mercredi 28 avril 2021

« Par l’Ave Maria, le grand Jésus règnera ! »

| Ouvrage : Le Courrier des Croisés .

Temps de lecture : 8 minutes

- Oh ! Bonjour, chère amie ! Comme je suis contente de vous rencontrer ! Comment allez-vous ?

- Beaucoup mieux que les jours précédents ! Le docteur de Révot m’a donné un remède formidable. Mes maux de tête ont disparu, comme par enchantement ! Me voilà en pleine forme !

- Quelle merveilleuse nouvelle ! J’ai bien regretté votre absence, l’autre jour, au dîner organisé par la famille Pagé.

- Comment donc c’est passé cette fameuse soirée ?

- Ma foi, je n’ai pas fort apprécié la fête. Figurez-vous que mademoiselle Pagé et plusieurs de ses amis en sont venus à parler du brave Monsieur de Montfort. Sans aucune charité, ils se sont mis à le critiquer, à le ridiculiser…

- Comment ? Ils se sont moqué d’un prêtre si dévot ? Mais pour quel motif ?

- Oh ! Ce n’est pas compliqué ! Vous savez comme moi, le bien que fait ce saint prêtre dans toute la région. Il secoue tellement les âmes que beaucoup se convertissent et changent de vie. Il n’a pas peur de dire les choses.

Dernièrement, il a même osé critiquer la toilette d’une jeune demoiselle en plein sermon. La mère de celle-ci était tellement furieuse que lorsque le bon père est sorti de l’église, la dame, en furie, s’est jeté sur lui et lui a donné plusieurs coups de canne. Le bon Monsieur de Montfort n’a même pas essayé de se défendre, il a simplement attendu que la tempête se calme. Puis il a dit, avec beaucoup de douceur : « Madame, j’ai fait mon devoir ; il fallait que votre fille fasse le sien ! ». Je pense que les solides leçons de ce saint homme dérange la mentalité de mademoiselle Pagé et de ses amis !

- C’est évident ! Pourtant tout ce que l’on raconte sur Monsieur de Montfort devrait les faire réfléchir ! Pour moi, mon opinion est faite, c’est un saint ! Il suffit de suivre une de ses missions pour en être convaincue ! Vous souvenez-vous de celle qu’il a prêché dans l’église des dominicains l’an dernier ?

- Oh oui ! Pour rien au monde je ne l’aurai manqué ! L’église était bondée, nous étions bien trois mille femmes à l’écouter… Je ne peux oublier la façon dont il nous parla du rosaire ! Et son amour pour Notre-Dame…

- Vous a‑t-on raconté dans quelle circonstance le bon père Grignion de Montfort a pu prêcher une mission sur l’île d’Yeu, dernièrement ?

- Non ! Racontez moi…

-Eh bien, voici ce qu’un ami de mon frère, marin de Saint-Gilles, nous a raconté… Écoutez-moi, c’est assez édifiant…

Monsieur de Montfort avait décidé de partir évangéliser l’île d’Yeu. La chose était périlleuse car des corsaires anglais, en ce début d’année 1712, infestaient les parages. Arrivé aux Sables‑d’Olonne, le missionnaire chercha un patron de chaloupe prêt à le mener sur l’île. Personne ne voulut l’y conduire. Mais cela ne le découragea nullement. Il prit le chemin d’un autre port breton : Saint-Gilles. Là aussi, les matelots refusèrent de le passer. Le prêtre ne se tint pas pour vaincu. Avant repartir vers La Rochelle, il pria avec grande ferveur le rosaire, puis fit une dernière tentative. Il retourna voir le patron de la plus grande chaloupe du port, lui promit, au nom du Ciel, que le voyage se passerait sans problème puis le supplia tellement que le brave capitaine finit pas accepter.

Le lendemain, le père Grignion de Montfort embarquait joyeusement avec les hommes d’équipage. Ils étaient à peine à trois lieues en mer quand ils aperçurent deux vaisseaux corsaires approcher de l’embarcation à toutes voiles. Le bateau breton avait le vent contraire et n’avançait qu’à la force des rames !

Les matelots s’écrièrent, terrifiés : « Nous sommes pris ! nous sommes pris ! » Pendant ce temps, Monsieur de Montfort chantait des cantiques, paisiblement, et invitait ses compagnons d’infortune à faire de même, mais les pauvres marins, angoissés, gardaient le silence.

« Puisque vous ne pouvez pas chanter, récitons donc tous ensemble notre chapelet. Notre-Dame nous protège, mes amis ! » s’écria le prêtre. Répondant à cette invitation, les pauvres matelots se mirent à prier avec ferveur. Quand le chapelet fut fini, Monsieur de Montfort rassura ses compagnons d’infortune : « Nous n’avons plus rien à craindre. La sainte Vierge nous a exaucés, nous sommes hors de danger ». Alors qu’il affirmait cela, leur bateau se trouvait déjà à portée des canons des vaisseaux ennemis ! Un des mousses s’écria :

- « Hors de danger ? Mais regardez !!! L’ennemi est sur nous prêt à fondre sur notre barque. Préparons-nous plutôt à faire le voyage en Angleterre et à pourrir dans l’une de leurs prison !

Alors Monsieur de Montfort lui répliqua :

- « Ayez de la foi, mes amis, les vents vont changer. »

Effectivement, la chose arriva, comme il l’avait prédit. Tout à coup, les matelots virent les vaisseaux ennemis virer de bord et, les vents ayant complètement changés de direction, les embarcations s’éloignèrent les unes des autres. Sur le bateau français, l’équipage reprit espoir. Bientôt tous se mirent à chanter de bon cœur le Magnificat en action de grâces ! A leur arrivée sur l’île d’Yeu, les marins furent reçus en triomphe.

- On l’imagine bien ! Quel beau récit, ma chère amie, et comme vous le contez avec talent ! Je regrette bien que vous ne fussiez pas à la fête chez les Pagé. Vous auriez réussi, mieux que moi, à faire taire toutes ces railleries sur cet homme de Dieu.

- Ces malheureux voulaient peut-être simplement faire un peu d’esprit sans penser réellement à mal.

- C’est probable pour certains mais mademoiselle Bénigne Pagé a osé parier devant toute l’assemblée qu’elle irait écouter le prochain sermon de monsieur de Montfort à l’église Saint-Sulpice, pour en rire ostensiblement. Elle espère, a‑t-elle affirmé, désarçonner l’orateur et lui couper “le fil du discours” !

- Mon Dieu ! Quelle sottise et quelle impertinence ! Ma chère amie, j’ai une idée. Puisque le saint homme prêche avec tant de ferveur la puissance du chapelet, prions-le et encourageons nos proches à le dire dans cette intention : Que cette triste farce tourne à la Gloire de Dieu et de Notre-Dame !

- Vous avez raison ! Prions…

Huit jours après, Mademoiselle Pagé, fille d’un des plus importants fonctionnaires des finances de la ville de la Rochelle, entrait, en grande toilette, à l’église Saint-Sulpice, pour y suivre l’office dirigé par Monsieur de Montfort. Plusieurs de ses amis mondains l’accompagnaient. Elle se plaça bien en vue, au milieu de l’assistance, directement sous les yeux du missionnaire. La jeune femme espérait bien être apostrophée par le prédicateur. Ce serait l’occasion rêvée de se moquer publiquement de ce prêtre bien trop sévère, à ses yeux. Mais le missionnaire ne tomba pas dans le piège. Il jeta juste un regard de compassion sur la jeune mondaine puis se tournant vers le Saint-Sacrement, il fit une courte prière et commença son sermon.

Les paroles qu’il dit alors furent si belles que l’émotion gagna peu à peu tout l’auditoire. Même les curieux étaient captivés. Les grandes dames de la belle société ne retenaient plus leurs larmes et la jeune fille frondeuse, qui croyait rire et faire rire, se mit, elle aussi, à pleurer au premier rang sans aucun respect humain !

Après l’office, elle resta prier longtemps dans l’église. Quand, enfin, elle quitta l’église, elle avertit ses amis qui l’attendaient avec impatience qu’elle avait décidé de changer de vie ! Ceux-ci furent atterrés par la nouvelle. Elle se dirigea tout droit vers la maison du saint prêtre. Elle lui parla plus de deux heures. Le soir même, sa résolution était prise. Il lui fallait quitter le monde. La nuit même elle prépara ses affaires et le lendemain elle se présenta au monastère des Clarisses pour y faire une retraite. Celle-ci se termina par une bonne confession. Ensuite, au grand étonnement de la supérieure, mademoiselle Pagé lui demanda la faveur d’être admise dans la communauté.

Sa vocation semblait sérieuse. Elle fut donc acceptée avec joie. A La Rochelle, cette nouvelle fit grand bruit. La famille de la jeune fille ne pouvait comprendre se changement si brutal ! Certains de ses amis parlèrent même de brûler le couvent des Clarisses. Bénigne Pagé, devenue sœur Saint-Louis, resta inébranlable et fit comprendre à ses proches qu’elle avait trouvé au couvent le vrai bonheur.

Dans toute la région on parla longtemps de la belle victoire obtenue par le prêtre “au long chapelet” ! Mais lui ne s’en soucia guère, il continua, humblement, à sillonner les routes de Bretagne et à chanter avec ardeur la grande et belle dévotion au Rosaire !

Par l’Ave maria
Le péché se détruira,
Par l’ave Maria
Le grand Jésus régnera.

Verax

Sources : Saint Louis-Marie Grignion de Monfort, Louis Le Crom, éditions Clovis, 2003.

https://www.maintenantunehistoire.fr/par-lave-maria-le-grand-jesus-regnera/

Aucun commentaire: