Le
troupeau de Monsieur Pierre
Auteur : Dardennes, Rose | Ouvrage : À l'ombre du
clocher - 1. Les sacrements. Baptême.
Jean a mené ses deux vaches au parc du Vieux-Chêne.
Mains aux poches, nez au vent, il revient d’un bon pas, sifflant avec les
merles. Il fait bon respirer dans l’air frais toute la vie des matins !
Tiens ! Voici le Père Pierre et ses moutons : une
aubaine pour Jean !
— Bonjour, Monsieur Pierre !
— Bonjour, Jean !
— Vous avez de la chance d’avoir un si beau troupeau
!
— Je parie que tu as envie de jouer avec mes moutons
!
— Oh ! oui… Surtout avec les petits : ils cabriolent
si drôlement autour de leur mère !
Le vieil homme, habile, saisit un agnelet par la
patte, le maîtrise, l’apaise.
— Maintenant, viens ! dit-il à Jean en accompagnant
son invite d’un geste amical.
Jean ne se le fait pas dire deux fois. Les deux bras
autour du cou de l’agneau, il frotte sa tête contre la laine douce, en riant
clair.
— Tiens ! Pourquoi a‑t-il un X peint en bleu sur le
dos ?
— Tous mes moutons sont de même : c’est leur marque,
petit. A cela, je reconnais les miens partout où ils sont.
— Ah ! oui… Je comprends… Au revoir, Monsieur
Pierre.
— Au revoir, gamin !
Jean ne siffle plus.
Il pense aux agneaux blancs et câlins, se frottant
si gentiment au flanc de leur mère…
Jean aussi aime les caresses de sa maman. Il fait
bon, parfois, se serrer tendrement contre elle.
« Elle m’aime bien, ma maman », se dit-il.
Le chemin passe devant le calvaire. Jean regarde le
Crucifié et lève son béret.
« Vous aussi, Jésus, vous m’aimez ».
Jean s’immobilise, saisi. Oui, Jésus l’aime jusqu’à
accepter la mort pour lui. Jamais il n’y avait pensé comme aujourd’hui.
« Jésus, pour vous remercier, je vais faire un très
beau signe de croix ».
Un homme passe. Il voit un gamin qui reprend sa route
d’un air préoccupé. Il pense que ce gars a quelque souci. Les anges, seuls,
savent qu’il parle à Jésus :
— Ce signe de croix, Jésus, c’est notre « marque » à
nous…
Jean repense au troupeau de Monsieur Pierre : tous
ses moutons ont un X bleu sur le dos : c’est sa « marque » son signe : cela
veut dire qu’ils sont à lui.
« Et le signe de croix, Jésus, c’est votre « marque
» à vous ; votre signe. En le traçant sur moi, je me marque à votre nom. Je
montre à tous que je suis de votre troupeau ».
Jésus ne répond pas avec des mots. Simplement, dans
son cœur recueilli, Jean sait que Jésus est d’accord. Alors, il se tait et
marche sans bruit, pour mieux écouter. Une alouette trille en quittant le
sillon. Un souffle passe sur le blé.
« Jean, tu es bien plus qu’un mouton de mon
troupeau. Tu es de ma famille, mon petit frère… »
Nulle voix n’a troublé le silence, mais Jean sait
que Jésus parle parfois au fond des cœurs. Il est heureux. Plus heureux qu’à
jouer avec les agneaux de Monsieur Pierre. Heureux d’un bonheur plus rare, plus
précieux, plus profond.
« Quelle joie d’être baptisé à votre nom, marqué de
votre signe, mon Dieu !… »
Rose
Dardennes.
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