Texte
de Janine Boutry, poète, artiste peintre.
Dans
un tout petit village, perdu au milieu d’une immense forêt, vivait un petit
garçon prénommé Jean-Jean. Il était le dernier de huit enfants, et tous les
huit étaient des garçons. Il y avait avant-lui Jean-Pierre, Jean-Marie,
Jean-Paul, Jean-Marc, Jean-Christophe, Jean-Michel et Jean-François.
Depuis
des générations et des générations, dans cette famille- là, tous, sans
exception aucune, portaient un prénom dérivé de Jean.
Mais
voilà, lorsque sa naissance s’annonça, les parents de Jean-Jean se trouvèrent à
court d’imagination, et décidèrent de l’appeler tout simplement Jean-Jean.
Jean-Jean,
Jean-Jean....... se répétait-il depuis sa plus tendre enfance, et cela
résonnait à ses oreilles comme un vulgaire diminutif, du genre de Zou-Zou ou
Fi-Fi.
Et
cela lui rendait le cœur lourd, lourd…..
Chacun
de ses frères possédait une particularité qui le rendait unique et différent
des autres : Jean-Pierre était le plus fort, Jean-Marie était le plus beau,
Jean-Paul le plus intelligent…….. Jean-Jean, lui, n’avait aucun don, aucune
qualité spéciale, il était seulement le p’tit Jean-Jean, dont personne ne se
souciait vraiment.
Alors
il se faisait tout petit, si petit qu'on en oubliait sa présence.
Un
jour, occupé à jouer sous la table du salon, il surprit une conversation entre
ses parents.
«
Dis-moi, commença la mère, tous nos enfants semblent nés sous une bonne étoile.
Chacun
paraît doué pour une vocation spéciale.
Il
n’y a que note pauvre Jean-Jean !
Il
ne semble révéler aucun talent personnel.
Qu'allons-nous
bien pouvoir en faire ? » à ces mots Jean-Jean tressaillit.
Ce
qu'il pressentait depuis si longtemps se concrétisait dans ces quelques
phrases.
Sans
doute n’était-il bon à rien !
La
sentence tomba comme une malédiction.
Mais
le père répondit :
«
Aie confiance, ma femme, un jour verra, son tour viendra. »
Jean-Jean
reçut ce message d’une manière énigmatique.
Pourtant,
sans bien en comprendre le sens, il savait que cela était bon.
L’angoisse
jaillissante s’était éteinte comme par enchantement.
Par
ces mots magiques, le père avait calmé les tourments de sa femme,
Mais
aussi de son fils.
Et
le fils se répétait inlassablement ces quelques mots :
Un
jour verra, son tour viendra, Un jour verra, son tour viendra, Un jour verra,
son tour viendra…..
Depuis
qu'il avait entendu cette phrase insolite, la vie de Jean-Jean en avait été
changée.
Jean-Jean
regardait venir chaque jour d’une manière spéciale, comme si à tout moment sa
destinée allait enfin se retourner, et l’entraîner dans un avenir bénéfique.
Les
jours passèrent pourtant, en tous points semblables.
Jean-Jean
espérait, mais rien n’arrivait.
Au
bout de plusieurs longues semaines,
Jean-Jean
ne se souvenait plus du tout de la phrase étonnante.
Et
c’est là, au moment où il s’y attendait le moins, qu'il fit une étrange
rencontre.
Et
c’est là, au moment où il s’y attendait le moins, qu'il fit une étrange
rencontre.
Par
une morne après-midi, pour tromper son ennui,
Jean-Jean
se rendit dans la forêt.
«
Oh-là ! » cria soudain un homme derrière lui.
Jean-Jean
se retourna, étonné de rencontrer un étranger par ici.
«
Vous m’avez appelé ? » répondit-il avec quelque inquiétude.
«
Oui, toi, attends-moi » lui cria l’homme, tout essoufflé.
Jean-Jean
hésita un instant, mais la proximité du village le rassura.
Il
s’arrêta pour permettre au voyageur de le rejoindre.
« Tu
es bien aimable » lui dit l’homme, en s’étouffant dans sa barbe.
Maintenant
qu'il s’était approché, Jean-Jean détaillait son nouveau compagnon.
Plutôt
petit, légèrement voûté, il se déplaçait lentement.
Il
s’appuyait sur un solide bâton qu’il tenait de sa main droite, tandis qu’à la
main gauche il portait une lanterne.
«
Comment t’appelles-tu, mon garçon ? » demanda l’homme.
Jean-Jean
devint rouge comme une citrouille trop mûre : il aurait voulu disparaître
plutôt que de répondre à cette question-là.
« Et
bien, aurais-tu perdu ta langue ? » reprit l’inconnu.
Les
prénoms défilaient comme une litanie infinie.
Jean-Jean
en avait le tournis.
Soudain,
comme un automate, il répondit :
«
C’est ça, oui, c’est ça.
C’est
ça, oui, mais lequel ?
Pierre-Aimé
» répondit Jean-Jean.
Le
vieil homme eu un air étonné et dit :
« Un
bien joli prénom que celui-là. »
Jean-Jean
acquiesça en hochant la tête,
Ravi
de recevoir un si beau compliment.
Puis
il se ressaisit, de peur que l’homme ne découvre la supercherie, et dit :
«
Euh…Et vous, comment vous appelez-vous ? »
« Je
m’appelle Jean » dit l’homme.
Drôle
de surprise pour Jean-Jean.
Il
réussit pourtant à bafouiller quelques mots.
« Et
vous venez de loin ?
Je
viens de nulle part et de partout.
En
fait, je vis un jour ici, un jour- là.
Un
jour verra.
Je
vais où le devoir m’appelle.
Ah
bon » dit Jean-Jean, quelque peu étonné, pendant que les mots continuaient à résonner
dans sa tête :
« Un
jour ici, un jour là…………..un jour verra… »
Tout
ricochait sur un air de déjà entendu.
Pourtant
il parvint à articuler :
«
Mais quel est votre devoir ?
-Je
suis le passeur de lumière.
Ton
tour viendra…dit l’homme.
- Le
passeur de lumière ? » Répéta Jean-Jean incrédule.
«
Mon tour viendra… ? » dit-il de plus en plus surpris.
Puis
il aperçut de nouveau la lanterne.
«
Alors la lanterne, c’est pour ça ?
En
quelque sorte, répondit l’homme, parce que les hommes ont besoin de symboles.
Mais
la lumière dont je parle…
-
Elle est cachée dans le cœur, répliqua Jean-Jean, elle est là dans le cœur et
tu la fais jaillir. »
Jean-Jean
était interloqué, il avait parlé sans savoir !
Et
les mots s’étaient imposés sans qu’il sache comment ni pourquoi.
«
C’est exactement ça.
Tu
es donc bien celui que je cherche. »
Jean-Jean
était abasourdi.
Il
comprenait sans comprendre.
Il
savait sans avoir appris.
Il
savait que c’était un moment unique.
Comme
un rendez-vous d’amour avec lui-même.
Il
s’agenouilla aux pieds de l’homme et demanda : « Apprenez-moi ».
L’homme
s’assit près de lui.
D’un
geste digne et doux, il releva la tête de l’enfant et la tourna vers lui.
«
Comment t’appelles-tu ? »
Les
yeux de Jean-Jean se mouillèrent de larmes.
Entre
deux sanglots il parvint à articuler :
«
Jean-Jean, c’est moi Jean-Jean.
-Pourquoi
vouloir fuir ton prénom ?
-Je…je
croyais que je n’étais rien.
-Jean-Jean,
c’est tellement...Unique, coupa l’homme.
Unique
comme toi, comme chacun.
Car
chaque homme a une destinée unique et remarquable.
Le
rôle du passeur de lumière est de révéler à lui-même celui qui a perdu sa foi
en lui. »
Jean-Jean
buvait ses paroles.
Il
savait que l’homme disait vrai.
Pour
la première fois il naissait à lui-même.
Il
devenait celui qu’il avait refusé d’être : Jean-Jean.
L’homme
reprit :
«
Jean-Jean, un jour verra, ton tour viendra.
Toi,
deux fois Jean, tu seras le prochain passeur de lumière.
Telle
est ta destinée.
Le
veux-tu ? »
Les
yeux de Jean-Jean brillèrent d’une intensité nouvelle.
L’immensité
de l’espace se refléta dans son regard.
Il
regarda l’homme, toucha le bâton et caressa la lanterne.
Son
visage s’éclaira d’un rayonnement merveilleux et il répondit :
«
Oui, je le veux. »
Je
le veux !
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