jeudi 6 avril 2017

Sur le bord du chemin

Le voi­là ! Le voi­là ! Cou­rons vite… »
Sai­sis­sant la main de sa peti­te sœur, Jac­ques l’entraîne à tou­te vites­se sur le sen­tier rocailleux. Il y a de la joie par­tout aujourd’hui : dans l’air pur et le ciel bleu, dans le soleil qui brille radieux, et sur le visa­ge de tous ces gens qui cou­rent, char­gés de bran­ches ver­tes, dans la direc­tion d’un point mys­té­rieux où la fou­le s’amasse peu à peu.
« Hosan­na ! Hosan­na .…»
Des cris arri­vent jusqu’aux oreilles de Jac­ques et de Myriam qui, tout essouf­flés, cher­chent à se fau­fi­ler par­mi les grou­pes. Com­me ils sont petits, ils arri­vent sans trop de pei­ne à se frayer un pas­sa­ge à tra­vers la fou­le qui s’agite de plus en plus, bran­dis­sant ses pal­mes et redou­blant ses cris :

« Hosan­na ! Hosan­na ! Gloi­re au fils de David !… »
Les enfants sont arri­vés au pre­mier rang, au bord même du sen­tier où ils demeu­rent sou­dain immo­bi­les, le cœur bat­tant d’émotion. A quel­ques pas d’eux, les hom­mes s’avancent, essayant tant bien que mal d’écarter la fou­le. Au milieu d’eux, assis sur un ânon : le Pro­phè­te… le fameux pro­phè­te qui, depuis tant de mois, par­court le pays en fai­sant le bien, et que plu­sieurs pré­ten­dent être le Mes­sie tant atten­du de tous… Com­me Il a l’air bon ! Son visa­ge est lumi­neux com­me le soleil, son regard plus doux que le miel.
De tous leurs yeux, Jac­ques et sa sœur regar­dent. Myriam est si émue qu’elle ne peut plus par­ler. Elle a joint ses peti­tes mains et fixe éper­du­ment Celui qui vient, tan­dis que Jac­ques, débor­dant d’enthousiasme, agi­te ses pal­mes et crie tant qu’il peut de vibran­tes accla­ma­tions.
Quel­ques minu­tes enco­re, et le Sei­gneur sera tout près d’eux. Il arri­ve… Le voi­là… Tout d’un coup, Jac­ques et Myriam, éper­dus, tom­bent à genoux sur le che­min… En pas­sant près d’eux, le Pro­phè­te les a lon­gue­ment regar­dés, puis Il leur a sou­ri, et son sou­ri­re, péné­trant jusqu’au fond de leur cœur, y a mis une lumiè­re si clai­re, si chau­de, qu’elle est en eux com­me un vivant soleil.
C’est Jac­ques qui s’est res­sai­si le pre­mier. Il s’est rele­vé d’un bond et s’est pré­ci­pi­té sur les pas du Sei­gneur pour mêler ses cris à ceux du bruyant cor­tè­ge qui, sans fin, conti­nue à L’acclamer.
* * *
Le soleil avait depuis long­temps dis­pa­ru à l’horizon lors­que Jac­ques, tout cou­vert de pous­siè­re, est reve­nu à la mai­son. Hors de lui, le gar­çon n’en finit pas de racon­ter sa jour­née ; et demain, oui, demain sûre­ment, et les autres. jours, il recom­men­ce­ra à sui­vre le Pro­phè­te, à L’acclamer, et, qui sait, peut-​être même arrivera-​t-​il à se fai­re connaî­tre de Lui ?
Mais le len­de­main, c’est en vain que Jac­ques a par­cou­ru en tous sens les ruel­les de la vil­le. Indif­fé­ren­tes, elles avaient repris leur ani­ma­tion habi­tuel­le sans qu’il soit pos­si­ble d’y retrou­ver tra­ce du Maî­tre au regard si doux.
Très déçu, le jeu­ne gar­çon a sen­ti peu à peu se refroi­dir son enthou­sias­me. Un pli de contra­rié­té a bar­ré son front, et il s’est trou­vé sou­dain de si mau­vai­se humeur que Myriam, apeu­rée, s’en est allée jouer, soli­tai­re, au fond du jar­din.
* * *
Ce matin, les deux enfants des­cen­dent ensem­ble vers la vil­le. Leur maman leur a don­né plu­sieurs cour­ses à fai­re, dont ils se remé­mo­rent atten­ti­ve­ment les détails afin de ne pas en oublier une seule.
Tout à coup, Myriam tres­saille. Il lui sem­ble là-​bas… Mais oui, c’est bien cela : une sor­te de rumeur mon­te de la ruel­le som­bre, à droi­te du sen­tier. On dirait des pas et des cris sourds : si c’était le Pro­phè­te ? Cou­rons vite…
En quel­ques enjam­bées, les enfants arri­vent sur un petit ter­tre d’où l’on voit bien ce qui se pas­se. Un nua­ge de pous­siè­re indi­que là-​bas quel­que cho­se d’insolite. Peu à peu, les bruits se pré­ci­sent, des sil­houet­tes se des­si­nent : tout un cor­tè­ge s’avance… Mais com­me il est dif­fé­rent de celui de l’autre jour !
Jac­ques et Myriam regar­dent, regar­dent de tous leurs yeux… Il y a des gens qui crient, des sol­dats romains dont les armes étin­cel­lent au soleil et, au milieu d’eux, un hom­me… un hom­me qui mar­che len­te­ment, cour­bé sous le poids d’une énor­me croix…
Myriam est bou­le­ver­sée
« Oh ! le pau­vre, le pau­vre hom­me ! C’est un condam­né à mort, sûre­ment… Vois com­me il est fati­gué, il n’en peut déjà plus. »
Sou­dain, Jac­ques, dont le regard per­çant fixe obs­ti­né­ment le condam­né, Jac­ques pous­se un cri :
« Le Pro­phè­te… C’est le Pro­phè­te… »
Myriam tres­saille :
« Que dis-​tu ? Mais non, voyons, ce n’est pas pos­si­ble…»
Mais Jac­ques est sûr de lui :
« Je te dis que si, regar­de… »
Le tris­te cor­tè­ge est tout pro­che main­te­nant, et Myriam est bien obli­gée de se ren­dre à l’évidence : c’est le Pro­phè­te qui est là, cour­bé sous sa croix ; le Sei­gneur si bon que tous accla­maient, il y a si peu de temps enco­re… Mais com­me a chan­gé ! Son visa­ge est tout cou­vert de sang, ses pieds se traî­nent sur le che­min… Les poings ser­rés, les joues pâlis, Jac­ques regar­de… Il lui sem­ble qu’en lui quel­que cho­se, tout à coup, vient de se bri­ser… Ses rêves, ses espoirs, son enthou­sias­me, tout s’écroule si brus­que­ment, si tra­gi­que­ment, qu’incapable d’en sup­por­ter davan­ta­ge le jeu­ne gar­çon, avec un cri rau­que, s’enfuit à tra­vers champs, en cou­rant com­me un fou.
* * *
Myriam n’a pas sui­vi son frè­re dans sa fui­te. Les yeux rem­plis de lar­mes, elle a lais­sé pas­ser le grou­pe dou­lou­reux, puis dou­ce­ment elle s’est join­te aux fem­mes qui, sans un mot, sui­vent le condam­né en pleu­rant.
Long­temps, long­temps, la peti­te fille a mar­ché sur le che­min rocailleux où les pieds nus du Sei­gneur lais­sent, par endroits, de lar­ges tâches san­glan­tes. Le cœur rem­pli d’angoisse, elle s’est arrê­tée au Som­met du Gol­go­tha. Elle a vu se dérou­ler devant elle le tra­gi­que spec­ta­cle de la cru­ci­fixion, et main­te­nant, sous le ciel qui vient sou­dain de s’obscurcir, elle contem­ple, cloué sur sa croix, Celui à qui, pour tou­jours, elle a don­né son cœur.
Mais l’heure pas­se… Là-​bas, à la mai­son, la maman de Myriam doit s’inquiéter. Il faut par­tir. Fur­ti­ve­ment, la peti­te fille s’approche de la croix. Elle vou­drait, avant de s’en aller, y dépo­ser un bai­ser… Une fem­me est là, tout près d’elle. Une fem­me qui est demeu­rée debout tout le temps, et que Jésus, tout à l’heure, a appe­lé Maman…
Timi­de­ment, Myriam s’approche… Elle tou­che la croix, et com­me, très vite, elle se reti­re, ses yeux tout à coup ren­con­trent ceux de Marie… Les mains join­tes, la fillet­te demeu­re un ins­tant immo­bi­le et, lorsqu’elle s’en va, sur le sen­tier plein d’ombre, une lumiè­re très dou­ce se lève dans son cœur endo­lo­ri : dans les yeux de la Vier­ge elle a lu tant d’amour et tant de confian­ce que son cha­grin s’éclaire peu à peu d’une lueur d’espoir qui va gran­dis­sant de minu­te en minu­te.
« Il revien­dra, Jac­ques, je te dis qu’Il revien­dra… »
Mais Jac­ques secoue la tête :
« Com­ment veux-​tu qu’Il revien­ne puisqu’Il est mort et que la pier­re a scel­lé le lieu de son repos… Non, va, c’est fini.., bien fini… C’était trop beau aus­si… »
Et le gar­çon, obs­ti­né dans son cha­grin, s’en va d’un pas décou­ra­gé sans plus rien vou­loir enten­dre.
* * *
Cepen­dant, le matin s’est levé. En allant à la vil­le, Myriam a ren­con­tré sur le sen­tier plein de soleil des fem­mes qui, fol­les de joie, s’en reve­naient du tom­beau. De leur bou­che, elle a appris la stu­pé­fian­te nou­vel­le. Cou­rant de tou­tes ses for­ces, elle est allée cher­cher Jac­ques. Et lors­que, convain­cu enfin par le témoi­gna­ge des fem­mes, celui-​ci s’est don­né pour tou­jours au Christ res­sus­ci­té, Myriam a sen­ti se lever dans son cœur une joie que jamais enco­re elle n’avait connue : cet­te vraie joie de Pâques que l’on trou­ve tou­jours lors­que, demeu­ré fidè­le dans l’épreuve, on essaie de tout son cœur de rame­ner ses frè­res à Jésus.
Jean Ber­nard.

Aucun commentaire: