samedi 30 janvier 2021

Le cierge de la chandeleur Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant une histoire II, Fêtes de l'année liturgique. Histoires à l’usage des parents, catéchistes et éducateurs.

 Toute frissonnante, malgré sa cape de laine noire dans laquelle elle s’enveloppe étroitement, mère Yvonne se hâte de rentrer, sur la falaise, à l’abri dans sa maison. Elle a tenu à se rendre à l’office du matin, en ce jour de la fête des cierges, bien qu’à son lever elle ne se soit pas sentie très entrain. Grâce à Dieu, voici le toit familial, bien abrité du vent par la haie d’épines et de genêts. Avant de refermer la porte derrière elle, mère Yvonne jette un regard angoissé vers la mer qui moutonne à l’infini, sous le vent aigre et violent.

Pourquoi a‑t-il voulu partir cette nuit, son Yann, alors qu’aucun pêcheur ne risquerait sa voile par ce temps ? Aussi n’est-ce pas pour le poisson qu’il s’est embarqué avec ses mauvais amis qui gagnent tant d’argent à des besognes louches qu’elle ne peut que soupçonner…

« Lui, fils de pêcheur, murmure-t-elle, un contrebandier, est-ce possible ? »

Et cela ne le rend pas heureux ; il n’aime plus la maison où il paraît si peu, ni sa mère qu’il ne regarde plus en face…

Avec un grand soupir de peine et de lassitude, mère Yvonne est rentrée dans sa demeure, a retiré sa cape. Soigneusement, elle a placé dans le beau chandelier de cuivre qui orne la cheminée le cierge qu’elle a rapporté de la bénédiction, puis s’est accroupie devant le foyer pour ranimer le feu, car elle a froid, très froid…

Non, vraiment, elle ne se sent pas très bien… Elle ne s’occupera même pas de préparer quoi que ce soit pour son déjeuner ; elle ira se coucher tout simplement et, fermant les yeux, dira son chapelet pour ce fils qui est peut-être en perdition, par amour du gain, sur la mer déchaînée. Elle s’assoupit, bercée par le ressac des vagues sur les rochers, au pied de la falaise.

***

Toc ! Toc ! Qui frappe ? C’est Rosine, une brave petite qui habite non loin de chez elle.

 « Eh bien ! Quoi, mère Yvonne ? Pas de lumière et la nuit vient ! Je suis accourue quand j’ai vu tout noir chez vous. Et déjà couchée ? C’est comme cela que vous fêtez la Chandeleur ? Tenez, j’ai apporté deux crêpes pour votre souper. Voyez, elles sont dorées et sentent bon ; toute la famille s’en est régalée.

 – Tu es bien gentille, mon enfant, mais je n’ai pas faim. Vrai, je ne me sens pas très bien… Merci tout de même. Mets les crêpes dans le buffet… Quel temps, ce soir, la vague frappe comme un bélier !

– La Vierge protège ceux qui sont en mer ! » Fait Rosine pieusement.

« Mon fils ! Sanglote la pauvre mère… Oh ! Petite, pour me faire plaisir, veux-tu allumer le cierge bénit, là, sur la cheminée ?

– Mais c’est pour les défunts qu’on allume, mère Yvonne !

– Et aussi pour faire la lumière dans le cœur des pauvres incroyants ; allume, te dis-je, et tu pourras retourner chez toi, avec ma reconnaissance. »

***
La mère Yvonne est seule maintenant. Elle s’est levée seulement pour porter la flamme bénite de la cheminée sur une table, juste devant la fenêtre. Un instant, avec un regard plein d’anxiété, elle scrute la mer, toute sombre, puis elle a repris son chapelet…

Un moment plus tôt, sur les vagues furieuses, un petit côtre à moteur avançait péniblement. Il zigzaguait, incertain de la route à suivre, presque en face de la maison de mère Yvonne Le phare indiquant l’entrée du port n’était pas loin cependant, mais ce petit côtre avait des raisons pour aborder sans être vu des douaniers.

Il risque gros par ce temps et, dans cette obscurité, comment découvrira-t-il la petite anse où il pourra en toute sécurité aborder ?… Des écueils, puis encore des écueils… La côte en est semée…

« Plus à droite ! » commande le patron.

« Vous vous trompez, nous sommes déjà trop loin !

– Je connais la côte mieux que toi !

– Erreur, j’y suis né ! »

La dispute est si vive, auprès de la barre du gouvernail que, poussé peut-être par son acolyte, Yann, car c’est bien le malheureux fils d’Yvonne, perd l’équilibre et tombe dans les flots en tempête.

« Au secours ! À l’aide ! » Crie-t-il.

 Mais l’autre fait la sourde oreille, et le petit côtre, entraîné vers sa perte, lui aussi sans doute, disparaît dans la nuit.

Bien que Yann soit bon nageur, il se sent perdu, au milieu des écueils battus par les vagues. S’il savait seulement où il est ? Mais ce n’est autour de lui que ténèbres et fracas. Il appelle… en vain.

« Mère… mère ! » gémit-il. Et comme un éclair lui apparaît son enfance heureuse, le foyer qui l’attend, tout ce qu’il a dédaigne, piétine ; c’est comme une lumière qui tout d’un coup éclaire sa conscience et son cœur. Une lumière ? Oui, une lumière, toute vacillante, vient d’apparaître, là-haut sur la falaise ; elle semble grandir, grandir dans les ténèbres… Avec elle, un espoir renaît dans le cœur du naufragé : plein de confiance, il nage vigoureusement vers cette lueur car il a la certitude que sa maison est là, juste là, où brille cette flamme.

Tant de fois, alors qu’il était gamin, le soir, il a traversé la grève avec, pour phare, cette fenêtre éclairée ! Il sait que là, il y a une passe entre les rochers… Combien de temps met-il pour gagner le sable ? À bout de souffle, il se laisse tomber, épuisé. Puis il commence la lente ascension de la falaise, périlleuse, mais si souvent pratiquée.

La lueur le guide toujours : c’est bien la fenêtre éclairée de sa maison, de la chère maison où il revient après avoir échappé à la mort.

Grand Dieu ! Un premier regard à travers la vitre le glace : sa mère est allongée, toute pâle sur son lit, avec près d’elle un cierge, le grand cierge habituel, qu’il connait bien, dans le beau chandelier de cuivre, et qu’on n’allume que pour les morts. Serait-elle morte ? Son angoisse est telle qu’il ne peut s’empêcher de pousser un grand cri… Ce grand cri réveille en sursaut la vieille Yvonne, qui n’était que sommeillante.

« Yann, mon garçon ! »

Ils sont dans les bras l’un de l’autre. Point n’est besoin de paroles : ils se sont compris.

 « Mais tu es trempé, mon pauvre petit, tu vas prendre mal ! Va te changer, tandis que je vais ranimer le feu… »

C’est étrange comme la joie est un remède parfois. Yvonne retrouve des forces pour se lever, pour faire chauffer le vin sucré, mettre la table, servir les crêpes de la petite Rosine.

Quelle bonne veillée de Chandeleur ils ont passé la mère et le fils, dans la modeste chaumière, tandis que là-bas la mer en colère hurlait de vaines menaces ! Le cierge brûle entre eux deux, car ils n’ont voulu ni l’un ni l’autre l’éteindre.

« Le cierge de la Chandeleur qui a sauvé et m’a rendu mon fils », a dit la vieille Yvonne toute émue.

« Le cierge de lumière qui a éclairé mon cœur et chassé le mal », a murmuré Yann avec reconnaissance.

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