Il était
une fois deux vignerons.
Ils étaient voisins et profondément amis.
Ils étaient taiseux, comme souvent les gens de la terre.
Et quand
l’un avait quelque chose à dire à l’autre, il venait à lui et ses yeux
disaient : « Viens voir ! »
L’autre le suivait sans un mot, regardait la greffe, soupesait une grappe ou
humait la terre. Ils échangeaient un regard et tout était dit.
Ils
vivaient dans le silence et la lenteur de ceux qui croient en l’irrésistible
force de la terre.
A force
de silence, ils étaient devenus semblables à leurs vignes, secs et noueux comme
les sarments de leurs vignes.
Chaque
année, chacun goûtait le vin de son ami. Le vin qui est la joie de la
terre !
Et le
souvenir du bouquet unique de leur vin s’imprimait en eux…
Et ainsi
passaient les jours, les semaines, les mois et les années…
Or, il advint qu’un jour d’entre les jours, la haine et la bêtise des hommes –
on appelle cela la guerre – ont contraint ces deux amis à l’exil. Chacun
devait quitter sa terre et aller jusqu’à l’autre bout de la terre. (Quand on
doit quitter sa terre, tous les autres pays ressemblent à l’autre bout de la
terre…) Et par un décret absurde, ils ne pouvaient partir ensemble.
Au moment
de quitter leur terre, ils ont chacun emporté un sarment de leur vigne, dans
l’espoir d’aller le replanter là où ils iraient et de tout recommencer.
Au moment
de se dire adieu, seuls leurs yeux parlaient. Puis, à la dernière minute,
sans un mot, ils ont échangé leur sarment et chacun est parti avec un sarment
de la vigne de son ami.
Ils
sont allés jusqu’au bout de la terre. Ils s’y sont installés. Ils ont
replanté le sarment. Il a repris et ils ont recommencé à interroger la
terre et la terre leur a répondu. Ils ont aimé leur vigne. Ils ont
continué à vivre dans le silence et la lenteur avec cette obstination qu’ont
les gens de la terre qui croient en la puissance irrésistible de la vie.
Les
années ont passé. Sans nouvelle de l’autre. Sans aucune possibilité
de se revoir ni même de se contacter puisqu’ils n’avaient pas leurs
adresses. Mais ils n’oubliaient pas le regard de l’autre, leur longue
complicité et le bouquet de leur vin…
Or
il advint qu’un jour d’entre les jours l’un des deux a obtenu l’adresse de son
ami. Comment ? Il y a bien des mystères dans les contes et
celui-ci n’a peut-être pas d’importance.
Le
vigneron était profondément heureux. Il n’y avait qu’un moyen de
communiquer, c’était d’écrire. Mais, comment allait-il pouvoir dire à son
ami que tout était comme avant, qu’il avait replanté une vigne, que patiemment
il interrogeait la terre, que la terre lui répondait, qu’il vivait comme avant
dans le silence, la patience, la lenteur, qu’il croyait toujours en la force
irrésistible de la terre et de la vie. Et puis surtout, comment lui dire
qu’il ne l’avait pas oublié ? Comment dire tout cela alors qu’il n’y
a qu’un mot pour dire mille choses ? Je vous ai dit qu’en plus il
n’était pas vraiment ami des mots.
Pendant
des jours et des jours, il a retourné des phrases et des mots dans sa
tête. Il n’a quasiment plus mangé ni dormi.
Un
soir où le vent s’était calmé, à un moment où les odeurs du repas se
dissipaient lentement, il était là, devant une feuille de papier, en train de
mâchonner son crayon. La bougie qui grésillait un peu faisait danser les
ombres sur les murs. Tout à coup il a regardé son verre de vin. Il
l’a pris, il l’a humé longuement. Il a reconnu cette pointe de mousse et
de framboise… C’était bien le bouquet du vin de son ami.
Alors, il
a écrit sans hésiter : « Ce soir, en t’écrivant, j’ai bu du vin de ma
vigne… » Il est resté quelques instants suspendu à ses propres mots,
comme étonné, puis il a biffé un seul mot et c’est devenu : « Ce soir
en t’écrivant, j’ai bu du vin de ta vigne … » Il est resté
longtemps devant sa feuille… et c’était çà ! C’était tout à fait
çà ! Tout était dit …
Il a mis
ce feuillet sous enveloppe et il l’a envoyé à l’autre bout de la terre.
La lettre
a mis six mois pour y arriver.
L’autre
vigneron a été profondément heureux de recevoir une lettre de son ami et
immédiatement, il a voulu répondre. Lui aussi voulait dire que rien
n’avait changé (qu’il avait lui aussi replanté une vigne et qu’il croyait
toujours au silence, à la lenteur et à la force obstinée de la vie… Et puis
surtout qu’il n’avait pas non plus oublié son ami).
Alors, il
a cherché pendant huit jours, il a retourné des phrases dans sa tête. Il
en a perdu le sommeil et l’appétit. Au bout de huit jours, par un soir
calme, il était lui aussi devant sa feuille en train de mâchonner son
crayon. La bougie qui fumait un peu faisait danser au plafond des ombres
de silence. Tout à coup, il a écrit : « Ce soir, en t’écrivant,
moi aussi j’ai bu du vin de ta vigne… »
Il a
envoyé la lettre. Et la distance que la haine et la bêtise des hommes
avait creusée entre ces deux amis a été abolie.
Ils étaient voisins et profondément amis.
Ils étaient taiseux, comme souvent les gens de la terre.
L’autre le suivait sans un mot, regardait la greffe, soupesait une grappe ou humait la terre. Ils échangeaient un regard et tout était dit.
Or, il advint qu’un jour d’entre les jours, la haine et la bêtise des hommes – on appelle cela la guerre – ont contraint ces deux amis à l’exil. Chacun devait quitter sa terre et aller jusqu’à l’autre bout de la terre. (Quand on doit quitter sa terre, tous les autres pays ressemblent à l’autre bout de la terre…) Et par un décret absurde, ils ne pouvaient partir ensemble.
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