Un matin d’hiver, le crieur public parcourt les
ruelles du village, en sonnant dans sa corne. Au nom d’Hérode, il promulgue, en
araméen, l’édit d’Auguste ordonnant le recensement. Ici comme en Égypte,
l’inscription se fera dans la ville d’origine. C’est là qu’avec grand soin sont
conservées les généalogies. Le charpentier et Marie devront donc gagner
Bethléem, patrie de David leur ancêtre. Joseph, comme chef de famille, Marie
comme fille unique et héritière de Joachim. Long et pénible déplacement (quatre
à cinq jours de marche) pour de pauvres artisans ! Mais tous deux savent que
Dieu se sert des hommes, de leurs folies et de leurs crimes pour réaliser ses
desseins. Or le prophète Michée (v. 2) n’a-t-il pas annoncé que le Messie
naîtrait à Bethléem ?
L’âme meurtrie mais calme, Joseph prépare tout. Dans
la double besace de l’âne — le petit âne gris, sobre et vaillant, de tous les
foyers populaires — il range d’un côté ses outils, de l’autre les langes, les
provisions. Marie prendra place en arrière du bât. Et ils partent, par la
plaine d’Esdrelon, l’inhospitalière Samarie. Routes noires de chars, de
chameaux, encombrements. Au nord du Jourdain, les chemins noyés de pluie
ressemblent à des affluents du fleuve. Ciel brumeux et bas. Joseph, la bride de
l’âne dans sa main, suit, ses vêtements maculés de boue, le bord du chemin, se
garant des bruyants attelages.
Les voici à Jérusalem. Bethléem n’est plus qu’à neuf
kilomètres. La petite cité de David, en bordure du désert, sur un éperon
calcaire au-dessus d’une cuvette à blé qui lui valut le nom de « maison du pain
», étage ses maisons cubiques aux blanches terrasses.
Sur une colline voisine plus élevée, Hérode s’est
fait construire un tombeau royal où l’on accède par d’immenses escaliers. Au
bord du chemin, au pied de la colline de Bethléem, une modeste stèle rappelle
que là mourut Rachel.
Sur les pentes, des vignes dont les ceps noirs
rampent sur le sol ; champs d’amandiers, de figuiers, d’oliviers au feuillage
argenté, enclos de petits murs. Ici et là des tours de cailloux où les paysans,
l’été, guettent les voleurs, les chacals et les vols de moineaux.
« Où trouverons-nous un logement, en cette bourgade
envahie d’étrangers ? » pensait Joseph. La confiance en la Providence ne
dispense personne de prévoir. Les deux voyageurs ont-ils quelques lointains
parents à Bethléem ? Peut-être. Mais la pauvreté fait oublier les parentés,
même en Orient où on a pourtant le culte de l’hospitalité. Et puis les maisons
doivent déjà être occupées par les proches parents des habitants. Les
meilleures sont réquisitionnées par les fonctionnaires du légat Quirinius et
par ceux d’Hérode… N’ayant rien trouvé ailleurs Joseph se dirige vers le
caravansérail, le Khan, qui est au bas de la colline. C’est une enceinte carrée
entourée de murailles le long desquelles on a ménagé quelques chambres
sommaires. Nulle de ces chambres n’est disponible. Reste la cour centrale, où
sont parqués ânes et chameaux, et les galeries couvertes où s’entassent les
voyageurs. Impossible de s’installer en une pareille mêlée…
On remonte lentement vers la petite ville, parmi les
éventaires des marchands ambulants autour desquels se pressent les Bethléémites
à la haute stature, la tête enveloppée d’un turban blanc. Les femmes, sveltes
et fières, portent des chemises bleues brodées, des tuniques rouges. De leurs
coiffes pointues des voiles blancs tombent jusqu’à la ceinture.
Joseph, guidé peut-être par quelque habitant
compatissant, gagne à 200 pas hors du rempart, une de ces grottes naturelles,
creusées dans le calcaire, qu’on utilise comme étables. Les mendiants errants y
dorment parfois.
Aussitôt arrivés, les deux jeunes époux ayant lavé
leurs pieds, leurs mains, leur visage, mis un peu d’ordre dans l’étable,
prennent leur repas du soir. Paix. Joie. Bonne humeur.
La petite lampe à huile brille comme une veilleuse.
L’étable est moins froide que la cour de Khan. Surtout, ici, règne le silence,
le divin silence.
La prière dite en commun, Joseph installe Marie sur
un lit de paille et de roseaux. Enveloppé lui-même dans son manteau, ses outils
à côté de lui, il s’étend sur le sable, tandis que l’âne broute le foin et les
fleurs sèches de la crèche.
Et c’est là, dit la liturgie, au milieu de la nuit,
dans le silence universel, que le Verbe vint au monde. Et Marie ayant enveloppé
l’enfant de langes, le déposa dans la crèche d’argile. Le bœuf et l’âne, pliant
alors les genoux, vinrent appuyer leur tête sur le bord de cette crèche, et la
remplirent du souffle tiède de leurs naseaux, comme s’ils avaient compris que cet
enfant si pauvrement couvert avait besoin d’être réchauffé par un si grand
froid.
Sa mère, à genoux, l’adorait… Joseph vint aussi
l’adorer et prenant la selle de l’âne, il en détacha le coussin et le plaça
près de la crèche pour servir de siège à la souveraine. La Sainte Vierge s’y
assit…
D’après A. Bessières s. j.,
Présence de saint Joseph (Éd. Lethielleux, Paris).
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