Muguet joli, muguet de Mai
Auteur : Alençon, M. d’ | Ouvrage : Et maintenant
une histoire II, Les fêtes civiles.
Premier Mai
Il faisait un temps affreux, ce soir-là, dans la
vallée d’Alpenrose. Dès la nuit venue, le vent était tombé des montagnes
environnantes, s’abattant avec des rafales de pluie et de grêle sur les
bâtiments du couvent.
Par bonheur, ceux-ci étaient solides, bâtis de bon
granit de la montagne ; ils avaient vu bien d’autres tempêtes mais les
hurlements du vent dans les couloirs, les sifflements dans les cheminées, le
fracas d’une ardoise ou d’une branche qui s’écrasait, étaient vraiment
impressionnants.
Récit du muguet du 1er mai. Et l’on pensait au
voyageur perdu dans la montagne, au berger attardé, au pauvre sans logis.
« Que Dieu les conduise jusqu’à la porte du couvent,
murmura le bon frère hôtelier qui, un imposant trousseau de clés à la main,
revenait de la tournée qu’il faisait chaque soir dans le monastère. Que Dieu
les conduise ici : ils trouveront chaleur, bon gîte et réconfort. »
« Quel temps ! Quel temps ! dit-il encore, est-ce un
temps de mars ? L’hiver ne veut point laisser la place… »
Et il s’attrista en pensant à son jardin — car frère
Bonaventure était jardinier en même temps qu’hôtelier du couvent. La semaine
passée, encouragé par un rayon printanier, il avait sorti de leur abri d’hiver
des fleurs, des plants que cette tempête était en train d’anéantir. Quel
malheur ! Quel malheur ! Il en avait beaucoup de peine car, grâce à ses soins
et à ses capacités, les jardins du monastère étaient magnifiques ; on venait de
loin pour les admirer…
Soudain, un violent coup de cloche à la porterie le
fit sursauter, l’arrachant à ses regrets.
« Quoi ? Serait-ce un voyageur ? »
Il se hâta de toute la vitesse de ses vieilles
jambes et, tout apitoyé à l’avance, il ouvrit la lourde porte avec des mots de
compassion et de bienvenue.
« Entrez, entrez, qui que vous soyez ; vous êtes
envoyé de Dieu, venez- vous chauffer et vous réconforter. »
Celui qui était là en avait bien besoin : trempé,
grelottant dans des vêtements usés, il semblait à bout de forces. Il se laissa
conduire près d’un grand feu, fit honneur aux mets chauds que le bon frère
Bonaventure lui servait en causant amicalement avec lui, puis s’endormit,
épuisé de fatigue, dans le lit confortable qui lui fut offert.
Le lendemain matin, le frère hôtelier fut bien
surpris de trouver son voyageur levé, dispos, et qui, le bâton à la main et la
besace au côté, se préparait à partir.
« Quoi, déjà ? Vous ne restez pas quelques jours ici
? »
L’inconnu expliqua qu’il avait un long voyage à
faire et qu’il voulait profiter du beau temps.
« Du beau temps, mais oui ! La tempête s’est calmée
à l’aube, le ciel est bleu et le soleil luit ; le mois de mars réserve des
surprises : cette éclaircie est peut-être passagère, je veux en profiter.
— Visitez au moins notre monastère, fit le bon frère
désolé de voir son hôte si pressé ; hier, il faisait nuit, et vous n’avez rien
vu. »
Le voyageur bien volontiers suivit son hôte à
travers les salles et la chapelle, au long des cloîtres : le monastère était
très beau ; les moines eux-mêmes ajoutaient chaque année quelque sculpture ou
quelque statue. Puis nos deux compagnons visitèrent le jardin. Hélas ! que de
dégâts la tempête n’avait-elle pas causés : plants arrachés, feuilles
naissantes déchiquetées ! Le frère Bonaventure ne se lassait pas de gémir.
« Le printemps réparera tout cela, fit l’étranger
croyez-moi, et je veux vous faire présent d’une fleur qui ne fleurit
certainement pas ici : je ne l’ai vue qu’en des régions fort éloignées. Vous
m’avez si bien reçu, si bien réconforté, que je suis heureux de vous faire
plaisir. »
Ce disant, l’étranger tira de sa besace quelques
racines de peu d’apparence, et en fit présent au moine.
Celui-ci, dès le départ de son hôte, les planta en
bonne place dans son jardin.
Et voici que, quelques semaines après, sortirent de
terre de petits cornets verts qui étaient des feuilles roulées. Juste pour le
mois de mai, celles-ci s’ouvrirent, laissant s’échapper des grappes de
délicieuses clochettes d’un blanc si pur, d’un parfum si pénétrant, que frère
Bonaventure alerta toute la communauté afin qu’elle vienne admirer cette
merveille. Tous s’extasièrent à l’envi.
« Ces fleurs sont un don de Dieu et de la Vierge
pour récompenser l’hospitalité ! Ce sont des fleurs bénies, les fleurs du mois
de Marie, les « lis de la vallée ».
Les « lis de la vallée », comme on les appelait,
firent l’admiration des gens du pays qui se pressèrent en foule pour les
contempler. Et la renommée des jolies fleurs s’étendit beaucoup plus loin
encore, jusqu’aux provinces éloignées.
Le bon frère Bonaventure était devenu encore plus
fier de son jardin. Les lis, bien soignés, prospéraient chaque année ; le plant
s’agrandissait, devenait magnifique, et le frère jardinier pouvait maintenant
donner une petite grappe de jolies clochettes à chaque visiteur.
Durant tout le mois de mai, c’est un défilé de
pèlerins qui sonnent à la porte du couvent. Tout affairé et tout content, frère
Bonaventure se multiplie pour bien accueillir tout ce monde ; il n’a plus le
temps de rien faire d’autre, à peine le temps de prier, et il se sent fier,
plus fier qu’un grand inventeur ou qu’un grand général. Et le temps passa.
Mais frère Bonaventure, s’il était un bon jardinier
et un excellent hôtelier, était surtout un saint homme. Un beau jour, tandis
qu’il méditait sur l’humilité, il courba la tête et se frappa la poitrine :
« Quoi, moi qui suis le dernier de tous, je sens en
moi orgueil et vanité à cause du lis de la vallée que je suis le seul à
posséder. Jour et nuit, je ne pense plus qu’à la beauté de cette fleur. Que
faire ? Tout saccager ? Je n’en ai pas le droit, car le lis chante les louanges
du mois de Marie. O bonne Vierge, éclairez-moi. »
Jusqu’au soir, le pauvre frère resta triste et
pensif.
C’était un beau soir d’avril, avec une telle douceur
dans l’air que tout : gens, bêtes et plantes, semblaient vivre et respirer avec
béatitude. Le soleil s’était couché, mais une lune ronde et lumineuse l’avait
remplacé et éclairait le cloître et le jardin comme au crépuscule.
Quelle est cette ombre qui se glisse furtivement au
jardin, un outil à la main, un sac sur l’épaule ? Ce n’est pas l’heure du
travail, les religieux sont retirés chacun dans leur cellule. Ne
reconnaissez-vous pas le dos voûté, la barbe blanche du frère Bonaventure ? Que
va-t-il donc faire à cette heure ?
Parmi toutes ses plantes qu’il connaît si bien,
notre travailleur nocturne n’a pas grand mal à trouver le plant des lis de la
vallée. Ils ne sont pas encore fleuris, mais les feuilles roulées sont prêtes à
découvrir les jolies grappes blanches et odorantes. On croirait déjà respirer
leur doux parfum. Frère Bonaventure enfonce la bêche, déterre soigneusement
avec ses racines tout le plant, sans regret, sans hésitation. Le grand sac est
plein, ouf ! Le voilà sur l’épaule. Et, plus voûté encore, sans laisser la
bêche, frère Bonaventure sort par la petite porte du couvent.
Le voilà dans la campagne. Vite, vite, il gagne le
bois. Comme il est beau sous la lune ! Les feuilles nouvelles s’agitent avec un
frémissement de soie, des parfums d’arbres en fleurs flottent dans l’air. Mais
le frère ne s’attarde pas. Il cherche, ici et là, les plus jolies clairières,
les banquettes moussues des chemins, les pentes bien exposées et, quand le
terrain lui semble propice, il enfonce la bêche et plante une touffe des
précieux lis de la vallée.
A l’aube, le moine revint las, essoufflé, mais
heureux.
« Je ne serai pas le seul à posséder les fleurs de
Marie. Elles seront à tous, je resterai l’humble jardinier. »
En effet, au bout de peu de temps, une ravissante
floraison de clochettes odorantes couvrit le sol de la forêt, célébrant le mois
de mai et la beauté du renouveau. Il y en a partout, partout, même dans nos
régions, de ces jolis lis de la vallée qu’on appelle aussi muguet de mai.
M. D’Alençon.
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