lundi 14 février 2022

Le bon curé qui mangea des mûres

 


Un bon curé voulait aller au marché. Il fit seller sa mule, l’enfourcha et le voilà parti. On était en septembre et les haies étaient noires de mûres. Messire le curé lisait son bréviaire. Il n’était pas très loin de la ville quand il voit, débouchant sur la grand-route, un chemin creux bordé de buissons couverts de grosses mûres noires. << Ciel! Jamais, je n’ai vu de si belles mûres!>>

Il arrête sa mule devant un buisson, et se pique en voulant cueillir les plus belles, qui sont aussi les plus inaccessibles. Alors, il monte sur sa selle et se régale. La mule ne bougeait pas. Une fois rassasié, il regarde la bête dont il admire l’immobilité. <<Dieu! Se dit-il, si quelqu’un criait : Hue!>>

Il avait pensé tout haut. La monture part brusquement et le bon curé tombe dans les épines. Il lui est impossible de s’en tirer. La mule retourne au trot à son écurie.

Quand les serviteurs la voient rentrer seule, ils croient le bon curé mort et se lamentent. Ils partent en hâte pour le marché et passent près du buisson. Quand il les entend, le pauvre curé les appelle :<<OÙ allez-vous? Je suis ici. Haïe! Haïe! Que je souffre. Les ronces et les épines m’entrent dans la chair, j’en ai le dos tout en sang.>>

<<Oh! Messire le curé! Qui vous a juché là-haut?>>

<<Qui? Mes amis! C’est le péché. Ce matin, passant par ici, j’allais lisant mon bréviaire, quand, des mûres m’ont tenté. Voyez ce qui m’est arrivé. Le buisson m’a agrippé. Aidez-moi à m’en sortir. Ah! Je ne demande qu’une chose, c’est de retourner chez moi et de me coucher.>>

Moralité : Point n’est prudent de dire trop vite sa pensée; il en résulte maints désagréments et moults humiliations.

(Un fabliau du Moyen Âge)

Le Messager de Saint-Antoine octobre 2021

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