
Le petit garçon dit qu’il essaiera de venir. Il sortira en cachette de chez lui, quand tout le monde dormira.
Quand le soir est venu, le
petit garçon retourne dans la forêt. Il n’a pas peur du tout, parce que les
arbres sont ses amis. Le ciel est bleu-noir et la pleine lune luit très fort
quand il arrive dans la clairière, il entend le bruit de la musique. Ce sont
les arbres qui sifflent tous ensemble le même refrain. Il n’y a que les arbres
très jeunes. Les vieux chênes et l’érable vénérable sont restés
à la lisière, pour surveiller. Quelquefois il y
a des braconniers qui entrent dans la forêt, et l’érable doit crier comme
une chouette pour avertir les autres.
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