Le
bâton de Saint Joseph (Légende bretonne)
La vieille Yvonne s’assit un jour près
de son rouet et nous dit :
— Oui, mes enfants, le plus grand des
saints du paradis, c’est saint Joseph. Écoutez bien ce que je vais vous raconter,
et vous verrez si je vous ai menti.
Nous nous
approchâmes plus près encore de mère Yvonne, et elle commença :
« Personne n’aimait Joseph Mahec,
dans le pays de Kervéh qu’il habitait ; aussi vivait-il solitaire dans une
cabane délabrée. On disait que le soleil lui-même avait tellement en horreur
Joseph Mahec, que jamais il ne projetait ses joyeux rayons sur sa maisonnette
enfumée !
Un soir de mars où Joseph Mahec allait
pénétrer dans sa cabane, il se sentit tirer légèrement par le pan de son habit.
Il se retourna surpris, presque en colère, car il n’était point accoutumé
à ces manières. On le fuyait, mais on ne le touchait pas. Derrière lui
était un vieillard courbé sous le poids des années et de la misère. Des cheveux
blancs, une longue barbe, des traits vénérables prévenaient en faveur de cet
inconnu, en dépit de ses pauvres habits. Mais Joseph Mahec n’avait de pitié
pour personne. Il regarda à peine cet étranger dont le front avait
pourtant un doux rayonnement emprunté sans doute à la résignation de son
âme.
— Que me voulez-vous ?
demanda-t-il brusquement.
— Assistez-moi, dit le pauvre homme.
Mahec partit d’un grand éclat de rire.
— Est-ce que j’assiste quelqu’un, moi
?… Ne savez-vous pas que l’on m’appelle le Hibou ? Je fais du mal tant que
je peux, et jamais de bien à personne. Hors d’ici !
— Mon bon Monsieur, par pitié, dit-il,
en joignant ses mains décharnées et tremblantes. Parfois une bonne œuvre peut
assurer le salut éternel…
— Je veux la paix, à la
fin ! s’écria Mahec. Va-t-en d’ici, ou je te…
— Mon ami, pour l’amour de Saint
Joseph, dit encore le pauvre vieux, en retenant doucement le bras de Mahec.
— Ça,
c’est différent, dit celui-ci ; saint Joseph, c’est mon patron, comme
disent les dévots. J’aime ce saint-là, parce qu’au moins sa place au paradis,
il ne l’a pas gagnée en fainéant.
Joseph Mahec tendit à l’inconnu
son gros bâton noueux.
— Tenez, dit-il, de sa voix rude,
prenez ce penn-baz 1 ; vous n’avez
pas les jambes bien solides il servira à assurer votre marche, et si vous
rencontrez quelque malfaiteur, vous pourrez vous défendre contre lui.
Le vieil étranger prit le bâton ;
son regard s’éclaira d’une douce lueur et un radieux sourire vint à ses
lèvres.
— Joseph Mahec, dit-il, Dieu ne laisse
pas sans récompense un verre d’eau froide donné en son nom. Au revoir et
merci !
Plusieurs années s’écoulèrent. Joseph
Mahec mourut. Il mourut comme il avait vécu…
Il revenait à sa cabane ;
soudain ses jambes plièrent sous lui. Il voulut appeler, mais aucun son
n’arriva à ses lèvres. Par un dernier effort, un cri rauque s’échappa de
sa poitrine et ses lèvres articulèrent ces trois mots :
« O saint Joseph ! »
Joseph Mahec est transporté dans les
régions éternelles. Deux portes s’offrent à ses regards : l’une est
sombre et pleine d’horreur, l’autre étincelle des feux de mille pierreries. Le
nouveau venu s’en va frapper à la porte étincelante.
— Qui êtes-vous ? demanda le
glorieux pêcheur de Galilée, portier du Ciel.
— Joseph Mahec, répondit l’arrivant
d’une voix timide.
— Je ne vous connais pas, dit saint
Pierre.
Rejeté du paradis, Mahec n’avait
d’autre parti à prendre que de frapper à la porte sombre. Il ne
pouvait se décider… Or c’était justement le dix-neuvième jour de mars, fête de
saint Joseph, que Joseph Mahec avait été jeté de la vie dans l’éternité. Au
moment où la main de feu de Satan allait étreindre sa proie, une voix lui
dit :
— Arrière, maudit ! Et Mahec vit
la douce et placide figure d’un vieillard dont le front était ceint d’un nimbe
d’or.
— Que faites-vous là, mon ami ?
demanda le Saint à Mahec.
— Saint Pierre me refuse la porte du
paradis… alors je vais en enfer…
Le Saint présenta au malheureux
pécheur un bâton qu’il tenait à la main.
—
Reconnaissez-vous ce bâton ? demanda-t-il.
— C’est le mien, s’écria Mahec.
— Une bonne action n’est jamais
perdue. Frappez à la porte du paradis avec ce bâton et saint Pierre vous
ouvrira.
Mahec heurta de nouveau à la
porte garnie de pierreries avec son bâton, cette fois. Saint Pierre parut.
— Encore vous ? dit l’apôtre. Ne
vous ai-je pas dit qu’ici vous n’aviez pas d’amis ?
— J’ai saint Joseph, mon patron,
reprit timidement Mahec.
— Saint Joseph est absent…
Mais saint Pierre n’en dit pas
davantage. Ses yeux tombèrent sur le bâton que le nouvel arrivant tenait
à la main. Une branche de lis d’une admirable blancheur venait de s’y
attacher !
— Le bâton de saint Joseph ! s’écria saint Pierre. Entrez,
entrez, mon ami ; ici tout le monde obéit à saint Joseph, tout lui
est soumis. Entrez et jouissez du bonheur des élus.
Mahec franchit la porte étincelante,
et sa voix qui, à la dernière heure, avait su dire ce mot :
« Joseph !» se mêla à celle des Bienheureux qui, pour toute
l’éternité, répètent ses louanges.
Vous voyez, enfants, ajouta la vieille
Yvonne, en arrêtant son rouet, si j’avais raison de vous dire que saint Joseph
est le plus grand Saint du paradis. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire