mercredi 11 novembre 2020

LE COQUELICOT GÉANT (ISABELLE ET SES AMIS)


 

Isabelle a cinq ans et demi. Tu la verras souvent habillée d'une salopette jaune ou bleue. Ses parents coiffent ses longs cheveux blonds en deux tresses qui dansent le long de son frais visage.

Elle a trois grands frères. Bertrand, 19 ans, un étudiant. Benoît, 13 ans, très amateur de jeux vidéo. Benjamin, 7 ans et demi. Il partage la chambre d'Isabelle. Ils dorment sur des lits superposés et le garçon a choisi celui du haut. On sait aussi que Benjamin est très gourmand.

Notre amie habite avec ses parents dans un ravissant village, à la campagne. Tout au fond de leur jardin, se dresse une barrière qu'elle ne sait pas ouvrir. Le mécanisme est fort compliqué.

Là, commence une prairie remplie de fleurs, surtout des pâquerettes et des boutons d'or. Elle en cueille souvent pour papa et maman.

Ce matin-là, notre amie traversa la cuisine. Elle s'apprêtait à sortir au jardin.

-Où pars-tu ma chérie ? demanda maman.

-Je vais dans le champ de fleurs.

-Et que comptes-tu y faire ?

-C'est une surprise, répondit la fillette avec un petit air malicieux.

-Bon, mais ne te salis pas trop.

Isabelle se glissa sous la barrière et se redressa dans la prairie. Elle voulait trouver une fleur plus belle ou plus grande que les autres, pour l'anniversaire de sa mère. Il faisait grand soleil.

Tout à coup, elle aperçut un immense coquelicot, au bout du pré, près de l'étang. Il était si grand que la tige montait plus haut qu'elle. Jamais elle n'en avait vu un pareil ! De grands pétales rouges entouraient le haut de sa tige.

Émerveillée, notre amie admira la magnifique fleur. Maman allait être contente !

Elle s'approcha du coquelicot et tâcha de le cueillir. Mais une plante d'une telle taille possède une tige forte et résistante. Elle ne réussit pas à la couper. Dommage !

Mais Isabelle ne se laisse pas démonter pour si peu. Elle réfléchit un instant en observant la fleur. Puis elle fit demi-tour, retraversa le pré et repassa sous la barrière en faisant bien attention de ne pas déchirer ses vêtements.

Elle entra à la cuisine et ouvrit le tiroir où sont rangés les couverts. Elle choisit un long couteau garni de dents bien aiguisées, puis elle retourna au champ de fleurs. Le coquelicot semblait l'attendre.

D'une main, elle saisit la tige et la serra bien fort, et de l'autre elle entreprit de scier la grande fleur.

-Arrête, tu me fais mal, entendit Isabelle.

Surprise, elle lâcha tout et se retourna.

-Qui me parle ?

Elle regarda à gauche, à droite. Personne en vue. Notre amie était seule dans la prairie, sous le ciel bleu.

Mais alors, qui parle ? Tant pis ! Elle reprit solidement la tige en main et recommença à couper avec son couteau.

-Tu ne vas pas continuer, non ?

De nouveau notre amie recula, étonnée, surprise, intriguée. Elle examina le coquelicot géant.

-Mais… tu parles ?

-Oui, ça te dérange ?

-Normalement les fleurs ne disent rien.

-Moi, je parle.

-Et pourquoi ?

-Je bavarde parce que je suis un génie, répondit la grande plante.

Isabelle n'en revenait pas. Elle était troublée. Cette plante était un génie, un sorcier déguisé en coquelicot. Elle n'avait jamais vu ça.

Notre amie réfléchit encore. Elle ne se laisse pas impressionner si facilement. Elle a trois grands frères… Elle est même trop futée, trop espiègle, se plaignent souvent Bertrand ou Benoît, les aînés.

Elle resta encore, debout, en silence, le couteau à la main, devant l'énorme coquelicot. Elle l'observait avec malice.

-Ainsi tu es un génie… Très bien... Mais alors, je peux prononcer un vœu.

-Oh zut, dit la fleur agacée. Voilà bien ma chance ! Il a fallu que je tombe sur une petite fille intelligente ! Bon, allez, d'accord. Tu peux formuler ton vœu. Dépêche-toi, qu'on en finisse… Allez, vas-y… Je t'écoute… Que veux-tu ?

Les feuilles du coquelicot tremblaient un peu d'impatience et les pétales se tournaient vers Isabelle malgré l'absence de vent.

Notre amie se tut encore un instant, puis, un joli sourire aux lèvres, les yeux pétillants, les mains sur les hanches, elle déclara:

-Je voudrais, pour mon vœu, que tu te taises. Que tu ne parles plus.


Isabelle s'approcha à nouveau de la plante. Elle saisit la tige d'une main et de l'autre elle la coupa avec son couteau.

Puis elle traversa le champ. Elle se glissa sous la clôture, et revint à la maison. Elle tendit son coquelicot géant à sa mère avec fierté.

-Maman, maman, regarde la jolie fleur que j'ai trouvée pour ton anniversaire !

-Mais quelle merveille, ma chérie! 

Elle admira longtemps la grande plante. Elle la fit tourner entre ses mains, toucha les feuilles, sentit les pétales, puis elle prit sa petite fille dans ses bras et l'embrassa en la serrant très fort.

-Je n'ai jamais vu un si beau coquelicot, ma tendresse. Viens avec moi, on va chercher un grand seau à la cave, y mettre de l'eau et placer ta fleur au milieu du salon où tout le monde la verra.

Plus tard, maman appela ses voisines, ses amies, ses collègues et toute la famille. Tous vinrent admirer la plante extraordinaire que sa fille lui avait cueillie.

Isabelle était très fière et très heureuse.

Le lendemain, notre amie retourna dans le champ de fleurs.

-Peut-être pourrais-je trouver un autre coquelicot ? Je le cueillerais et je le rapporterais à maman. Elle était si contente hier.

Au bout du pré, au même endroit que la veille, se trouvait une nouvelle fleur géante. Encore un coquelicot, tout aussi grand que le premier.

Isabelle revint en courant à la cuisine. Elle reprit le même couteau et retourna dans le champ. Elle entreprit de couper la tige.

-Tu ne vas pas recommencer, non ?

La fillette recula.

-Tu ne peux pas parler. Hier, j'ai prononcé un vœu pour que tu ne dises plus rien.

-Cela ne compte pas. Aujourd'hui, je suis une autre fleur, précisa le génie. Alors, je peux bavarder autant que je veux.

-Tricheur ! cria Isabelle.

-Tous les génies sont des tricheurs.

Mais notre amie est intelligente, sans doute parce qu'on lui  raconte beaucoup d'histoires…

-Hier soir, j'ai regardé avec mon grand frère dans mon livre de contes. Quand on découvre un génie, on peut prononcer trois vœux. Il m'en reste donc deux.

-Oui, soupira le coquelicot. Tu as raison. D'accord. Allez, vas-y. Formule ton deuxième vœu, qu'on avance.

Encore une fois la fillette réfléchit.

-Je voudrais que tu ne pousses plus ici au fond du pré, mais dans mon jardin, près de la fenêtre de la cuisine. Ainsi, maman verra tous les jours une nouvelle fleur.

Le coquelicot disparut.

Isabelle fit demi-tour et revint dans son jardin. Bonheur! La plante géante se trouvait là, au soleil, bien visible de la maison.

-Merci coquelicot, je suis contente.

-Bon, troisième vœu, finissons-en, s'énerva la fleur.

Isabelle se taisait. Elle réfléchissait.

Toi qui écoutes cette histoire, qu'aurais-tu demandé ?

-J'hésite, murmura notre amie. Attends-moi ici. Je vais aller à la maison interroger mes parents, ils auront peut-être une idée.

La fillette traversa la cuisine et passa au salon. Ses trois grands frères, Bertrand, Benoît et Benjamin étaient revenus de l'école. Elle s'adressa à papa et maman.

-Venez à la fenêtre, regardez mon coquelicot géant, c'est un génie. J'ai déjà obtenu deux vœux. Je peux en prononcer un troisième, mais je ne sais pas quoi demander.

Papa réfléchit un instant, puis il dit :

-Oui, j'ai une bonne idée. Demande à ta plante que chaque matin quand je m'éveille, je trouve une pièce d'or sous mon oreiller. Avouez tous que ce serait une bonne manière de commencer la journée.

-Trop facile, déclara maman. J'ai une meilleure idée. Tâche d'obtenir une baguette magique de ton coquelicot, Isabelle.

Ainsi, quand mes enfants reviendront très sales après avoir joué dans les bois ou dans la boue, je n'aurai qu'à toucher leurs vêtements et ils seront immédiatement lavés, repassés et rangés dans les armoires. Et puis, avec cette même baguette magique, lorsque je préparerai le dîner, il me suffira de la glisser sur la viande ou le poisson et les légumes, et le repas sera prêt et servi à table.

-Papa et maman, s'écria Bertrand, ce que vous êtes ringards ! On ne propose plus des voeux pareils aujourd'hui ! Je voudrais que tu demandes un stylo à ta plante, Isabelle. Un stylo qui ne ferait jamais de faute en écrivant. Ainsi, j'aurai toujours dix sur dix, vingt sur vingt à l'école. Je réussirai tous mes examens du premier coup.

-Ah non, cria Benoît, treize ans et demi, non. Je ne suis pas de votre avis. Essaye d'obtenir le dernier modèle de console de jeux vidéo, ou un ordinateur dernier cri, plus l'imprimante couleur qui l'accompagne.

-N'écoute pas, Isabelle, supplia Benjamin. Demande un grand coffre pour notre chambre, et que ce grand coffre reste toujours rempli de bonbons, de chocolats et de biscuits en tous genres. On pourra en manger autant qu'on veut, il ne se videra jamais.

-La pièce d'or chaque matin sous l'oreiller, répéta papa.

-La baguette magique, renchérit maman.

-Pensez aux examens, le stylo, lança Bertrand.

-L'ordinateur et la console de jeux, cria Benoît.

-Les bonbons, les bonbons, les bonbons, scanda Benjamin.

Chacun se mit à hurler sans même écouter les autres. C'était à qui crierait le plus fort.

Isabelle sortit, puisqu'ils se disputaient. Elle retourna au jardin, tout près du coquelicot géant.

-Je crois que je sais ce que je veux pour mon troisième vœu. Ils se bagarrent tous à la maison à cause de toi. Alors je te demande de partir, pour qu'ils ne se disputent plus. Je veux que tu t'en ailles très loin et que tu ne reviennes jamais.

La plante disparut.

-Silence, imposa papa avec fermeté. Cessons cette dispute. Il faut laisser Isabelle décider. C'est sa fleur.

La porte de la maison s'ouvrit. Les parents et les trois grands frères arrivèrent en courant près de la petite fille.

-Nous sommes d'accord, ma chérie, dit maman. A toi de choisir.

-Trop tard, répondit notre amie. Le coquelicot est parti. Il ne reviendra plus jamais.

-Je pense que c'est mieux ainsi, affirma papa. On n'aurait jamais pu s'entendre tout à fait.

-Oui, murmura Benjamin, avec un rien de regret en pensant au coffre à bonbons.

-D'accord avec toi papa, ajouta Benoît, conciliant.

-Je vous trouve tous très sages. Nous avons été envoûtés par ce génie, conclut maman. Je retrouve ici et maintenant ma famille heureuse et unie.

Isabelle sauta au cou de sa mère et la serra très fort. Papa embrassa maman avec Isabelle au centre. Les grands frères entourèrent les parents et la petite soeur et serrèrent à leur tour. Notre amie profita d'un bon et long moment de tendresse au milieu des siens.

On ne se disputa plus dans la famille. Le coquelicot géant avait exécuté le troisième vœu.

Isabelle en fut très heureuse.

Elle ne l'a jamais revu.

Aucun commentaire: