mardi 29 octobre 2019

LE CONTE DU PRINCE DES FLEURS.


Il était une fois un Prince, un prince comme dans les contes, beau, élégant, délicat, richement vêtu — mais…
Souvent, il y a un « mais » dans les histoires — et heureusement, car s’il n’y avait pas de « mais » dans les histoires, il n’y aurait pas d’histoires du tout et la vie serait terne, pâle, ennuyeuse, — sans rires, sans joies, sans peines, sans couleurs…
Et justement, c’était ça le « mais » de l’histoire du Prince : les couleurs !
— « Écoutez… L’histoire vous dit tout : écoutez-la ! »
Ce prince vivait seul, tout seul, dans un château, bâti au milieu d’un immense domaine planté de forêts, de prairies, de clairières, de fleurs. Ce prince ; on l’appelait le Prince Tout Seul. Il vivait dans un pays désolé, sans habitants. Il habitait tout seul dans un château aux vitres opaques ; et au travers de ses vitres opaques, couleur crème de lait, il ne voyait rien du dehors.
Et comme il était seul, le Prince Tout Seul s’ennuyait, ce qui est logique finalement.
Et comme il était seul toute la journée, il s’ennuyait toute la journée…
De temps en temps, il sortait pourtant ; il allait par ses champs, ses forêts, ses étangs…
Au début, il s’était intéressé aux animaux : les écureuils, les carpes des étangs, les oiseaux, les campagnols…
Mais, au fil des saisons, il s’en était lassé — ou plutôt, il avait eu le sentiment que les animaux n’avaient pas besoin de lui. Les oiseaux s’élançaient si loin dans le ciel qu’au bout d’un moment il ne les voyait même plus. Au printemps, ils faisaient leurs nids, s’occupaient de leurs petits, les nourrissaient, les surveillaient…
Et lui ?
Les carpes allaient se réfugier au fond de l’étang pour manger et frayer.
Et lui ?
Le campagnol faisait ses provisions pour l’hiver.
Chacun avait sa vie, un but dans sa vie.
Et lui ?
Si les animaux n’avaient pas besoin de lui pour vivre alors ? — Alors, alors, alors…. ?
Évidemment, le Prince Tout Seul était très malheureux. Un jour, il était si triste qu’il s’est jeté à plat ventre dans l’herbe fleurie et a versé des flots de larmes d’argent — (hé le Prince Tout Seul était peut-être seul, mais il était très riche ; et comme il était très riche, ses larmes étaient en argent ! Normal, non ?)
Et les flots de larmes d’argent qu’il versait ont formé des ruisseaux d’argent qui se sont faufilés comme des milliers de serpents d’eau, dans l’herbe fleurie…
— Fleurie de fleurs sans couleurs.
Car les fleurs avaient perdu leurs couleurs. Elles les avaient perdues parce que — privées du monde, privées d’amour, privées d’attention — elles se sentaient inutiles. Personne ne venait les voir, les observer, les sentir. Personne ne venait respirer avec extase leurs parfums, admirer leurs robes somptueuses, goûter la fraîche rosée matinale qui brillait de mille feux sur leurs pétales multicolores, ni les cueillir pour en faire d’émouvants bouquets disant l’amour, la joie ou l’espoir.
Alors, elles s’étaient résignées et avaient fait ce constat insensé pour des fleurs : leurs couleurs ne servaient à rien ni à personne.
Et au fil du temps de la solitude, elles avaient pâli. Elles avaient tant pâli, qu’aujourd’hui, elles étaient sans couleur, uniquement vêtues de gris, de noir et de blanc.
Or, ce jour-là, les fleurs ont été réveillées par ces flots d’argent qui s’infiltraient partout. Elles ont tendu, curieuses et craintives, leurs pétales pour deviner, pour sentir, pour savoir d’où venait cette eau scintillante et douce qui chatouillait si agréablement leurs racines ; pour chercher la source !
Celles qui étaient tout près du Prince Tout Seul ont fait passer le message :
— « Hé, les filles, le Prince Tout Seul pleure… Pleure… Pleure…, ses larmes coulent, coulent, coulent. »
Et le message a suivi le cours des ruisseaux d’argent, de fleur en fleur, de prairie en bosquet, de vallon en forêt… Bien vite, chaque fleur l’a entendu. Elles se sont agitées, ont défroissé leurs corolles. L’herbe fleurie palpitait, s’émouvait.
Et dans l’herbe fleurie, les fleurs incolores retrouvaient des envies d’être jolies, fraîches et séduisantes. Alors, elles ont lancé des SOS au Prince Tout Seul. Mais enfermé dans ses larmes, le Prince n’entendait rien.
C’est alors que le soleil s’est mis de la partie. Il a brillé, brillé si fort qu’on pouvait voir ses rayons rouler dans l’herbe fleurie. Il a brillé si fort qu’il a tout asséché : le ruissellement des flots argentés et les larmes des yeux du Prince.
Le Prince Tout Seul s’est assis, a frotté ses yeux, reniflé, regardé tout autour de lui. Dans le coin de son œil, une dernière larme d’argent perlait. Elle lui allait si joliment.
L’herbe fleurie palpitait, tressaillait, s’agitait autour de lui. Il avait le sentiment singulier que l’herbe fleurie le sollicitait. Mais non seulement, il ne comprenait pas un seul mot du langage des fleurs, mais, à force de tant de solitude, il avait perdu tout sens de la communication. Il ne savait plus s’exprimer.
Alors, il est resté là, longtemps, assis, planté dans l’herbe, ne sachant que faire, ne sachant que penser.
Le soir venu, comme à son habitude, le Prince Tout Seul est rentré se réfugier dans sa chambre, derrière ses vitres opaques couleur de crème.
Mais cette nuit-là, dans son grand lit glacé, il a senti, pour la première fois dans sa longue et triste vie, naître une envie, une grande envie.
Laquelle ? Il ne le savait pas encore ; mais il avait une envie, il en était certain.
Alors, il s’est levé, il a ouvert ses fenêtres en grand. Au diable les courants d’air et les insectes nocturnes ! Il a savouré, de tout son corps, de tout son cœur, la fraîcheur douce de la nuit d’été. Et, miracle ; il a senti venir du fin fond de son royaume, de la prairie fleurie, sur les ailes du vent, une odeur douce et tendre, riche et fraîche : le parfum des fleurs…
À l’aube, il s’était endormi, un sourire enfantin sur ses lèvres.
Évidemment, le lendemain matin il a fait la grasse matinée.
Quand il est arrivé dans la prairie fleurie, sous le soleil de midi, l’herbe palpitait toujours. Maintenant, elle bruissait, comme des centaines de milliers de grillons lancés à pleine voix dans une cacophonie infernale. Au début, il était heureux d’entendre ce vacarme, là où il n’y avait hier que le triste murmure du vent solitaire. Mais, au bout d’une demi-heure, le Prince Tout Seul avait les tympans fracassés.
Alors, il a tout appris d’un seul coup : la patience, l’écoute, la persévérance, l’oubli de soi, la modestie. Pour comprendre le langage des fleurs, il a fait des efforts surhumains, et il a découvert que les voix des fleurs étaient discordantes.
Il s’est alors trouvé une mission : il devait mettre de l’ordre dans sa prairie et créer un accord parfait, mettre toutes ces voix à l’unisson et redonner de l’harmonie au peuple des Fleurs, son peuple.
C’est ainsi que le Prince Tout Seul s’est levé. Il a parcouru la prairie fleurie. Il a regardé et salué ; une à une ; toutes les fleurs, il a échangé un mot avec chacune. À la nuit tombée, il avait tout juste commencé le tour des popotes, il y avait tant et tant de fleurs. Il a passé avec elles un temps infini. Et ce faisant, le Prince Tout Seul enrichissait son vocabulaire et son cœur. Il apprenait avec application, avec passion le langage des fleurs.
Ainsi il a passé des journées entières. Pas une seule fleur n’a échappé à son attention. Il a pris soin de s’enquérir du nom de chacune, de ses goûts, et de ses couleurs.
C’est seulement une fois sa tâche achevée qu’il est rentré chez lui. Il était passé maître dans l’art de la conversation avec les fleurs. Épuisé, il a dormi pendant des jours et des nuits.
Et dans la prairie fleurie, l’attention et la courtoisie du Prince Tout Seul étaient en train de faire des merveilles !
Non seulement les fleurs retrouvaient leurs couleurs, mais aussi l’harmonie — une palette de couleurs si riche, si vive et si délicate, que le Prince Tout Seul revenant quelques jours plus tard sur le lieu de ses bienfaits… en pleura d’émotion. Larmes d’argent ou pas ; ce qui est sûr, c’est que ce n’étaient pas des larmes de crocodile ! D’autant plus que les ravissantes avaient confectionné une banderole colorée et odorante pour l’accueillir et où il était écrit : « Vive le Prince des Fleurs ! ». C’est ainsi que le Prince Tout Seul est devenu le Prince des Fleurs.
La fête dura des jours et des jours : les habitants des royaumes voisins avaient été invités. Ils étaient priés d’apporter au Prince des Fleurs de nouvelles variétés de fleurs, condition obligatoire pour faire partie de la fête. La fête fut magnifique. Et les gens, de plus en plus nombreux, se pressaient pour y assister. Si bien que la Prairie Fleurie et ses alentours abritaient les plus belles et les plus incroyables fleurs de tout l’univers ; des petites, des grandes, des rampantes, des grimpantes, des qui aiment le soleil, et d’autres se réfugiant à l’ombre des grands arbres, des bleues, des rouges, des jaunes, des violettes, et même des vertes, toutes les couleurs étaient là, sauf le blanc. « Marre du noir et blanc ! » avaient décidé les Fleurs du Prince.
Bien vite, des tas de familles vinrent s’installer dans le magnifique royaume du Prince des Fleurs. Et rapidement, le prince ne fut plus seul. Il n’était plus triste. Il était très occupé, à présent, et cela le remplissait de joie. Il était à la tête d’un royaume florissant.
Bien sûr, il trouva sa princesse ; car il ne peut y avoir de conte sans jolie princesse ; et ils eurent cinq filles : Anémone, Capucine, Violette, Rose et Véronique.
Et c’est ainsi qu’on raconte encore aujourd’hui la belle histoire du prince des fleurs




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