Auteur : Jourdan, Juliette | Ouvrage : Et maintenant une histoire II, Les fêtes civiles. Mardi- Gras Histoires à l’usage des parents, catéchistes et éducateurs.
Vous nous ferez goûter de vos crêpes, Madame Michou
?
— Oui, oui, Madame Follenfant… Venez ce soir à 8
heures. »
Madame Miction, depuis huit jours, ne parle plus que
de ses crêpes. Il n’y en a pas comme elle pour les faire, paraît-il… blondes,
fines, parfumées. La recette n’en est pas extraordinaire, puisque, sur ses
instructions, c’est Jacotte, sa petite fille, qui délaye la farine. Mais le
tour de main… parlez-moi de ce tour de main-là… Madame Michou vous attrape la
queue de la poêle, fait couler la pâte comme du lait, et hop ! avant qu’on ait
le temps d’ouvrir la bouche, voilà la crêpe en l’air, puis à nouveau dans la
poêle, dorée, onctueuse, légère comme une dentelle…
* * *
Aussi, chaque Mardi-Gras et chaque dimanche de
Mi-Carême sont pour Madame Michou ce que, toutes proportions gardées, fut
Austerlitz pour le grand empereur Napoléon…
Mais, cette année, non seulement la dynastie des
Michou doit passer la soirée autour du fourneau, mais encore, la réputation de
la crêpière s’étant étendue, tous les voisins et les enfants des voisins ont
été invités à venir déguster la spécialité ; de sorte que les chaises des
chambres et les bancs du jardin ne sont pas de trop dans la cuisine.
A huit heures, tout le monde rapplique… les uns
rondement : « On vient se régaler chez vous, Madame Michou »… les autres avec
timidité : « Quel dérangement on vous cause ! »
Finalement, les uns et les autres se casent… Toto
Petit-poulet, assis dans la caisse à bois, commence à sucer son pouce, en
attendant la suite. Madame Michou, comme une déesse, trône devant son fourneau…
Une immense bassine de pâte, consciencieusement délayée par Jacotte dès le
matin, est à ses côtés.
« Hé bé !… fait Monsieur Michou, elle a l’air drôle,
ta pâte… Toute la farine est tombée au fond.
— C’est parce qu’elle est bien levée », répond son
épouse, avec plus d’assurance, semble-t-il que de logique.
Jacotte ne répond rien. Elle n’a pas la conscience
très tranquille. C’est qu’elle a forcé sur les proportions, craignant de ne pas
avoir son compte de crêpes. En cachette elle a ajouté, à celle donnée par sa
maman, tout un sac de farine, découvert dans un coin.
* * *
L’opération commence… Le lard, en grésillant, chante
dans la poêle… La pâte coule… Tout le monde s’arrête de parler. Ah ! Ah !…
justement, elle ne coule plus… Madame Michou a beau se trémousser, pencher son
instrument en tous sens, rien à faire… Il n’y a qu’un petit tas épais et
blanchâtre au milieu. Émotion… La cuisinière rougit jusqu’aux oreilles… Son mari
se dresse avec inquiétude… Jacotte renifle avec détresse la graisse qui brûle,
et Toto Petit poulet, du fond de sa caisse à bois, sent tout de même qu’un
tragique événement se prépare, quelque chose comme un Waterloo… « Ma poêle
n’était pas « aroutée », déclare en crânant encore Madame Michou.
Hélas ! Elle a beau s’y reprendre une fois, deux
fois, trois fois, toujours, toujours la pâte reste collée lamentablement au
milieu de la poêle.
« On t’a jeté un sort », grogne son mari.
C’est alors la déroute…
Madame Michou, énervée, furieuse, éclabousse de la
pâte partout… s’en prend à son feu… à son mari… à sa fille.
Les voisins jugent plus prudent de s’en aller.
La porte fermée, Madame Michou ne s’arrache pas les
cheveux — parce que, en réalité, on ne s’arrache jamais les cheveux — mais
entre dans un désespoir épouvantable.
« Jacotte, où donc as-tu pris la farine ?
— Dans l’buffet, M’man.
— Dans l’buffet, bien vrai ?
— Oui… et comme il n’y en avait pas assez, j’ai
trouvé le reste dans le bas du placard.
— Petite malheureuse… c’était le plâtre de ton père…
du plâtre… tu as mis du plâtre pour faire les crêpes ! »
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