mardi 15 décembre 2020

Et maintenant une histoire ! Un vol à la crèche (L’envie)

 

Le long de la grande allée, bordée d’eucalyptus, s’avance un gamin aux yeux ronds et vifs, aux cheveux laineux et frisés… C’est Yoséfou, un gracieux négrillon que sa démarche nerveuse et saccadée a fait surnommer Guigué, ce qui veut dire, dans la langue de sa tribu : la sauterelle.

À l’autre bout de l’allée apparaît une forme blanche, c’est Sœur Claire. Pour se garantir contre les ardeurs d’un soleil implacable elle porte sur son voile un grand casque doublé de vert.

« Où vas-tu, Yoséfou ? » demande-t-elle à la Sauterelle. « Je vais à l’église saluer Mwana-Jésus », le Petit Jésus, répond la Sauterelle. « Très bien, dit Sœur Claire ; salue-le aussi de ma part ! »

Arrivé à l’église le jeune négrillon se prosterne devant le tabernacle puis, d’un brusque mouvement de jarret, se redresse comme s’il avait des ressorts dans les jambes. C’est la génuflexion habituelle de la Sauterelle ! Aussitôt après, il se dirige vers la crèche. Le voici en face de Mwana-Jésus ! Ses yeux ronds et blancs brillent de joie et aussi d’envie. Il est si beau ce petit Jésus et si blanc… tandis que lui, Yoséfou, est noir comme l’ébène Mais Jésus regarde surtout la couleur des âmes ! Et celle de la Sauterelle est blanche comme un beau lys. Et parce que son petit cœur est tout à lui voici que notre négrillon improvise une étonnante litanie : « Mon Dieu, notre Père, que votre Fils est beau ! Je vous félicite !… Sainte Vierge Marie, que votre enfant est beau ! Je vous félicite !… Bergers, que vous êtes gentils d’être venus visiter Jésus… Je vous félicite !… Rois-Mages, je vous félicite de lui avoir apporté des cadeaux ! »

 
À cet instant Yoséfou se souvient que lui aussi a apporté quelque chose. Alors, sa petite main noire se tend vers la crèche. Lentement il entrouvre les doigts et sur sa paume claire brille une modeste épingle double… Une dernière fois Yoséfou la regarde puis d’un geste résolu, retourne sa menotte. L’épingle glisse et va se perdre parmi les brins de paille. « Mwana-Jésus, je vous donne mon épingle ; ce que j’ai de plus beau ! » Et le petit négrillon reste là, contemplant l’Enfant en silence. Plus il le regarde, plus il l’aime… Et plus grandit en lui l’envie de lui confier un secret. Mais un secret ne peut se dire à haute voix !

Finalement l’envie l’emporte… Yoséfou se penche sur la paille, tend ses deux petites mains noires vers l’Enfant-Jésus et, non sans bousculer quelque peu les agneaux, il s’empare de son précieux butin… Nouveau Saint Christophe, Yoséfou presse l’Enfant-Jésus sur son cœur puis va s’accroupir derrière un gros pilier de bambou. « Oh ! Mwana-Jésus, lui dit-il, que vous êtes joli ! Je vous félicite. Mais écoutez… J’ai grande envie de savoir quelque chose ! »

Tout à coup une bousculade se produit près du bénitier, puis des cris s’élèvent près de la crèche :

« On a volé Mwana-Jésus ! Il était là il n’y a pas longtemps, on l’a vu ! Qui a osé faire une semblable chose ? »

Le petit voleur n’est pas loin et on a vite fait de le découvrir derrière son pilier de bambou ! Et les injures se mettent à pleuvoir : « Païen, voleur, sauterelle !

— Gardez-le bien, dit l’un des justiciers, je cours prévenir la Sœur. »

Mais Sœur Claire a entendu les cris et la voici qui accourt ! Au milieu des gesticulations et des invectives elle finit par démêler la cause du tumulte. Escortée de Yoséfou, rouge sous sa peau noire, elle rapporte l’Enfant-Jésus à la crèche puis interroge le coupable :

« Pourquoi as-tu pris Mwana-Jésus ? Tu sais bien qu’il est ici pour tout le monde ?

— C’est vrai… Je promets de ne plus recommencer !

— Et comment as-tu osé voler Jésus, toi un petit chrétien ? »

Des sanglots dans la voix, des larmes pleins les yeux, la pauvre Sauterelle hésite :

 « Il était si beau… Et puis, je l’aime tant ! Je n’ai pas voulu le voler, je t’assure. Je voulais simplement lui demander une chose.

— Et quelle chose ?

— Savoir si au ciel je serai noir ou si je deviendrai blanc… comme Lui ! »

Sœur Claire, malgré son air sévère a envie de sourire mais elle se contient et continue d’un ton très sérieux :

« Et que t’a-t-il répondu ?

— Il m’a répondu que oui… Il m’a dit que plus on le regarde plus on lui ressemble et qu’au ciel on sera tous pareils à Lui parce que nous le verrons tout le temps ! »

Maintenant c’est dans les yeux de sœur Claire qu’il y a des larmes ! Ce petit Noir de sept ans à peine a su aimer Jésus comme saint Jean. Penché sur la poitrine du Divin Maître il l’a entendu lui dire comme jadis à l’apôtre : « Au ciel nous serons semblables à Dieu parce que nous Le verrons face à face, tel qu’Il est !»

Heureuse petite Sauterelle qui a ainsi pénétré les secrets du cœur de Dieu ! Comme on lui pardonne son pieux larcin !

A. Aveluy

 

https://www.maintenantunehistoire.fr/un-vol-a-la-creche/

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