samedi 8 février 2020

Prédication : C’est vous qui êtes le sel de la terre Matthieu 5, 13-16 histoire


C’est une histoire que je vais vous raconter. Une histoire qui aurait pu arriver, dans laquelle deux jeunes gens, Mathias et Judith, vont faire une expérience du Christ, une expérience que n’importe qui pourrait faire.
Mathias et Judith se lancèrent un coup d’œil et se mirent à courir en même temps. Ils avaient vu un tas de gens partir sur la route, et ils s’étaient dit qu’il pouvait y avoir des choses intéressantes, des choses qui les changeraient de leur ordinaire.
 Mathias travaillait déjà avec son père, le pêcheur. Il ne faisait pas encore toutes les sorties de nuit avec lui pour attraper le poisson qui leur permettait de vivre. Mais il fallait qu’il soit là au petit matin pour accueillir le bateau. Il devait alors aider à débarquer les paniers pleins, à les installer pour la vente ; et puis, il réparait les filets.
 Dans l’agitation générale, il s’était échappé, non sans avoir fait signe à son amie de toujours. Judith avait le même âge que lui, 12 ans. Elle était déjà une ménagère accomplie ; elle savait cuisiner, filer la laine, tisser des étoffes pour des vêtements, ou bien même des tapis. C’est elle aussi qui allait chercher l’eau au puits. Mathias et Judith étaient nés le même jour, et cela les liait ; mais ils avaient aussi bien d’autres choses en commun. Des idées, des sensibilités ; ils riaient des mêmes choses ; ils se faisaient des petits cadeaux, et étaient vraiment très complices. Une vraie belle amitié.
Ils coururent donc à perdre haleine, et rejoignirent la foule qui s’était installée sur l’herbe, sur le flanc de la colline. Ils reprirent leur souffle doucement. L’homme que la foule avait suivi regardait tout ce monde. Le silence se fit. Mathias et Judith n’avaient plus le choix. S’ils voulaient communiquer, ils devaient uniquement faire des mouvements de lèvres et des gestes ; et encore, de façon discrète, pour ne pas trop se faire remarquer. Il s’appelait Jésus, l’homme qui réussissait à faire taire la foule et qui parlait. Mathias et Judith n’avaient pas écouté le début de son discours, tout à leur joie d’avoir réussi ce tour pendable de s’échapper ensemble de la maison et de leurs tâches quotidiennes, et de se fondre dans la foule. Une fois calmés les battements de leurs cœurs, ils entendirent la voix forte qui disait : « c’est vous, qui êtes le sel de la terre, et s’il perd son goût comment le rendre de nouveau salé ?». Ben oui, évidemment, si le sel n’est plus salé, c’est fini. On ne peut plus en faire du sel. Un clin d’œil suffit aux deux amis pour éclater de rire. Ce qui fait que lorsqu’il fut question d’une lampe à mettre sous un seau, ils se tinrent les côtes et pouffèrent sans plus pouvoir s’arrêter. Un de ces fous rires qu’on aime piquer à 12 ans. Jésus parla longtemps encore. Mais il les avait perdus. Ils gloussaient tellement, qu’à la fin, ils en avaient les larmes aux yeux. Jésus fit une pause dans son discours. C’est à ce moment que Mathias se sentit soulevé par l’arrière de sa tunique, et secoué comme un petit chat par sa mère. Son père se tenait derrière lui ; il lui dit fermement à l’oreille : « bon, mon petit coco, puisque c’est comme ça, tu vas m’accompagner, et ta copine aussi. Nous allons chez Jésus, et vous allez lui expliquer ce que vous trouvez de si drôle à ce qu’il vient de nous dire. » Si le ciel était tombé sur la tête de Mathias et Judith ils n’auraient pas été plus bouleversés. C’est donc un mini cortège qui fendit la foule et se dirigea vers Jésus. - Je t’amène deux lascars qui ont eu un énorme fou rire pendant que tu parlais. Ce serait peut-être intéressant que tu leur dises ta façon de penser et que tu les remettes à leur place. Des vauriens je te dis !
Jésus regarda Mathias et Judith d’un air amusé. Les deux n’en menaient pas large et étaient convaincus qu’ils allaient se prendre une rouste.
 - Qu’est-ce qui vous a fait rire comme cela ? Mathias regarda Judith par en-dessous, espérant que le fou rire ne les reprendrait pas. L’heure était grave.
- Enfin, tu vois, du sel pas salé, resaler du sel… Et puis mettre une lampe sous un seau. Vraiment, tu vois l’image ? Enfin, on trouvait ça très drôle… Les deux regardaient la pointe de leurs pieds avec beaucoup d’attention, comme si elle allait pouvoir les tirer de ce mauvais pas.
 - Mais moi aussi je trouve ça très très drôle. C’est même ridicule ! Je m’étonne d’ailleurs que personne d’autre n’ait ri. Parfois, les adultes ont perdu le sens de l’humour. Finalement c’est vous le sel de la terre ! Pour le coup, Mathias et Judith ne savaient plus sur quel pied danser. Ils s’étaient fait allumer par le père de Mathias qui les avait traînés jusque chez Jésus, et celui-ci leur disait qu’ils avaient raison de rire, parce que ce qu’il avait dit se voulait drôle.
 - Vous êtes le sel de la terre ; c’est vous qui donnez du goût à ce monde.
 - Oh ben nous, on doit travailler pour le moment, et la fermer. On n’a pas grand-chose à dire.
 - Vous n’êtes pas encore des adultes, mais le monde n’est pas seulement fait d’adultes.
- Mais qu’est-ce que tu as voulu dire exactement avec cette histoire de sel ? Jésus sourit. Enfin quelqu’un qui lui demandait ce qu’il avait voulu dire…
 - Sans sel, on ne peut pas vivre. Le corps en a besoin. Le monde a besoin de sel. Savez-vous à quoi sert le sel ? Toi, Judith, tu dois savoir cela !
- Il sert à assaisonner ! (Judith était ravie de pouvoir étaler son savoir. Les grandes discussions d’adultes, ça la dépassait un peu.) Et puis, le sel empêche les aliments de pourrir.
 - J'étais sûr que tu savais déjà plein de choses !
- Et puis, on met du sel sur les nouveaux-nés pour les nettoyer.
- Très juste. Mais tu vois, rien que cette histoire de nourriture est très intéressante. On met du sel pour assaisonner et empêcher de pourrir. Rien ne peut remplacer le sel. On a cherché, mais le sel est unique. Et vous êtes le sel de la terre.
- Nous sommes uniques ! Fanfaronna Mathias.
 - Et vous empêchez le monde de pourrir. Vous le renouvelez ! Vous ne vous adaptez pas simplement au monde : vous avez envie de le changer, de faire en sorte que les relations avec les gens soient meilleures. Vous ne voulez pas vous contenter de ce qui s’est toujours fait.
 - Qui ? Nous ? Rien que nous ?
- Oui, vous. Mais ne vous emballez pas trop vite non plus ! Vous, et puis un certain nombre de personnes qui vous entourent : vos parents, vos voisins…
 - Oui, mais nous quand même… On en fait partie, de ceux qui sont le sel de la terre.
 - Nous sommes le sel de la terre… reprit Judith. Mais il ne faut pas non plus qu'il y ait trop de sel. Parce que tu vois, la dernière fois que j'ai fait le repas, je me suis un peu loupée. J'ai mis trop de sel. C'était immangeable, autant l'avouer.
 - Parfaitement, sourit Jésus, il faut arrêter de s'inquiéter. Dieu pourvoira de toute façon. Toujours. Judith continua de réfléchir.
- Et cette histoire de lampe qu’il ne faut pas mettre sous un seau ? Bien sûr qu’il ne faut pas mettre une lampe allumée sous un seau ! Ça tombe sous le sens !
- Tu trouves ? Combien de fois a-t-on des idées lumineuses, et on ne les met pas en pratique ? Combien de fois a-t-on envie de dire quelque chose de gentil, de positif à quelqu’un et on ne le fait pas ? Combien de fois a-t-on des mouvements de sympathie, d’affection, et on les retient ?... C’est vraiment comme si on mettait un seau sur une lampe allumée. Le Royaume de Dieu vient quand on enlève le seau, et qu’on laisse parler son cœur. Et je crois bien que vous deux, vous savez faire cela.
Mathias se retourna vers son père, avec une lueur de fierté dans les yeux. Mais il se garda bien de dire quoi que ce soit : son père avait l’air de ne plus rien comprendre. Il était venu pour que Jésus remette son fils et son amie en place, et voilà qu'il semblait ravi de leurs rires et leur insolence. Tout autre rabbi aurait sorti son bâton pour remettre ces jeunes en place, et lui leur disait qu'ils donnaient de la saveur au monde. Le père de Mathias ne s'attendait pas tout à fait à cela. Des années plus tard, Mathias et Judith devaient se souvenir de ces paroles que Jésus leur avait adressées sur cette colline de Galilée. Ils s’en souvinrent lors de leur pèlerinage à Jérusalem avec leurs parents, en cette Pâque si particulière où le prédicateur entendu dans l’herbe venait d’être exécuté. Ils s’en souvinrent lorsque des rumeurs de tombeau vide commencèrent à circuler et à agiter un petit cercle de disciples. Au fil du temps, Mathias et Judith finirent par se dire que Jésus n’était pas simplement un prédicateur un peu original, un gentil gars qui trouvait qu’on ne s’aimait pas assez les uns les autres, ou qui exhortait juste à donner le meilleur de soi-même. Alors qu’ils avaient pris au sérieux d’être sel et lumière, il leur apparut que le premier à avoir été sel et lumière, c’était lui, qui par amour était mort sur la croix, dans l’espérance d’une vie nouvelle donnée par Dieu. Et alors que résonnait encore en eux cette parole : « vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde », ils pouvaient murmurer « oui, mais avec toi, à ta suite, pour ce monde que Dieu aime tant. » Amen

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