“Donner quand on n’a plus rien, attitude folle ou de sérénité, attitude de foi, fécondée par le don sans réserve.”
Sommes –nous assez fous ?
Peut-être connaissez-vous ce
conte dont je me suis rappelé en méditant les textes de ce jour.
C’est l’histoire d’un pauvre
mendiant qui rencontre le cortège rutilant du roi. En le voyant,
il pense que c’est son jour de chance. Alors, il tend la main vers le char en
or. A sa grande surprise, le roi lui demande : Qu’as-tu à me donner ? Le
mendiant déçu cherche au fond de son sac quelques grains de blé et il en donne
un au roi. A la fin de la journée, le mendiant fait ses comptes. Et dans ses
pauvres grains, il en trouve un en or et se dit en pleurant qu’il aurait du
tout donner.
Les textes de ce dimanche nous
parlent de deux veuves, celle de Sarepta, c’est à une pauvre veuve qu’Elie fait appel en
cette période de famine. Contrairement au mendiant, elle donne tout le peu dont
elle dispose. Et c’est avec ce peu que le Seigneur a réalisé de grandes choses.
Sa farine et son huile ne s’épuisèrent pas. Pour nous chrétiens, cette veuve est le visage de la foi qui
partage.
Et la veuve de Jérusalem, une pauvre veuve qui dépose « deux petites pièces de
monnaie ».
Personne ne l’a remarquée. Mais sans le savoir, elle a attiré l’attention de
Jésus qui sait
découvrir les beautés cachées au fond des cœurs. Le regard de Dieu voit mieux que nous ce qu’il y a dans le cœur de
chacun. Cette veuve n’a rien mais elle donne tout : elle a mis tout ce
qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. C’est à Dieu
qu’elle donne tout. C’est en lui qu’elle met toute sa confiance. Oui, heureux les
pauvres de cœur, ils sont proclamés heureux, non à cause de leur misère,
mais parce que le Royaume des cieux est à eux. Le Royaume commence avec les femmes et les hommes qui
ouvrent leur cœur et leurs mains, qui les tendent et qui offrent. « Tant
qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné ».
Ces deux femmes qui n’ont plus
rien savent encore donner. Leur attitude n’est pas guidée par des soucis
d’assurance, de sécurité. Elles font un don sans calcul, grande est leur
foi ! Folle
attitude au regard de nos logiques de sécurité et d’assurance. Attitude de foi, de confiance à travers
leur don sans réserve. Attitude semblable à celle de Jésus qui s’est
dessaisi de tout pour se donner à tous.
Puissions-nous comprendre, avec
le cœur, le message de ces deux femmes et tout particulièrement celui de la
veuve donnant son obole au temple de Jérusalem. Elle sait déjà que Dieu ne l’abandonnera pas. Cette femme qui
donne toute sa vie, tout ce qu’elle a pour vivre, elle est l’icône d’une générosité
extrême et désintéressée, elle est l’icône même de Dieu. Oui, avons-nous
remarqué qu’elle est une des plus belles images de Jésus ? Elle rejette
nos calculs du nécessaire, sa foi exorcise nos peurs de manquer,
toutes ces attitudes très humaines : demain aurais-je encore ma
place ? Une retraite suffisante ? Et qu’est-ce ce qui va me tomber
dessus : un accident, une maladie grave ? Autant de pensées qui ne
sont pas de la bonne terre pour cultiver notre générosité. La veuve, elle, met toute sa
confiance en Dieu qui est tout amour. Lui, Il n’a pas calculé. Il a
tout donné : « de riche qu’Il était, Dieu s’est fait pauvre pour
nous enrichir de sa pauvreté », nous rappelle saint
Paul. Son dépouillement est semblable à
celui du Christ livrant sa vie. Au lieu de donner ses ultimes ressources, Jésus
s’offrira Lui-même pour enlever les péchés de la multitude. Il a tout donné
jusqu’au bout sur la croix. Et il continue à se donner pour chacun de nous. La lettre aux
Hébreux, que nous venons d’entendre, nous rappelle que la passion
du Christ a changé l’histoire. En Lui, tous les hommes sont sauvés.
Cet évangile de la veuve nous
provoque surtout à réviser le critère de notre générosité : ce qui prime,
ce n’est pas la quantité de ce que nous donnons, mais le dépouillement effectif
de ce à quoi nous tenons le plus. En donnant, nous avons parfois l’impression
de perdre, même de nous perdre. Donner c’est gagner pour la Vie !
Le Seigneur souhaite que nous
soyons ainsi devant Lui. Il
attend de nous que nous donnions le meilleur de nous-mêmes pour chacun de ceux
que la vie nous fait rencontrer. C’est ainsi que Jésus a donné Sa vie.
Nous ne pouvons pas nous contenter de belles paroles. Le Seigneur attend de
nous que nous mettions notre vie en accord avec l’amour qui est en Lui. Ce qui fait la valeur d’une vie, c’est
notre amour de tous les jours pour tous ceux et celles qui nous entourent,
c’est de vivre cette logique de l’amour, tout donnés aux autres, tout
donnés à Dieu.
Peut-être pouvons-nous nous interroger sur la façon dont
nous donnons, dont nous vivons notre relation à Dieu ou aux autres :
est-ce dans l’élan de l’amour ou dans le retour sur nous-mêmes ? Le
paraître, le semblant, l’hypocrisie défigurent la beauté du visage de l’homme
abîmant dans le même mouvement l’image de Dieu. Au fond, nous le savons bien,
ce qui nous fait vraiment vivre, nous autres chrétiens aujourd’hui, ce ne sont
pas d’abord nos habitudes, nos rôles, nos petits pouvoirs, ni même nos plus ou
moins grandes sécurités, c’est notre capacité à être témoins de l’amour de Dieu, notre capacité
à tout miser, dans la confiance en Son amour. Une porte ouverte, une
main tendue, une oreille qui écoute, une parole qui relève sont autant de
signes de l’amour de Dieu.
Que l’Esprit nous apprenne, chaque jour, que le secret de Jésus
consiste à perdre sa vie en la donnant. Tant que notre foi flirtera avec nos
peurs, nous resterons dans des générosités très, très sages. Sommes-nous assez fous ? Sommes-nous
prêts à dire, de toute notre foi, avec ceux qui transforment le monde
secrètement en donnant, non pas le trop plein de leur superflu, mais un peu de
ce qu’ils sont, dans leur totale confiance : « Notre Père, donne
nous notre pain de ce jour.. » ?
Homélie Francis Corbière
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