lundi 7 octobre 2019

Et maintenant une histoire ! Si j’étais millionnaire ! Auteur : Hunermann, Père Guillaume


« Aujourd’hui vous allez faire une rédaction », dit le maître en classe de Sixième. « Prenez vos cahiers et écrivez : Ce que je ferais si j’étais millionnaire. »
Oh ! Pour une fois, c’était un sujet formidable, et les enfants se mirent au travail avec enthousiasme. Les plumes grinçaient avec zèle sur le papier, et çà et là, un garçon ou une fillette rêvait, le bout du porte-plume entre les dents, avant de continuer. Comme c’était intéressant de décrire ce qu’on entreprendrait si, par hasard, on gagnait un million à la loterie.
À la fin du cours, le professeur ramassa les cahiers. Rentré chez lui, il alluma sa pipe et commença à lire. Ceci, c’était la rédaction de Roger, un joyeux petit garçon à la bouche et aux yeux rieurs, et qui prenait la vie du bon côté.
« Si j’avais un million », écrivait le garçon, « je m’achèterais un magnifique chalet sur les bords du lac des Quatre-Cantons et une auto grande comme un camion de déménagement. Il me faudrait également un yacht de luxe avec un moteur. Je sillonnerais alors le lac du matin au soir, comme une flèche, et les gens nageant dans l’eau, seraient épouvantés quand je m’amuserais à les frôler. Par mauvais temps, je prendrais place dans ma voiture du tonnerre et je parcourrais à cent à l’heure, tous les cantons, et tous les gens me regarderaient et diraient : c’est Roger, le millionnaire. Voilà qui serait chic ! Comme j’aimerais être millionnaire ! »
Le professeur ferma le cahier avec un sourire, saisit le suivant qui appartenait au gros Jeannot.
« Si j’étais millionnaire, j’épouserais la cuisinière de l’hôtel de la Rose, parce qu’elle cuisine comme pas une. Il faudrait qu’elle me serve chaque jour mes mets préférés, du veau froid, en entrée, un grand plat de nouilles au gruyère, de l’oie rôtie et des fraises à la crème fouettée. Si je recevais cela tous les jours, je serais content. Je n’aurais pas d’autre désir. Ah ! si, il me faudrait encore, bien entendu, une glace aux fruits chaque jour. »
« Quel affreux gourmand », murmura le professeur, en souriant. Puis, il prit le devoir de Rosette, qui avait tendance à être coquette.
« Si j’avais un million », y lisait-on, « je m’achèterais les plus beaux vêtements, comme on en voit au cinéma. Je changerais de robe trois fois par jour, avec l’aide d’une femme de chambre, toujours comme dans les films. Et puis, je ferais moi-même du cinéma, naturellement, parce que, quand on a beaucoup d’argent, on arrive à ce que l’on veut. Je jouerais les plus beaux rôles, et les gens diraient : c’est la millionnaire, voyez comme elle joue merveilleusement bien. »
« Eh bien ! » murmura le maître, en hochant la tête « Que de rêves dans cette petite tête ». Puis venait la rédaction du petit Frédéric, le fils du forestier.
« Si je gagnais un million, je serais forestier comme mon père, car il n’y a rien de plus beau que d’être forestier, même si on est millionnaire. Mais j’achèterais alors toute la forêt, ainsi elle m’appartiendrait avec tout le gibier, et j’irais à la chasse tout seul, parce que je ne veux pas que les chasseurs du dimanche blessent le gibier. »
« Voilà qui n’est pas mal du tout, ce petit Frédéric fera son chemin », se dit le maître en lui-même. Il eut encore bien des cahiers en mains, et les châteaux en Espagne que les enfants se construisaient s’échafaudaient toujours plus haut. Enfin, il ne resta plus que le cahier de Rosine, une petite fille pauvre, dont la maman était malade. Le père était mort par accident quelques années auparavant.
« Si j’avais un million », écrivait l’enfant, « j’achèterais une petite maison avec un toit rouge et des volets verts. Et c’est là que je voudrais vivre avec ma mère, et il y aurait beaucoup de fleurs aux fenêtres. J’appellerais aussi le médecin le plus réputé auprès de ma mère, afin qu’il la guérisse. Je ne désirerais rien de plus pour moi, parce que quand je serai grande et si maman est en bonne santé, nous gagnerons assez d’argent pour ne pas souffrir de la faim. Le reste de l’argent, je l’emploierais pour les pauvres, afin qu’eux aussi n’aient plus faim et qu’ils puissent également se soigner et guérir s’ils sont malades. Ainsi, je pourrais faire beaucoup de bien, car, il me semble que celui qui possède un million doit aussi faire le bien et secourir les pauvres là où il peut. Voilà ce que j’aimerais réaliser, si j’étais millionnaire. »
Le lendemain, le professeur rendit les cahiers.
« Vous avez tous employé le million à des fins différentes », dit-il, tandis que les enfants dressaient l’oreille. « Certains d’entre vous ont écrit des choses réellement insensées, et il faut se réjouir sincèrement qu’ils n’aient point gagné le million à la loterie. Roger, avec son yacht, deviendrait probablement fou de vitesse et ne ferait rien de bien de toute sa vie. Il est plus sage pour lui d’apprendre un métier honorable, pour devenir un maître adroit et il sera ainsi plus utile à ses semblables que s’il était un millionnaire qui avale des kilomètres. »
Roger regarda son professeur d’un œil un peu sceptique. Tout cela ne lui semblait pas tellement vrai.
« Jeannot, lui, n’aspire qu’à la bonne chère. S’il faisait de tels festins chaque jour, il aurait vite une maladie d’estomac qui lui provoquerait d’horribles douleurs et il finirait bientôt à l’hôpital ou même au cimetière. Pour celui-là aussi, il vaut mieux qu’il ne gagne pas le million. »
Les enfants jetèrent un regard malicieux à Jeannot qui, à son tour, ne paraissait pas très convaincu par les paroles du maître.
« Rosette aimerait de beaux vêtements, devenir une élégante et embrasser la carrière de star de cinéma. C’est bien la chose la plus idiote, à mon avis. Tout mannequin de mode ne devient pas forcément une bonne actrice, et il vaut mieux, sans nul doute, qu’elle apprenne à cuisiner, à raccommoder et à repriser des bas. Et elle sera plus heureuse. »
Rosette baissa la tête, son joli visage tout empourpré.
« Ce qu’a écrit Frédéric, me plaît beaucoup. Il veut devenir forestier, malgré le million, et prouve son bon cœur vis-à-vis des animaux de la forêt. Je lui souhaiterais volontiers le million. Cependant, c’est Rosine qui en ferait le meilleur usage. Elle secourrait sa mère malade, et se procurerait pour elle-même une aisance modeste, donnant le reste aux pauvres. Et elle a bien raison, parce que celui qui est riche, doit faire beaucoup de bien. Et les autres n’y ont même pas pensé. Nous restons, même avec un million de fortune, les régisseurs de Dieu sur la terre. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit de penser uniquement à nous-mêmes, mais au contraire, nous devons aider notre prochain dans toute la mesure du possible. Parce que nous devrons rendre compte à Dieu de nos biens terrestres comme du reste. C’est pourquoi je souhaiterais le million à Rosine. Elle en a fait le meilleur usage dans sa rédaction.
Les enfants rentrèrent pensifs à la maison. Le maître avait raison, sans aucun doute ; c’est Rosine qui seule avait pensé qu’avec une telle somme d’argent on devait penser également à rendre heureux ses semblables. Roger, cependant, dit à son ami, le fils du forestier :
« Dis, Fredy, tu sais, je m’achèterais quand même une auto et un yacht. Je ne serais pas forcé de faire des randonnées chaque jour, et il me resterait encore assez d’argent pour les pauvres. »

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