Il était une fois, dans un royaume lointain, une petite
reine belle comme une montagne enneigée nimbée des rayons du soleil levant,
mais aussi imprévisible que l’éboulement d’une falaise érodée et rongée par le
gel. Un rien pouvait contrarier cette souveraine autocrate et provoquer sa
colère. Quelques sujets miséreux se plaignaient-ils de leur condition qu’elle
en faisait fi ! Tel troubadour, adepte de la satire, répandait-il ses
versets par les chemins, qu’elle imaginait les plus fins stratagèmes pour nuire
à sa réputation ! Tout contradicteur était vilipendé vertement !
Aucune réponse ne venait en écho aux questions qu’on lui posait. Invectives et
rodomontades constituaient la règle d’un règne sans partage.
Pour asseoir son pouvoir, la reine avait constitué sa
cour de matrones, choisies parmi les boutiquières de la ville pour leur
capacité à gérer un commerce. Elles devaient veiller à ce que le trésor royal
ne souffre pas trop des frasques de leur dirigeante !
Des notables, désignés pour avoir porté allégeance au
pouvoir, étaient occasionnellement conviés à participer à des assemblées, plus
ou moins utiles, au déroulement opaque, destinées essentiellement à conforter
aux yeux du peuple les décisions royales. Ils veillaient surtout à ne pas être
exclus du clan dominant ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires !
Tout ce beau monde tenait le peuple sous le joug d’une
discrimination : Les pour, les contre ! Les amis, les ennemis !
Il convenait de ne jamais contredire la reine, pas plus que les membres de la cour,
sous peine de bannissement. Plusieurs matrones furent même, dit-on, exclues du
clan pour avoir osé contester une décision ou dénoncer une vilaine
attitude ! Diviser permettant de régner, le royaume marchait droit et le
peuple filait doux !
Mais attention ! La force de l’autorité ne souffre
aucune faiblesse et la moindre faille peut occasionner l’écroulement des plus
fastueux édifices. Un jour de décembre, la gangue de cet auguste pouvoir se
fissura.
A l’approche des fêtes du solstice d’hiver, un missionnaire
se présenta à la porte cochère du château. Il était de ces hommes d’église,
mi-ermite, mi-errant, portant de maison en maison, de village en village et de
ville en ville, une parole de paix et de fraternité longuement méditée dans
l’isolement d’un lieu saint. Il livrait à chacun son message, en échange du
gîte (un coin de grange garni de foin) ou du couvert (la part du maigre brouet
destinée, sur chaque table, au pauvre de passage). La coutume voulait, à chaque
visite impromptue de ces pieux routiers, qu’une audience auprès de la reine
leur fût accordée, dans la salle du trône, en présence de la cour. C’était une
sorte de cérémonie ou chacun se soumettait au discours du prêcheur, comme pour
une forme d’expiation. C’est souvent ainsi que tout croyant se déleste du poids
de ses turpitudes !
Cette année-là, le saint homme, misérablement vêtu d’une
aube mitée et maculée de boue, chaussé de sandales au cuir râpé, de longs
cheveux grisâtres aux reflets pisseux tombant sur ses maigres épaules
dit : « La force du pardon soulage des tourments de la vengeance
inaccomplie ».
L’assemblée retint son souffle aménageant un long
silence. La reine, perplexe, une moue dubitative sur son visage chafouin
révélant un doute, se gratta la tête de ses doigts ornés de nombreuses bagues,
ce qui eut comme double effet de déplacer légèrement sa couronne sur le côté de
son opulente chevelure dorée et de générer un léger cliquetis
d’entrechoquement. Elle dit alors, la couronne de travers :
« Ouais ! Et dans notre langage à nous ça veut
dire quoi ? »
Impassible, appuyé sur la houlette au bout usé par les
cailloux des chemins qui lui faisait office de canne, le missionnaire répondit
à la reine :
« Cela veut dire, majesté, que le pardon qu’on
implore ou qu’on accorde, est facteur de sérénité et de paix sur terre ».
La reine, sa couronne de travers, interrogea du regard sa
cour et n’y trouva aucun secours. Tous, comme à l’accoutumée, regardaient
piteusement la pointe de leurs chausses. La moutarde commençant à lui monter au
nez, la reine dit alors :
« Ouais ! Et moi si je préfère que la populace
festoie, se saoule et se querelle ? J’ai une paix royale moi quand les
gueux s’embrouillent entre eux et ne se pardonnent rien… Quand ça bagarre,
j’envoie la troupe et j’embastille. Une fois dégrisés les gueux retournent à
leur misère jusqu’à la prochaine fête ! »
Le messager stupéfait :
« Majesté, comme il est écrit dans le grand livre,
il vous appartient de faire régner la concorde parmi vos sujets afin que naisse
un sentiment fraternel unissant tous les êtres dans l’harmonie et le sens
commun ».
La reine, sa couronne prête à tomber sur le côté,
rétorqua vivement :
« Ah ouais ! Et c’est marqué où qu’un échalas
pouilleux viendrait un jour me donner des leçons de morale »
Le pouilleux en question moins serein :
« Mais enfin, majesté, vous êtes soumise au respect
de la religion de nos ancêtres, les pierres dressées dans les champs, les
grands feux du solstice, les processions et les chants… Les acclamations qui
vous ont fait reine à la saint Pompont… Vous ne pouvez pas vous démettre des
règles de notre tradition ! »
La reine définitivement hors d’elle, personne n’osant
jamais lui tenir tête, explosa en une vigoureuse diatribe ce dont elle était
coutumière :
« Tradition mon cul ! Ici c’est moi qui commande
et ça sera comme ça tant que j’aurai le popotin sur le trône ! » …
Puis s’adressant à ses serviteurs : « Qu’on lui donne à manger
et à boire et qu’il aille évangéliser ailleurs ! Allez ouste ! »
L’assemblée reprit son souffle, stupéfaite, atterrée
même, réalisant qu’un tel traitement infligé à un missionnaire pouvait générer,
selon la tradition, les plus grands malheurs pour le royaume. Les notables
grondaient, les matrones se renfrognaient mais nul n’osait dire quoique ce soit
à leur souveraine craignant le déchaînement d’une nouvelle colère.
Le vieil homme jeta un regard sombre sur l’assemblée, se
retourna lentement vers la porte du château et reprit son errance, empruntant
les ruelles du bourg. On entendait, à chacun de ses pas, le frottement de ses
vieilles sandales sur le pavé et le bruit sec de son bâton de pèlerin : « Frrt,
frrt, toc… Frrt, frrt, toc…Frrt, frrt, toc… » Le son de ce pas lent hantera
longtemps les nuits des gens d’ici. Il advenait même qu’on dise aux enfants : «
Écoute ! Écoute le pas du missionnaire… Si tu n’es pas sage il t’emportera
! ».
Ainsi s’acheva ce nouveau fait consternant du au
caractère volcanique de la reine. Chacun rejoignit son foyer et s’affaira aux
préparatifs des fêtes de fin d’année. Ici, on décorait sa maison de branches de
sapin et de rameaux de houx. Là, on illuminait ses fenêtres de chandelles
ondoyantes. Le calme régna, cet hiver-là, sur la bourgade. La population, en
cette sainte période, se commuant en communauté. Les plus riches faisaient
bombance, réservant charitablement leurs restes de tables aux plus pauvres.
Le printemps s’annonça et avec lui la fête du solstice,
la saint Pompont. C’est à cette occasion qu’on acclamait le souverain du
royaume pour l’instituer (si la clameur était forte) ou pour le destituer (si
la foule bourdonnait sourdement en baissant les yeux vers le sol). Cette
année-là la clameur se fit murmure. A trop pencher la couronne tomba. La reine
dut quitter son trône et sa cour le château. Personne n’avait pardonné
l’humiliation infligé à un saint homme venu prêcher, au cœur de l’hiver,
l’harmonie et la fraternité. Il fut vengé par la destitution de la véhémente
souveraine, chacun ayant laissé bien enfouie, au plus profond de son être, la
force du pardon.
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