| Ouvrage : Le
Courrier des Croisés .
Temps de
lecture : 8 minutes
- Oh ! Bonjour, chère amie ! Comme je
suis contente de vous rencontrer ! Comment allez-vous ?
- Beaucoup mieux que les jours précédents ! Le
docteur de Révot m’a donné un remède formidable. Mes maux de tête ont disparu,
comme par enchantement ! Me voilà en pleine forme !
- Quelle merveilleuse nouvelle ! J’ai bien
regretté votre absence, l’autre jour, au dîner organisé par la famille Pagé.
- Comment donc c’est passé cette fameuse
soirée ?
- Ma foi, je n’ai pas fort apprécié la fête.
Figurez-vous que mademoiselle Pagé et plusieurs de ses amis en sont venus
à parler du brave Monsieur de Montfort. Sans aucune charité, ils se sont
mis à le critiquer, à le ridiculiser…
- Comment ? Ils se sont moqué d’un prêtre si
dévot ? Mais pour quel motif ?
- Oh ! Ce n’est pas compliqué ! Vous
savez comme moi, le bien que fait ce saint prêtre dans toute la région. Il
secoue tellement les âmes que beaucoup se convertissent et changent de vie. Il
n’a pas peur de dire les choses.
Dernièrement, il a même osé critiquer la
toilette d’une jeune demoiselle en plein sermon. La mère de celle-ci était
tellement furieuse que lorsque le bon père est sorti de l’église, la dame, en
furie, s’est jeté sur lui et lui a donné plusieurs coups de canne. Le bon
Monsieur de Montfort n’a même pas essayé de se défendre, il a simplement
attendu que la tempête se calme. Puis il a dit, avec beaucoup de
douceur : « Madame, j’ai fait mon devoir ; il fallait que votre
fille fasse le sien ! ». Je pense que les solides leçons de ce saint
homme dérange la mentalité de mademoiselle Pagé et de ses amis !
- C’est évident ! Pourtant tout ce que l’on
raconte sur Monsieur de Montfort devrait les faire réfléchir ! Pour moi,
mon opinion est faite, c’est un saint ! Il suffit de suivre une de ses
missions pour en être convaincue ! Vous souvenez-vous de celle qu’il
a prêché dans l’église des dominicains l’an dernier ?
- Oh oui ! Pour rien au monde je ne l’aurai
manqué ! L’église était bondée, nous étions bien trois mille femmes
à l’écouter… Je ne peux oublier la façon dont il nous parla du
rosaire ! Et son amour pour Notre-Dame…
- Vous a‑t-on raconté dans quelle circonstance le
bon père Grignion de Montfort a pu prêcher une mission sur l’île d’Yeu,
dernièrement ?
- Non ! Racontez moi…
-Eh bien, voici ce qu’un ami de mon frère, marin de
Saint-Gilles, nous a raconté… Écoutez-moi, c’est assez édifiant…
Monsieur de Montfort avait décidé de partir
évangéliser l’île d’Yeu. La chose était périlleuse car des corsaires anglais,
en ce début d’année 1712, infestaient les parages. Arrivé aux Sables‑d’Olonne,
le missionnaire chercha un patron de chaloupe prêt à le mener sur l’île.
Personne ne voulut l’y conduire. Mais cela ne le découragea nullement. Il prit
le chemin d’un autre port breton : Saint-Gilles. Là aussi, les matelots
refusèrent de le passer. Le prêtre ne se tint pas pour vaincu. Avant repartir
vers La Rochelle, il pria avec grande ferveur le rosaire, puis fit une dernière
tentative. Il retourna voir le patron de la plus grande chaloupe du port, lui
promit, au nom du Ciel, que le voyage se passerait sans problème puis le supplia
tellement que le brave capitaine finit pas accepter.
Le lendemain, le père Grignion de Montfort
embarquait joyeusement avec les hommes d’équipage. Ils étaient à peine
à trois lieues en mer quand ils aperçurent deux vaisseaux corsaires
approcher de l’embarcation à toutes voiles. Le bateau breton avait le vent
contraire et n’avançait qu’à la force des rames !
Les matelots s’écrièrent, terrifiés :
« Nous sommes pris ! nous sommes pris ! » Pendant ce temps,
Monsieur de Montfort chantait des cantiques, paisiblement, et invitait ses
compagnons d’infortune à faire de même, mais les pauvres marins,
angoissés, gardaient le silence.
« Puisque vous ne pouvez pas chanter, récitons
donc tous ensemble notre chapelet. Notre-Dame nous protège, mes
amis ! » s’écria le prêtre. Répondant à cette invitation, les
pauvres matelots se mirent à prier avec ferveur. Quand le chapelet fut
fini, Monsieur de Montfort rassura ses compagnons d’infortune :
« Nous n’avons plus rien à craindre. La sainte Vierge nous
a exaucés, nous sommes hors de danger ». Alors qu’il affirmait cela,
leur bateau se trouvait déjà à portée des canons des vaisseaux
ennemis ! Un des mousses s’écria :
- « Hors de danger ? Mais regardez !!!
L’ennemi est sur nous prêt à fondre sur notre barque. Préparons-nous
plutôt à faire le voyage en Angleterre et à pourrir dans l’une de
leurs prison !
Alors Monsieur de Montfort lui répliqua :
- « Ayez de la foi, mes amis, les vents vont
changer. »
Effectivement, la chose arriva, comme il l’avait
prédit. Tout à coup, les matelots virent les vaisseaux ennemis virer de
bord et, les vents ayant complètement changés de direction, les embarcations
s’éloignèrent les unes des autres. Sur le bateau français, l’équipage reprit
espoir. Bientôt tous se mirent à chanter de bon cœur le Magnificat en
action de grâces ! A leur arrivée sur l’île d’Yeu, les marins furent
reçus en triomphe.
- On l’imagine bien ! Quel beau récit, ma
chère amie, et comme vous le contez avec talent ! Je regrette bien que
vous ne fussiez pas à la fête chez les Pagé. Vous auriez réussi, mieux que
moi, à faire taire toutes ces railleries sur cet homme de Dieu.
- Ces malheureux voulaient peut-être simplement
faire un peu d’esprit sans penser réellement à mal.
- C’est probable pour certains mais mademoiselle
Bénigne Pagé a osé parier devant toute l’assemblée qu’elle irait écouter
le prochain sermon de monsieur de Montfort à l’église Saint-Sulpice, pour
en rire ostensiblement. Elle espère, a‑t-elle affirmé, désarçonner l’orateur et
lui couper “le fil du discours” !
- Mon Dieu ! Quelle sottise et quelle
impertinence ! Ma chère amie, j’ai une idée. Puisque le saint homme prêche
avec tant de ferveur la puissance du chapelet, prions-le et encourageons nos
proches à le dire dans cette intention : Que cette triste farce
tourne à la Gloire de Dieu et de Notre-Dame !
- Vous avez raison ! Prions…
Huit jours après, Mademoiselle Pagé, fille d’un des
plus importants fonctionnaires des finances de la ville de la Rochelle,
entrait, en grande toilette, à l’église Saint-Sulpice, pour y suivre
l’office dirigé par Monsieur de Montfort. Plusieurs de ses amis mondains
l’accompagnaient. Elle se plaça bien en vue, au milieu de l’assistance,
directement sous les yeux du missionnaire. La jeune femme espérait bien être
apostrophée par le prédicateur. Ce serait l’occasion rêvée de se moquer
publiquement de ce prêtre bien trop sévère, à ses yeux. Mais le
missionnaire ne tomba pas dans le piège. Il jeta juste un regard de compassion
sur la jeune mondaine puis se tournant vers le Saint-Sacrement, il fit une
courte prière et commença son sermon.
Les paroles qu’il dit alors furent si belles que
l’émotion gagna peu à peu tout l’auditoire. Même les curieux étaient
captivés. Les grandes dames de la belle société ne retenaient plus leurs larmes
et la jeune fille frondeuse, qui croyait rire et faire rire, se mit, elle
aussi, à pleurer au premier rang sans aucun respect humain !
Après l’office, elle resta prier longtemps dans
l’église. Quand, enfin, elle quitta l’église, elle avertit ses amis qui
l’attendaient avec impatience qu’elle avait décidé de changer de vie !
Ceux-ci furent atterrés par la nouvelle. Elle se dirigea tout droit vers la
maison du saint prêtre. Elle lui parla plus de deux heures. Le soir même, sa
résolution était prise. Il lui fallait quitter le monde. La nuit même elle
prépara ses affaires et le lendemain elle se présenta au monastère des
Clarisses pour y faire une retraite. Celle-ci se termina par une bonne
confession. Ensuite, au grand étonnement de la supérieure, mademoiselle Pagé
lui demanda la faveur d’être admise dans la communauté.
Sa vocation semblait sérieuse. Elle fut donc
acceptée avec joie. A La Rochelle, cette nouvelle fit grand bruit. La
famille de la jeune fille ne pouvait comprendre se changement si brutal !
Certains de ses amis parlèrent même de brûler le couvent des Clarisses. Bénigne
Pagé, devenue sœur Saint-Louis, resta inébranlable et fit comprendre à ses
proches qu’elle avait trouvé au couvent le vrai bonheur.
Dans toute la région on parla longtemps de la belle
victoire obtenue par le prêtre “au long chapelet” ! Mais lui ne s’en soucia
guère, il continua, humblement, à sillonner les routes de Bretagne et
à chanter avec ardeur la grande et belle dévotion au Rosaire !
Par l’Ave maria
Le péché se détruira,
Par l’ave Maria
Le grand Jésus régnera.
Verax
Sources : Saint
Louis-Marie Grignion de Monfort, Louis Le Crom, éditions Clovis, 2003.
https://www.maintenantunehistoire.fr/par-lave-maria-le-grand-jesus-regnera/
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