Cette histoire commence en des temps très anciens, dans un petit village
où chacun menait une existence paisible. Ou presque…
Lorsque le ciel s’assombrissait, hommes, femmes et enfants se cloîtraient chez
eux et attendaient, angoissés dans leurs lits, de sombrer dans le sommeil. Car
aucun de ceux qui s’étaient aventurés dehors à la nuit tombée n’était jamais
revenu. On racontait alors que des créatures malveillantes prenaient forme dans
l’obscurité, et de fait les villageois entendaient parfois, au milieu de la
nuit, des grognements effrayants venant de l’extérieur, et même des hurlements
qui donnaient la chair de poule…
***
Un beau jour, une petite fille aussi curieuse que valeureuse se mit en
tête de résoudre le mystère de ces nuits sans lumière, ces nuits qu’on disait
peuplées de dangereux monstres. Cette petite fille se prénommait Albaluna. Son
père lui avait parlé d’un homme mystérieux qu’on appelait le Grand Sage, et qui
connaissait tous les secrets de l’univers. La fillette décida donc de partir à
sa recherche, sans bien savoir comment le trouver.
Elle s’assit dans l’herbe, pensive. Alors, quelqu’un posa la main sur son
épaule. La petite fille se retourna aussitôt et fit face à un vieil homme au
visage parcheminé et aux yeux bleus brillant d’un éclat étrange, presque
surnaturel.
— Vous êtes le Grand Sage ! devina Albaluna, stupéfaite.
— Et toi, tu es celle qui permettra à la nuit de briller, répondit le
vieil homme, énigmatique. Fais ce pour quoi tu es née, accomplis ta tâche et tu
seras récompensée.
— Ce pour quoi je suis née ? répéta la petite fille, incrédule. Que
voulez-vous dire ?
Et soudain, comme pour répondre à sa question, ses bras se mirent à scintiller
et la fillette écarquilla les yeux de stupeur. Le phénomène ne dura que
quelques secondes, mais Albaluna eut la certitude que son corps tout entier
avait irradié une intense lumière.
Fixant toujours ses bras, éberluée, elle s’adressa au Grand Sage :
— Vous avez vu ça ?
Mais le vieil homme avait mystérieusement disparu… Albaluna comprit cependant
qu’elle avait un destin à accomplir.
***
La nuit venue, Albaluna sortit en douce de chez elle et une fois dehors,
prit soin d’enflammer une torche pour éclairer son chemin. Elle n’avait pas de
destination précise, mais elle était confiante et cela lui suffisait.
Elle marcha longtemps sans rencontrer âme qui vive, et guettant le moindre son
à chacun de ses pas… en vain. Seul le crépitement de sa torche rompait le
silence pesant de la nuit. Mais Albaluna marcha si longtemps que sa torche
finit par s’éteindre. Elle se trouvait au milieu d’une clairière plongée dans
l’obscurité la plus complète, avec le silence pour seul compagnon. Et pour la
première fois, elle eut peur…
Albaluna entendit alors quelqu’un pleurer dans le noir, tout près, vraiment
tout près… Elle baissa la tête et vit, surprise, un insecte lumineux qui
sanglotait à quelques centimètres de ses pieds.
— Que t’arrive-t-il donc, petit insecte brillant ? demanda-t-elle en se
penchant pour le regarder de plus près.
Albaluna ne s’attendait évidemment pas à ce que la minuscule et lumineuse bête
lui réponde, aussi sursauta-t-elle quand cette dernière lui parla d’une toute
petite voix :
— Je suis perdue… Je ne retrouve pas ma famille.
— Je serais enchantée de t’aider à la retrouver, lui dit alors la
fillette, qui n’avait à présent plus du tout peur. Je m’appelle Albaluna, et
toi, quel est ton nom ?
— Je n’en ai pas.
La petite fille réfléchit un moment.
— Que dirais-tu si je t’appelais Luciole ? proposa-t-elle alors tandis que
sa nouvelle amie s’installait dans le creux de sa main.
— J’aime beaucoup ! fit cette dernière, qui semblait un peu moins triste.
Mais dis-moi, que fais-tu toute seule ici au beau milieu de la nuit ? Toi aussi
tu ne retrouves plus les tiens ?
— Non je suis ici pour accomplir ma destinée, seulement je ne sais ni ce
que je cherche, ni ce que je suis supposée faire, répondit la fillette,
dépitée. Mais je m’occuperai de cela plus tard, tâchons d’abord de retrouver ta
famille, Luciole !
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Albaluna, guidée par la lumière du petit
insecte, ne tarda pas à repérer la famille de son amie, un peu plus loin dans
la clairière.
— Comment puis-je te remercier ? lui demanda Luciole, infiniment
reconnaissante.
Albaluna, après avoir réfléchi quelques instants, dit :
— Si tu pouvais éclairer ce ciel si sombre, ce serait pour moi le plus
beau des cadeaux.
Alors, à la demande de Luciole, tous les petits insectes brillants s’envolèrent
vers le ciel nocturne qui allait devenir leur nouvelle maison.
Avant de partir à son tour, Luciole dit :
— Je serai la plus brillante du firmament pour que tu puisses me
reconnaître ! Adieu !
Et alors qu’Albaluna se séparait avec tristesse de sa nouvelle amie, le Grand
Sage apparut soudain devant elle. Souriant, l’air mystérieux, il prit la
parole.
— Une prophétie très ancienne parlait d’une enfant au cœur pur qui serait
la seule à pouvoir apporter la lumière à ce monde de ténèbres. La prophétie
disait aussi que la lumière dans le cœur de cette enfant était si grande
qu’elle l’envelopperait tout entière et éclairerait à tout jamais les heures
sombres de la nuit.
Albaluna était perplexe. Elle n’était pas sûre d’avoir tout compris. Cependant,
une question lui vint à l’esprit :
— Grand Sage, qu’est-il advenu des gens de mon village qui sont sortis
après le coucher du soleil et qui ne sont jamais revenus ? Sont-ils… morts ?
La fillette appréhendait sa réponse, mais fut surprise de voir le vieil homme
esquisser de nouveau un sourire.
— Sois sans crainte, ils ne sont pas morts. Mais les nuits sans lumière
sont porteuses d’une terrible malédiction, dont tu es la seule jusqu’à présent
à avoir réchappé. Ceux de ton village qui se sont aventurés dehors à la tombée
de la nuit sont devenus… des loups.
Albaluna écarquilla les yeux, stupéfaite. Et soudain, comme pour confirmer les
paroles du Grand Sage, des hurlements de loups retentirent quelque part dans
l’obscurité de la nuit.
— Je crois que je sais ce que je dois faire ! s’exclama alors la fillette,
les yeux brillant d’excitation.
Le Grand Sage sourit, car il connaissait depuis fort longtemps l’extraordinaire
destin auquel la petite fille était vouée.
Albaluna ferma les yeux, prit une profonde inspiration et laissa la lumière qui
était en elle l’envahir. Elle se sentit grandir et grossir à n’en plus finir
tandis que ses pieds quittaient la terre ferme et qu’elle s’élevait de plus en
plus haut dans le ciel. Elle eut alors la joie de retrouver Luciole et sa
famille.
Car Albaluna était devenue la Lune, tandis que les lucioles étaient désormais des
étoiles.
Les villageois devenus loups, sous la lumière magique de la Lune, retrouvèrent
leur apparence humaine. Mais comme toute malédiction ne peut être tout à fait
brisée, ils redevenaient loups chaque nuit de pleine lune, et devinrent ainsi
des loups-garous.
Cela représentait un moindre mal pour les habitants du village, puisque la Lune
et les étoiles veillaient à présent sur le monde endormi. Grâce à elles, les
humains n’eurent plus jamais peur de la nuit.
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