Un roi avait un fils unique qu’il aimait plus que la
prunelle de ses yeux. Hélas, ce prince adoré n’était jamais content et il
passait des jours entiers, penché à son balcon, le regard perdu dans le
lointain. – Désires-tu quelque chose? lui demandait le roi. Dis-moi ce que tu
as? – Père, je ne le sais pas moi-même. – Peut-être es-tu amoureux? dit alors
le père. Sache en tout cas que si quelque fille a fait battre ton cœur, qu’elle
soit la fille du roi le plus puissant de la terre ou une simple bergère, je n’hésiterai
pas à te la donner pour épouse. – Non, père, répondit le jeune homme, en vérité
je ne suis pas amoureux. Le roi avait tout essayé pour le distraire. Mais
hélas! Théâtre, bals, musique, rien n’y faisait. Alors, ne sachant plus que
faire, un jour le roi a fait publier une ordonnance. Aussitôt, de tous les
coins du monde, on a vu accourir les gens les plus instruits: philosophes,
docteurs, savants professeurs. Le roi leur a présenté son fils et a demandé
conseil sur ce qui l’inquiétait. Les savants se sont retirés pour réfléchir et
après trois jours ils sont revenus. – Majesté, ont-ils dit, nous avons
longtemps pensé à ce qui vous tourmente, nous avons consulté les étoiles, et
voici ce qu’à notre avis vous devez faire. Il faut que vous cherchiez un homme
vraiment heureux et que vous échangiez sa chemise contre celle de votre fils.
Le roi se mit en quête de l’hypothétique chemise et
tomba d’abord sur un prêtre. – Es-tu content? lui demanda le roi. – Oui,
Majesté. – Je te félicite. Cela te ferait-il plaisir d’être promu évêque? –
Plût à Dieu, Majesté! Ce serait pour moi un grand honneur! – Vite, hors d’ici!
dit le roi. C’est un homme qui n’est pas satisfait de ce qu’il a et il en
voudrait davantage. Un peu plus tard, il entendit dire que le roi son voisin
était un homme vraiment heureux: il avait une femme belle et bonne, de beaux
enfants et son pays vivait en paix. Le cœur plein d’espoir, le roi dépêcha les
ambassadeurs chez ce souverain avec la mission de rapporter à tout prix sa
chemise. Le monarque reçut les envoyés et répondit à leurs questions. À la fin
il constata: – Il est bien regrettable, lorsqu’on possède tant de belles et
bonnes choses, de devoir mourir un jour, et tout abandonner. J’avoue que cette
seule pensée m’empêche de dormir tant elle me fait souffrir. Après une telle
déclaration, les ambassadeurs revinrent sans remplir leur mission. En proie au
désespoir, le roi décida de se distraire à la chasse. À la poursuite d’un
lapin, il allait à travers les champs quand il entendit une musique. C’était
une claire voix d’homme qui chantait un refrain bien connu. Le roi s’arrêta et
il pensa: – Celui qui chante ainsi ne peut être qu’un homme heureux. Guidé par
la voix, il pénétra dans une vigne, et il aperçut un jeune garçon qui chantait
en transportant son panier débordant de grappes de raisin. – Bonjour, Majesté,
dit le jeune homme. De si bonne heure et déjà dans la campagne? – Béni sois-tu,
jeune homme, répondit le monarque. Veux-tu m’accompagner vers ma capitale? Tu
seras mon ami. – Non, Majesté, je vous en remercie mais je n’y pense pas. Il
faut vous dire qu’à aucun prix je ne changerais ma vie. Je me trouve bien comme
je suis. – Mais pourquoi cela? Toi, un si joli garçon ... – Excusez-moi,
Majesté, mais je vous dis que non! Je suis heureux ainsi. Enfin un homme
heureux, pensa le roi. – Écoute-moi bien, jeune homme. Accepterais-tu de me
rendre un service?
– Si je le peux, Majesté, pourquoi
ne le ferais-je pas, et de tout cœur? – Sois béni, mon garçon, dit le roi. Toi
seul peux sauver mon fils. Je te donnerai tout ce que tu veux, si tu me
donnes... Et le voilà qui s’approche du jeune homme et commence à défaire sa
veste. Mais soudain il s’arrête, les bras ballants, la stupéfaction inscrite
sur son visage. C’est que l’homme heureux ne portait pas de chemise!
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